L’Église a manqué son rendez-vous avec le covid 19 et avec l'histoire ! (20/07/2020)

A découvrir dans l’Echo magazine.ch du 15 juillet, une interview de Nicolas Buttet qui décoiffe et met en lumière ce que la crise du Covid-19 a révélé.

« L’ÉGLISE A MANQUÉ SON RENDEZ-VOUS AVEC LE COVID-19 ET AVEC L’HISTOIRE ! »

Figure bien connue du monde catholique et fondateur de la communauté Eucharistein, le charismatique prêtre valaisan Nicolas Buttet porte sans concession son regard d’intellectuel et de mystique sur ce que la pandémie de Covid-19 a révélé à l’humanité en général et à son Eglise en particulier. Interview choc.

Début juillet, le Père Nicolas Buttet nous a longuement reçu dans le chalet des hauts de Saxon (VS) où il entame une période sabbatique marquant la fin de ses 23 années à la tête d’Eucharistein, Fraternité d’inspiration franciscaine qu’il avait fondé du côté d’Epinassey en 1997. A la fin de ce mois et jusqu’à mai 2021, le Valaisan se mettra à disposition des sœurs missionnaires de la charité de Mère Teresa à Rome, au Kenya, à Madagascar, à l’île Maurice puis à Calcutta. Il reviendra ensuite comme simple frère au sein de sa Fraternité. En attendant, lové dans la solitude de cette nature puissante, qu’il aime tant, aux pieds de la Pierre Avoi et sous l’œil d’une magnifique icône orthodoxe de la Vierge trônant entre les livres et les notes dans son bureau improvisé, le prêtre a eu tout loisir d’analyser en profondeur la crise du coronavirus. Il nous livre ici sans filtre l’essence de ses réflexions.

Qu’est-ce que la crise du Covid-19 a révélé selon vous ?

L’une des choses les plus frappantes est que le Covid a réduit l’Homme à sa survie biologique et a méprisé ses facettes psychologiques et spirituelles que la médecine holistique avait pourtant enfin pris en compte ces dernières décennies. Les rapports humains s’en sont trouvés appauvris. Une grand-mère me disait : la meilleure façon pour mes enfants et petit-enfants de me montrer qu’ils m’aiment est de ne pas me toucher ni même venir me voir… Sur ce terreau a prospéré une épidémie psychique, attisée en bonne partie par la médiatisation anxiogène de la crise. Une étude de l’Uni de Bâle a révélé qu’en Suisse, 20% des personnes interrogées ont développé des symptômes de dépression.

On a parfois l’impression que les citoyens ont renoncé étonnamment facilement à nombre de leurs libertés individuelles sur l’autel de la santé publique...

Cette pandémie est marquée par le même conformisme social que toutes périodes de crises. Une vaste majorité silencieuse subissaient les évènements sans réussir à les comprendre. Beaucoup de lâches comprenaient mais n’agissaient pas. Et une minorité de « héros » faisaient ce qu’ils pouvaient. Cette ambiance délétère permet la mise en place pas à pas d’un totalitarisme sournois dans lesquels drones, hélicoptères, applis, reconnaissances faciales et autres outils technologiques sont mis à profit pour nous surveiller pour notre bien. C’est « L’empire du bien » de Philippe Muray : on va vous donner de la santé, du pain et de la sécurité mais il faudra céder votre liberté en échange, disait déjà le Grand Inquisiteur chez Dostoïevski...

Mais chacun ne peut-il pas malgré tout faire preuve de libre arbitre ?

Oui mais c’est difficile car dans ce contexte, tu es stigmatisé si tu exprimes ta liberté en t’affranchissant des règles fixées. Et c’est ainsi par exemple qu’on en arrive à voir des médecins oser interdire à une vieille dame hospitalisée d’assister à l’enterrement de son mari après 67 ans de mariage !

La manière dont ont été traitées les personnes âgées, malades ou en fin de vie vous a particulièrement choqué…

J’ai entendu le cri et les larmes de ces personnes isolées pour « leur bien » et qui suppliaient qu’on les aime. Peu importe de mourir six mois plus tôt, pourvu de ne pas finir isolées. On a assisté à un déni total des besoins spirituels en empêchant l’accompagnement des malades et des mourants. Pour la première fois depuis l’homme des cavernes, les sépultures sont passées à la trappe de l’idéologie hygiéniste. Or « quand il n’y a pas de sépulture, on ne cicatrise pas ou mal », rappelle le psychanalyste Boris Cyrulnik.

Notre dimension spirituelle a donc été en grande partie occultée. Pourquoi ?

L’Eglise a complètement loupé son rendez-vous avec l’Histoire en se laissant piéger par cette idée fausse qui voudrait qu’au nom de la santé, toutes les restrictions soient admissibles. Les Grecs disaient qu’aux grandes tragédies, il faut opposer de grands mots, rappelle Pascal Bruckner. L’église n’en a guère prononcé… Quand le gouvernement italien a demandé de fermer les lieux publics n’étant pas de première nécessité, les évêques ont devancé l’appel dans leurs églises… C’était un aveu effarant : pour eux, les besoins spirituels n’étaient donc pas de première nécessité ! Heureusement, le Pape les a rappelés à la raison et les églises se sont rouvertes…

Des instances étatiques aussi ont reprécisé quelques grands principes en la matière… Plutôt rassurant non ?

En Allemagne, il a fallu que la cour constitutionnelle rappelle qu’il était illégal d’interdire les cultes, pour que les évêques de ce pays, se réveillent. Même chose en France ! Et ce, suite à des plaintes de paroissiens courageux. Mais ce sont les prêtres qui auraient dû être les premiers veilleurs. J’ai été extrêmement déçu par l’incapacité totale d’une écrasante majorité d’entre eux à porter un regard libre sur la situation et à honorer malgré tout leur mission évangélique tout en prenant compte les contraintes sanitaires

Certains religieux ont quand même proposé que la communion soit distribuée au sein des familles par les parents...

Sauf que cette belle idée venue d’une poignée de courageux a été massivement refusée par cléricalisme et peur d’y perdre du pouvoir au profit de laïques ! Bien avant le Covid-19, le Pape avait pourtant asséné qu’en ces temps de crises, l’Eglise devait être comme un « hôpital de campagne après la bataille ». C’est à dire allant droit au but en s’affranchissant si nécessaire des règles habituelles. On en fut si loin que cet hôpital a carrément fermé ! À la place, on a dispensé de la virtualité béni-oui-oui par exemple en diffusant des messes désincarnées sur internet. Ou on a déployé une inventivité théologique, remarquable mais un peu stérile et décalée, pour vanter la communion spirituelle…

En quoi est-ce gênant ?

La communion spirituelle n’est que la part subjective de la communion concrète, sacramentelle, dont elle est indissociable. Beaucoup de gens et parmi eux nombres de pauvres, réclamaient de communier réellement. Enfermée dans sa tour d’Ivoire, l’Eglise n’a pas su entendre la faim de ces gens, qui étaient alors nos maîtres car l’Esprit-Saint parlait à travers eux. Cela a laissé deviner aussi ce drame : je crains qu’aujourd’hui, de nombreux prêtres ne croient plus en la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie !

L’Eglise aurait aussi manqué à son devoir social selon vous. En quoi ?

La pauvreté et la faim revenaient en force et les services sociaux de l’église sont restés fermés. Les prêtres et les évêques, alors désœuvrés et le plus souvent payés par l’état dans notre pays, auraient dû puiser dans leur salaire pour alimenter un fond d’entraide. Cela aurait été prophétique. Malgré la gêne, des gens sont venus demander de l’aide à notre communauté. Rien qu’en Valais, on a pu soulager 250 familles. Mais globalement, l’Eglise n’a pas su écouter les gens qui n’arrivaient plus à payer leur loyer ou leurs primes maladies. Cette crise a révélé le décalage entre une certaine Eglise institutionnelle,la vie des gens et la souffrance du monde ! Plusieurs croyants m’ont dit : « l’Eglise nous a abandonné ! »

Mais la pandémie a aussi réveillé de formidables solidarités humaines, non ?

Oui grâce à Dieu et souvent malgré l’Eglise, des générosités ont jailli de la société civile. Il y a eu aussi un renouveau spirituel chez certains... C’est une raison d’espérer dans l’optique de la crise économique, sociale et sociétale majeure que nos dirigeants s’échinent à repousser depuis des années et qui est désormais à nos portes. Sans la crise sanitaire du Covid-19, il n’est pas du tout sûr que les autres crises auraient été capables de réveiller cette entraide qui nous sera si nécessaire pour les surmonter sans trop de violences. Jusque-là, l’Eglise avait été sur tous les lieux de drames de l’humanité. Sa paralysie est une première. Elle ne peut plus rester dans cette passivité bienveillante et asservie. Il va falloir qu’elle commence à « aboyer » fort ses valeurs pour reprendre le mot de l’archevêque de Paris !

Certains chrétiens voient dans cette tragédie une « punition divine » s’inscrivant éventuellement même dans un mouvement apocalyptique. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Ces évènements me semblent plutôt emprunts de pédagogie divine. Ils nous invitent à une humilité absolue, à revenir au réel, à l’altérité et à faire face à notre incapacité à tout maitriser. Malheureusement, ils génèrent des angoisses existentielles débouchant parfois sur des théories du complot ou des velléités de voir dans la crise un châtiment de Dieu. Enormément de gens aussi, se sont bornés à se tourner vers la technoscience, qui reste la religion de l’époque, même si son impuissance est évidente. Il y a cependant bien quelque chose de la révélation apocalyptique dans cette tragédie et ses conséquences auxquelles seule l’émergence de la transcendance pourra apporter une solution.

Êtes-vous optimiste ou pessimiste quant à la suite ?

Je me veux plutôt réaliste. Il a fallu cette crise pourtant presque anecdotique, au regard par exemple des dix enfants mourant de faim dans le monde chaque minute depuis des années, pour nous secouer. Cela sera-t-il suffisant pour que le monde d’après ne soit pas le monde d’avant ? Pas sûr ! Beaucoup de personnes semblent déjà simplement envisager ces semaines comme une désagréable parenthèse. Je suis convaincu pour ma part qu’on ne peut pas faire l’économie d’un courageux débriefing sur les régressions anthropologiques et les conséquences humaines que nous ont fait vivre cet épisode épidémiologique…

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« Le coronavirus m’a plongé dans une faiblesse totale »

Personnellement, comment avez-vous vécu la pandémie ?

J’ai attrapé le coronavirus en janvier. On avait cru d’abord à une pneumonie atypique. Je suis resté isolé dans mon cabanon d’Epinassey (VS) afin de ne contaminer personne. J’avais perdu le sens du goût et étais dans une faiblesse physique totale. Si j’essayais de travailler, ma tête s’effondrait sur le clavier. Passé la frustration, j’ai dû accepter le réel. Expérimenter le décalage entre le volontaire que je suis habituellement et l’incapable que j’étais alors fut édifiant. D’autant qu’avec l’âge, un jour cette vulnérabilité deviendra peut-être mon état général.

Avez-vous eu peur de mourir ?

Non. D’une part car c’est une peur que j’avais travaillé au contact des avalanches ou des guerres et d’autre part parce que pour moi, la mort est une espérance.

L’isolement vous a pesé ?

Non. Je n’ai jamais cherché moi-même à courir le monde pour donner des conférences comme je le fais et je garde une immense nostalgie de mes cinq années d’ermitage solitaires dans la falaise de St-Maurice. Cela faisait des années que je n’avais pas dormi plus de quatre nuits au même endroit. Cette vie m’avait rendu inattentif à certains détails de ma vie intérieure. Ce fut providentiel de retrouver un rythme plus humain et de me recentrer même si ce processus releva parfois de la « claquothérapie » (rires).

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