Concernant le contrôle a priori, dans le cas de souffrances physiques, un deuxième médecin doit donner son avis, mais il suffit que le médecin qui pratique l’euthanasie soit d’accord pour que celle-ci ait lieu. Dans le cas de souffrances psychiques, il faut en plus l’avis d’un troisième médecin. Mais là encore, la loi n’exige pas que ces médecins soient d’accord avec l’euthanasie ou qu’ils considèrent que les conditions sont remplies. Donc en fait, une fois qu’on a un avis, on fait ce qu’on veut, ce qui est complètement aberrant.
Par ailleurs, les médecins consultés doivent être indépendants, sans qu’on sache ce que cela signifie. Et dans le cas de Tine Nys, il est clair qu’ils ne l’étaient pas : ils connaissaient bien la patiente.
Dans le cas du contrôle a posteriori, la commission de contrôle de l’euthanasie consulte le rapport anonymisé transmis par les médecins après l’euthanasie. Ce rapport peut être désanonymisé si la commission juge qu’un examen complémentaire est nécessaire. En pratique, les membres de la commission ne sont pas en mesure ou n’ont pas la volonté de contrôler le respect de la loi. Dans le cas de Tine Nys, la commission a considéré que le dossier était conforme et n’a pas levé l’anonymat, ni transmis le dossier au parquet, alors qu’elle aurait dû être la première à attirer l’attention des autorités. Le procès est l’occasion de souligner ces dysfonctionnements, qui ont déjà été dénoncés à plusieurs reprises et qui ont par ailleurs provoqué la démission de plusieurs membres de la commission de contrôle.
G : Et du côté des médecins ?
LV : Ils n’ont pas l’impression d’être en défaut par rapport à la loi. Ils ont pratiqué l’euthanasie telle qu’elle est pratiquée en Belgique. Dire en Belgique qu’une euthanasie est un meurtre excusé n’est pas audible, c’est un acte clairement banalisé. Le procès actuel montre malgré tout qu’a minima, dans le cas de souffrances psychiques, on sent bien qu’il y a un problème.
G : Quelles sont les répercussions du procès sur la société ?
LV : Elles sont multiples. Les tribunes d’opinion se multiplient dans la presse, signées par des proches de patients autistes qui s’interrogent : quel signal la société envoie-t-elle à ces patients à travers ce procès ? Est-ce qu’on suggère que l’euthanasie serait une solution pour eux ? La maman d’un jeune atteint de dépression nous a contactés cette semaine, atterrée, car depuis que le procès a commencé, son fils de 36 ans lui a dit entamer les démarches pour l’euthanasie. Nous l’avons déjà dit, et nous le répétons : l’euthanasie tue non seulement la personne qui la demande, mais détruit aussi ses proches, les soignants et l’ensemble des personnes fragilisées (cf. A propos de l’euthanasie de la championne paralympique Marieke Vervoort…) .
G : Et concernant la loi elle-même ?
LV : Plus largement et paradoxalement, tout le monde est d’accord pour dire que cette loi sur l’euthanasie n’est pas optimale. Certains veulent la clarifier pour faciliter le travail des médecins de bonne foi. Comment apprécier une souffrance inapaisable ? Comment l’appliquer à la souffrance psychique ? L’évaluation des critères à respecter n’est pas simple. Ensuite, l’histoire de Tine Nys met en évidence une forme de déresponsabilisation des médecins : non seulement vis-à-vis du patient, en mettant en avant son autonomie, mais aussi entre les médecins qui pratiquent l’acte ou qui l’approuvent. Le médecin de famille de Tine Nys est contre l’euthanasie, mais il a considéré qu’il devait respecter son choix. Même s’ils sont mal à l’aise, les médecins estiment que le patient « a le droit » de mettre fin à ses jours de cette façon, alors que l’euthanasie n’est que partiellement dépénalisée. Rappelons-le : il n’y a pas à proprement parler de droit à obtenir l’euthanasie en Belgique. La loi permet au patient de demander l’euthanasie, et en dépénalise la pratique sous conditions.
G : Où en est-on dans ce procès ?
LV : Ce mardi, on entendait les derniers témoins. Les plaidoiries débutent ce mercredi. Tout peut ensuite aller très vite : le verdict pourrait intervenir jeudi ou vendredi. D’un côté, si les médecins sont condamnés, on court le risque de voir les positions se radicaliser par rapport aux défaillances d’application de la loi. S’ils sont acquittés, les conditions continueront à ne pas être respectées, rien ne changera.
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