Réflexions d'un lecteur : on ne peut incriminer le pontificat actuel en oubliant les orientations des pontificats précédents (20/02/2020)

"Un lecteur" nous fait part de ses réflexions au sujet de la crise actuelle dont il refuse de faire porter la responsabilité au seul pontife régnant en oubliant que les orientations prises sous les pontificats précédents y ont largement contribué... Nous le remercions de nous les partager et nous les livrons à nos lecteurs dont elles permettront sans nul doute d'approfondir la réflexion.

I.

1. Disons en quelques mots que je ne suis pas de ceux qui s'imaginent que, au sortir de deux décennies de décervelage, dans les années 1960-1970, presque tout serait allé de mieux en mieux, dans l'Eglise catholique, de l'automne 1978 à l'hiver 2013, grâce à Jean-Paul II puis grâce à Benoît XVI, jusqu'à ce que l'élection du pape François puis le déroulement du pontificat de François provoquent l'interruption ou la remise en cause de trois décennies d'un recentrage doctrinal, liturgique, pastoral et spirituel, qui aurait été de plus en plus orthodoxe et réaliste, des années 1980 à l'année 2012.

2. Pourquoi ne suis-je pas de ceux qui s'imaginent cela ? Voici, tout d'abord, la première raison pour laquelle je n'en suis pas : la vérité oblige à dire que Jean-Paul II n'a pas impulsé ni incarné un recentrage orthodoxe et réaliste dans tous les domaines : Jean-Paul II a été beaucoup plus conciliaire, plus libéral ad extra (dans l'acception philosophique et théologique de l'adjectif libéral), que Paul VI, dans le domaine du dialogue interconfessionnel, et, surtout, le même Jean-Paul II a été infiniment plus conciliaire, plus libéral ad extra, que le même Paul VI, dans celui du dialogue interreligieux. (Il s'agit ici, globalement, de l'acception philosophique post-kantienne et de l'acception théologique post-schleiermachienne de l'adjectif libéral.)

3. En d'autres termes, le moins que l'on puisse dire est que, dans ces domaines, de la fin des années 1970 au début des années 2010, sous Jean-Paul II puis sous Benoît XVI, la poursuite du décentrement, souvent iréniste et parfois utopiste, l'a amplement emporté sur un recentrage orthodoxe et réaliste qui aurait dû être à contre-courant ad extra, mais aussi ad intra, face à la conception dominante, d'inspiration quasiment protestante libérale, du dialogue interconfessionnel, et face à la conception dominante, d'inspiration quasiment panchristique et postmoderne, du dialogue interreligieux.

4. Si l'on préfère, je ne suis pas de ceux qui portent en eux la nostalgie ou le souvenir d'un pape Jean-Paul II qui aurait pensé puis mené la totalité de son pontificat sur le registre du recentrage conservateur dans tous les domaines (alors que je n'ignore pas que beaucoup de catholiques, notamment parmi ceux qui auront entre 30 et 60 ans, en 2020, portent en eux, encore aujourd'hui, cette nostalgie ou ce souvenir), parce que j'ai bien conscience du fait que ce pape a fonctionné à grande distance, sinon aux antipodes, du recentrage conservateur, dans le cadre de chacun de ces deux dialogues. ( UN document, je dis bien UN document : Dominus Iesus, ne saurait faire oublier les CENTAINES de documents, je dis bien les CENTAINES de documents, que l'on doit au pape Jean-Pape II, et dans lesquels le même pape laisse entendre à peu près le contraire de ce que l'on lit dans Dominus Iesus, ou prend bien soin de ne pas faire entendre à peu près l'équivalent de ce que l'on lit dans Dominus Iesus. Si vous ne me croyez pas, lisez ce livre : https://www.librairie-emmanuel.fr/le-dialogue-interreligieux-dans-lenseignement-officiel-de-leglise-catholique-p-36755 )

II.

5. Voici, ensuite, la deuxième raison pour laquelle je ne suis pas de ceux qui s'imaginent que tout serait allé de mieux en mieux, en aval du début du pontificat de Jean-Paul II, jusqu'à ce que, d'une manière illégitime, le successeur de Benoît XVI commence puis continue à interrompre le recentrage conservateur, non seulement au moyen de son gouvernement et de sa pastorale, mais aussi au moyen de son enseignement, de son Magistère.

6. Disons ici que je suis de ceux qui sont convaincus que la crise que le catholicisme contemporain inflige à lui-même, au moins depuis le début de l'avant-Concile, sous Pie XII, constitue le symbole et le symptôme du fait que le même catholicisme ne se pose pas assez de questions, déplaisantes, dérangeantes, éclairantes et exigeantes, sur le fait que nous sommes passés des débuts de Schleiermacher, en 1799, aux débuts de Blondel, en 1893, en un peu moins d'un siècle, et sur le fait que nous sommes passés de la manifestation interreligieuse de Chicago, en 1893, à la manifestation interreligieuse d'Assise, en 1986, également en un peu moins d'un siècle. Qu'est-ce qui a rendu le catholicisme aussi imitateur d'idées venues de son environnement extérieur, et pourquoi a fait-on passer pour autant d'intuitions "prophétiques", porteuses "d'ouvertures" ad extra, des intuitions qui sont, en fait, avant tout, mimétiques, et porteuses d'alignement ad extra ?

7. Or, Jean-Paul II et, dans une moindre mesure, Benoît XVI, ont une part de responsabilité absolument considérable dans l'entreprise de légitimation et de valorisation post-conciliaires, et même, en l'occurrence, post-montiniennes, de ces intuitions mimétiques, de ces intitutions imitatrices d'une conception de la religion, en général, et d'une conception des religions non chrétiennes, en particulier, qui viennent de l'extérieur de l'Eglise catholique : n'en déplaise à certains, Buber, Scheler, Jaspers, Eliade, Levinas, Ricoeur, Tillich, entre autres, ne sont pas des auteurs catholiques.

8. Disons aussi qu'il se trouve que le dialogue interconfessionnel oecuméniste et le dialogue interreligieux unanimiste ont été condamnés par anticipation, par un pape, Pie XI, en 1928, dans Mortalium animos, et que le concordisme philosophico-théologique entre l'aristotélico-thomisme et les philosophies contemporaines qui sont presque toutes globalement éloignées, voire totalement opposées à l'aristotélico-thomisme, a été lui aussi condamné par anticipation, par un autre pape, Pie XII, en 1950, dans Humani generis.

9. Or, ni Karol Wojtyla / Jean-Paul II, ni Joseph Ratzinger / Benoît XVI n'ont agi clairement, fermement, durablement et profondément contre la marginalisation de l'ecclésiologie controversiste ad extra et contre la marginalisation de l'aristotélico-thomisme ad intra, si je puis m'exprimer en ces termes, que ce soit dans les années 1960-1970, ou dans les années 1980-1990, ou encore dans les années 2000, et ce jusqu'à l'année 2012 incluse.

10. Et deux documents, Dominus Iesus (qui date de l'an 2000), déjà cité ci-dessus, au moyen duquel il est possible (mais aussi indispensable) de réhabiliter et de réimplémenter une ecclésiologie controversiste ad extra, au sein de l'Eglise catholique, et Fides et ratio (qui date de l'année 1998), ne peuvent pas et ne doivent pas faire oublier des centaines de prises de position de ces deux papes, qui n'ont été ni des prises de position un tant soit peu controversistes, en direction des confessions chrétiennes non catholiques, en ce qu'elle sont propices à l'hérésie, et des religions non chrétiennes, en ce qu'elles sont porteuses d'erreurs, ni des prises de position un tant soit peu aristotélico-thomistes, dans les domaines de la théologie de la révélation et de la théologie trinitaire. (Le rédacteur de la présente réflexion est d'autant mieux placé pour déplorer d'une manière objective la marginalisation, avant tout ante-conciliaire, du mode de raisonnement "aristotélico-thomiste", qu'il n'est pas lui-même porteur de ce mode de raisonnement, et est d'autant mieux placé pour déplorer en connaissance de cause l'immanentisation, elle aussi avant tout ante-conciliaire, du mode de raisonnement "platonico-augustinien", qu'il est lui-même porteur de ce mode de raisonnement ; par ailleurs, bien des néo-catholiques post-conciliaires ne sont pas avant tout néo-thomistes, ni avant tout néo-augustiniens, mais sont avant tout post-kantiens et post-schleiermachiens, ce qui explique grandement leur relation distanciée à la Tradition catholique.

III.

11. J'ai la conviction que vous comprenez ou, en tout cas, que vous commencez à comprendre où je veux en venir : le pape François n'est absolument pas le premier pape dont le pontificat est, intégralement, chronologiquement et programmatiquement néo-catholique post-conciliaire, ou, si vous préférez, le pape François n'est certainement pas le premier pape dont le pontificat est, intégralement, néo-catholique post-conciliaire sur le plan épistémique (dans le domaine des concepts) et sur le plan axiologique (dans le domaine des valeurs). En ce sens, François est un continuateur...

12. En revanche, le pape François est bien le premier pape, dont le pontificat est, intégralement, néo-catholique post-conciliaire, qui fait entendre ou, en tout cas, qui laisse entendre que l'Eglise catholique peut et doit devenir libérale, oh pardon : "i-n-c-l-u-s-i-v-e", so they say nowadays,

- non seulement ad extra, dans ses réflexions et ses relations en direction de telle conception influente de l'homme et du monde contemporains et en direction des religions et des traditions croyantes non chrétiennes,

- mais aussi ad intra, dans ses principes et ses pratiques relatifs, d'une part, aux fondements et au contenu de la morale chrétienne, d'autre part, aux fondements et au contenu des sacrements de l'Eglise.

Et en ce sens, François est un aggravateur...

IV.

13. Presque au terme de ces quelques lignes, je précise ou rappelle que la "crise de l'Eglise" a commencé, au minimum, dès le début de l'avant-Concile, sous Pie XII, et que c'est avant tout à partir de l'année 1962-1963, et non seulement à partir de l'année 2012-2013, qu'une dynamique d'auto-contournement, d'auto-déconstruction, d'auto-dépassement, d'auto-destitution, d'auto-exculturation et d'auto-fragilisation du catholicisme a commencé à être considérée comme plus "chrétienne" que la dynamique antérieure, que l'on qualifierait sans doute aujourd'hui "d'autoritaire" et "d'identitaire".

14. Compte tenu de ce qui précède, il devient urgent et vital que les catholiques conciliaires conservateurs, qu'ils soient plutôt "wojtyliens" ou plutôt "ratzingériens", comprennent qu'il est inexact, injuste et malhonnête de faire entendre ou de laisser entendre que le pape François est le premier pape qui a une part de responsabilité considérable dans l'inscription dans la durée et en profondeur d'une "crise de l'Eglise" qui est en fait une mutation.

15. Dans cet ordre d'idées, il devient également urgent et vital que ces catholiques commencent, ou continuent davantage, à s'interroger sur les origines, les composantes et les conséquences

- d'une part, de la quasi répudiation, d'abord ante-conciliaire, ensuite conciliaire, enfin et surtout post-conciliaire, de l'aristotélico-thomisme, de l'ecclésiologie controversiste et de la christologie exclusiviste qui ont prévalu, à tout le moins officiellement, jusqu'à la mort de Pie XII en octobre 1958,

- d'autre part, du début de répudiation, apparemment spécifique au pontificat de François, de l'intégralisme personnaliste, dans les domaines de l'anthopologie catholique et de la morale chrétienne, tel que cet intégralisme personnaliste s'est manifesté, globalement, de Jean XXIII à Benoît XVI.

16. Enfin, dans le même ordre d'idées, il devient tout aussi urgent et vital que les mêmes catholiques comprennent et fassent comprendre que ce qui est nécessaire : du recentrage ad intra, dans les domaines de la morale chrétienne et des sacrements de l'Eglise, n'a pas été suffisant hier, sous Jean-Paul II et sous Benoît XVI, et ne sera pas suffisant demain, en l'occurrence pour commencer ou pour continuer davantage à remédier aux répercussions du pontificat actuel, notamment et surtout en ce que celui-ci est, entre autres choses,  "abou-dhabien" et "amazonien", depuis 2019.

V.

17. Oui, il va falloir remettre en cause, non seulement les "esprits" d'Abou Dhabi et d'Amazonie que nous devons au pape François, mais aussi

- "l'esprit de Tibhirine", qui s'est développé et a été légitimé à la faveur d'une certaine passivité, de la part de Jean-Paul II et de Benoît XVI,  

- ce que l'on appelle parfois "l'esprit de Casablanca" (1985) et ce que l'on appelle souvent "l'esprit d'Assise" (1986), dans leur acception wojtylienne,

- ce que l'on appelle "l'esprit du Concile", tel qu'il se manifeste, en l'occurrence, dans la première partie de la déclaration Nostra aetate de Vatican II.

18. Et la remise en cause de ces six "esprits" impliquera certainement la remise en cause de l'approbation totale ou, en tout cas, de l'acceptation globale de chacun des quatre premiers de ces "esprits", par Jean-Paul II et par Benoît XVI, du début de l'année 1979 à la fin de l'année 2012.

19. Or, je ne vois pas très bien comment cette remise en cause pourra avoir lieu, si bon nombre de ceux qui devraient pouvoir commencer à la mettre en oeuvre continuent à considérer que l'attitude de Jean-Paul II et de Benoît XVI, face aux quatre premiers de ces "esprits", n'a jamais été erronée, et si les mêmes catholiques persistent à considérer que seul le comportement de François, face à ces six "esprits", est incontestablement fautif.

20. Formulé autrement, en direction de domaines proches de ceux traités ici, ce qui précède revient à dire que la "recatholicisation du catholicisme" dont il est question ici, et que certains hommes d'Eglise veulent rendre complètement et définitivement impossible, implique, dès le pontificat actuel,

a) non seulement la remise en cause

- de l'adogmatisme immanentiste et de l'oecuménisme unanimiste, de l'akérygmatisme anthropocentrique et de l'horizontalisme humanitariste,

- du consensualisme et du confusionnisme interreligieux, de l'herméneutisme et de l'historicisme en philosophie et en théologie,

- de l'inclusivisme périphériste interreligieux et interconvictionnel, ainsi que du relativisme et du subjectivisme, dans le domaine de la religion,

b) mais aussi la remise en cause de l'attitude souvent modérantiste ou pusillanime de Jean-Paul II et de Benoît XVI, face à ces "traits de caractère".

En union de prière,

Un lecteur.

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