Pour en finir avec les fake news sur le livre de Benoît XVI et du cardinal Sarah (16/01/2020)

De Charlotte d'Ornellas sur le site de Valeurs Actuelles :

Pour en finir avec les fake news sur le livre de Benoît XVI

15/01/2020

La sortie d’un livre rédigé par le Cardinal Sarah et Benoît XVI a fait l’effet d’une bombe. Qu’en est-il réellement de la contribution du pape émérite à cet ouvrage défendant ardemment le célibat des prêtres ? Les explications de Charlotte d'Ornellas.

Beaucoup de bruit pour rien, aurait-on tendance à penser. Mais la calomnie laisse toujours une trace, un doute, et pour les plus fainéants, une réponse facile à une situation compliquée.

Ainsi le Cardinal Robert Sarah aurait plus ou moins, peu importe, manipulé un pauvre pape très vieux et sans défense, dans la guerre conservatrice qu’il mène contre le pape François.

Pas complètement, mais un peu quand même, sinon pourquoi le secrétaire de Benoît XVI serait-il intervenu ?

Pas vraiment, mais forcément un peu puisque le titre va changer…

Pas clairement mais sournoisement, sinon pourquoi tant d’agitation au Vatican ?

Au diable la nuance et la piété filiale exprimée dès les premières pages de l’ouvrage, au diable le ton exempt de polémique de l’intégralité de ce livre que personne n’a lu, au diable cette conscience dont Benoît XVI a toujours été un fervent défenseur et qu’il a voulu écouter au soir de sa vie de prêtre.

Au diable, surtout, l’argumentaire incroyablement charpenté des deux hommes sur une question qui agite aujourd’hui encore l’Eglise indiscutablement, mais aussi les médias du monde entier qui ne croient plus à rien et en tous cas pas au Bon Dieu, qui se fichent des chrétiens persécutés partout sur la planète, des églises de plus en plus profanées chez la fille aînée de l’Eglise, qui ne cessent de livrer leur détestation d’une Eglise décidément réactionnaire et incapable de s’adapter à son temps mais qui n’en finit plus, par ailleurs, de donner son avis sur ce que devrait penser ou faire l’Eglise. Cette presse occidentale étonnante qui voit les curés comme des freins à ses pulsions progressistes incessantes mais se fait pourtant l’ardente militante de la nécessité impérative pour l’Amazonie d’avoir des prêtres, à condition qu’ils soient mariés.

Beaucoup de bruit pour rien, parce que les rebondissements éditoriaux ont brouillé le message de fond qui est resté inchangé, à la virgule près, du début à la fin des « polémiques ».

Pourquoi s'encombrer de ce que dit le livre, quand la polémique peut suffire ?

Revenons au début. Dimanche soir, le Figaro livre la nouvelle et les bonnes feuilles : le pape émérite et le préfet de la Congrégation pour la divine liturgie et la discipline des sacrements (nommé à ce poste sérieux par le pape François lui-même) publient un livre dans lequel ils prennent la défense, l’un après l’autre et selon leurs compétences propres, du célibat des prêtres. Dès le lendemain, un correspondant de la revue jésuite America à Rome tweete : « Benoît XVI n’est pas le coauteur du livre sur la prêtrise et le célibat avec le cardinal Sarah. » Les informations qui émaneraient d’un « proche » de Benoît XVI ne semblent pas aussi tranchantes que l’affirmation, puisque sa revue lui demande de les consolider avant de publier. Peu importe que la nouvelle soit exacte ou non, elle se répand.

Et comme le pape François n’a pas été informé de cette publication, les commentateurs passionnés par l’opposition entre progressistes et conservateurs au sein de l’Eglise sautent sur l’occasion : c’est une guerre des papes, ni plus ni moins. Le livre n’est absolument pas défiant, au pire humblement suppliant. Mais pourquoi s’encombrer de ce qu’il contient ?

Les nouvelles, et donc le livre, font l’effet d’une bombe… Jusqu’au cœur du Vatican où des « pressions » se sont exprimées, raconte le journaliste bien informé du Figaro Jean-Marie Guénois.

L’obéissance filiale étant, comme indiqué dans le livre, une préoccupation et une réalité, le secrétaire du pape émérite intervient sur demande de ce dernier. Dans la presse, on lit alors que Benoit XVI aurait demandé le « retrait de son nom » sur ce livre. Peut-être même ne l’aurait-il pas vraiment écrit, laisse-t-on entendre. Tout est faux, ou inexact. Le secrétaire Mgr Georg Gänswein s’est confié au Figaro : « Nous avons vérifié la traduction du texte original allemand, pas une virgule n’a été modifiée, son texte est à 100 % de Benoît XVI. » Voilà pour le texte qui restera donc inchangé et signé par le pape.

Quid de l’introduction, de la conclusion et de la couverture, que les deux hommes d’Eglise co-signent ?

Tempête dans un verre d'eau

Des rumeurs laissent entendre que Benoît XVI n’aurait pas été informé, que le Cardinal Sarah l’aurait tout simplement manipulé. Ce dernier dénonce des accusations d’une « extrême gravité » et livre un communiqué dans laquelle il affirme que Benoît XVI était au courant d’absolument tout, qu’il a lu et approuvé l’intégralité du livre tel quel, et validé l’apposition de sa signature… Les heures passent et Mgr Gänswein confirme finalement, venant largement affaiblir les propos qu’on lui prêtait médiatiquement plus tôt : Benoît XVI savait que l’ensemble serait publié sous forme de livre puisque le pape émérite en a lu les épreuves. Bref, une tempête dans un verre d’eau.

Concrètement, la tempête aura malgré tout des conséquences formelles. La première édition française aujourd’hui en librairie sortira telle quelle (preuve que l’affaire est minime). La seconde aura deux modifications : la couverture portera la mention « Cardinal Sarah avec la contribution de Benoît XVI » ; les introduction et conclusion ne seront plus cosignées mais suivies de la mention « Rédigé par le cardinal Sarah, lu et approuvé par Benoît XVI ».

Bref, il faut que tout change pour que rien ne change. Pas une virgule des argumentaires n’a été déplacée, et l’ouvrage est bien le fruit des réflexions du pape émérite et de son ami et préfet de l’Eglise le cardinal Sarah. Les changements éditoriaux effectués docilement prouvent l’absence totale de volonté polémique, de guerre interne ou de défiance pontificale. Mais le fond reste inchangé et les arguments demeurent. Benoît XVI et le cardinal Sarah ont bien rédigé un texte définissant la vocation du prêtre, rappelant la nécessité de son célibat, craignant le risque de confusion sur la prêtrise et le mariage en cas de changement de discipline en la matière, à l’heure ou l’Eglise pourrait « ouvrir une brèche », selon leurs mots, en acceptant l’ordination d’hommes mariés en Amazonie.

Dans quelques semaines, le pape François devra trancher en livrant son exhortation post-Synodale. En octobre dernier, la majorité des deux tiers des évêques présents au Synode sur l’Amazonie votait une conclusion réclamant l’ordination d’hommes mûrs et mariés. Qu’en fera le pape François, qui a souvent rappelé son attachement au célibat des prêtres tout en demandant aux journalistes de ne pas s’attarder sur cette réclamation du Synode ?

La question reste entière, la contribution du pape émérite au débat aussi.

Cette affaire montre une chose : le débat risque d’être dur au sein du Vatican, comme à l’extérieur.

09:45 | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer |