La canonisation de Charles de Foucauld serait-elle un déni d’histoire ? (21/07/2020)

Le journal « Le Monde » offre une tribune complaisante à la contestation  de « l’ermite du Hoggar » :

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" Déclaré vénérable en avril 2001, puis béatifié en 2005, Charles de Foucauld (1858-1916) sera prochainement canonisé après l’autorisation donnée le 26 mai par le pape à la publication de huit décrets de la Congrégation pour les causes des saints. L’un d’eux attribue un miracle à Charles de Foucauld : l’opération réussie, en novembre 2016, d’un jeune charpentier qui avait fait une chute de quinze mètres sur le chantier de restauration de la chapelle de l’établissement scolaire Saint-Louis, à Saumur.

Un premier miracle imputé à l’intercession de Charles de Foucauld, celui d’une Italienne de Milan guérie en 1984 d’un cancer des os, avait été versé au dossier de sa béatification de 2005. La reconnaissance du second à Saumur ouvre la voie à sa canonisation.

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Celle-ci va inévitablement relancer le débat sur la complexité de l’œuvre politique et religieuse du prêtre. Etabli en 1905 à Tamanrasset, Foucauld installe son ermitage dans le Sahara algérien où il partage le mode de vie des Touareg, jusqu’à son assassinat en 1916. Depuis lors, il est magnifié par certains comme un « martyr » qui a dévoué sa vie à l’Absolu et à la paix entre les hommes (Jean-François Six, 2000), certains le qualifiant même d’« extraordinaire explorateur pénitent » (Bénédicte Durant, 2012).

Les traumatismes de la colonisation

Cependant, cette image d’exemplarité évangélique apparaît contestable pour d’autres, qui rappellent les profondes convictions nationalistes et colonialistes de cet ermite saharien, défenseur d’une guerre totale contre l’Allemagne lors de la Grande Guerre (Jean-Marie Muller, 2002). De plus, certains universitaires dénoncent son implication directe dans les opérations militaires coloniales contre les tribus rebelles (Hèlène Claudot-Hawad, 2002) et pour ses idées en faveur d’une désorganisation des structures sociopolitiques touareg (André Bourgeot, 2014).

Qui est réellement Charles de Foucauld ? Comment sa future canonisation est vue depuis l’Afrique alors que les traumatismes de la colonisation affectent encore les sociétés touareg ? En quoi cette sanctification apparaît dissonante dans un contexte de remise en cause des figures colonialistes, cinq ans après la canonisation controversée de Junipero Serra (1713-1784) aux Etats-Unis d’Amérique ?

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Le vicomte de Foucauld, ancien élève de Saint-Cyr à la vie dissolue, officier de l’armée coloniale dans le sud oranais et explorateur du Maroc déguisé en rabbin sous le nom de Joseph Aleman (1883-1884), est ordonné prêtre en 1901 avant de rejoindre l’Algérie, où il s’installe dans le Hoggar. Si son engagement spirituel et sa contribution scientifique à la connaissance de la langue et de la culture touareg sont remarquables – il est l’auteur d’un monumental Dictionnaire touareg-français qui fait référence –, il ne faut pas pour autant occulter son nationalisme et ses fortes convictions colonialistes.

Trahissant de fait les Touareg

En effet, « Charles de Jésus » est le précurseur de la théorie interventionniste de destruction des structures sociopolitiques, d’isolation culturelle et de déterritorialisation des sociétés touareg dans une logique d’acculturation, première étape vers l’assimilation. Fervent partisan de la colonisation, l’ancien sous-lieutenant prit personnellement part à plusieurs tournées militaires, avec le capitaine Dinaux, dont l’objectif était d’affirmer la soumission des Kel Ahaggar et de faire accepter un « impôt qui fut une marque tangible de cette soumission », selon la formule même du commandant Laperrine, dont il fut très proche.

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L’ermite de l’Assekrem s’associa également aux « missions d’apprivoisement » consistant à multiplier les marques de soumission (Paul Pandolfi, 1997), prodiguant nombre de renseignements aux militaires, trahissant de fait la confiance des Touareg. Ses explorations et ses données collectées serviront aux troupes coloniales lors de la conquête du Maroc et du « pays touareg ».

A l’image de sa vie, les circonstances réelles de sa mort, en décembre 1916, sont en débat : mort en martyr pour ses convictions religieuses ou assassiné pour trahison par des Kel Ahaggar et des Kel Ajjer ralliés à Koacen, leader de la résistance dans l’Aïr, représentant « à leurs yeux un symbole insidieux de la colonisation » (Bernard Nantet, 2013).

« Auxiliaire incomparable » des militaires

Martyr ou agent de renseignement, son engagement auprès des commandements militaires sahariens est reconnu par les historiens. En témoignent les centaines d’échanges épistolaires avec les commandants saint-cyriens Depommier et Laperrine, « dont il fut l’auxiliaire incomparable » (Hélène Claudot-Hawad, 2002). Les idées « foucauldiennes » et ses renseignements fournis à l’armée coloniale ont influencé la stratégie de conquête du « pays touareg ».

Doté d’une solide intuition stratégique, afin d’accroître la puissance de l’empire colonial français, le prêtre savant a élaboré un plan de réorganisation de l’annexe de Tidikelt en 1912. La reconnaissance officielle de ce plan intervient avec le décret du 11 juin 1924 et préfigure la création en 1957 de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) à la veille de la décolonisation, une refonte administrative qui va fortement déstabiliser l’ensemble des sociétés touareg.

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Adhérant profondément à l’entreprise coloniale, son engagement actif révèle un autre aspect indissociable de sa personnalité : un attachement ambigu aux Touareg, puisque le découpage territorial proposé par Foucauld contribue au cloisonnement des zones d’influence de l’ettebel (unité politico-spatiale) des Touareg (Kel Ahaggar et Kel Ajjer). Il conseille également la destruction de leur amenokolat (chefferie traditionnelle) afin de consolider l’emprise coloniale (André Bourgeot, 2014).

Imprégné d’idées colonialistes

En conclusion, la canonisation de Foucauld réquisitionne à la fois l’actualité africaine, américaine et internationale. Alors que les conséquences de la pensée politique du moine soldat affectent encore la stabilité des sociétés touareg, sa canonisation est perçue par certains intellectuels touareg comme un « déni d’histoire » et une « expression de la banalisation de la mémoire coloniale » par le pape François.

Surtout que cette prochaine sanctification fera écho à celle de Junipero Serra, canonisé par le pape François en septembre 2015, alors que ce personnage était dénoncé par les peuples amérindiens, notamment la nation Kizh Gabrieleno qui le qualifie de « meurtrier de leur peuple et de leur culture ».

Dans le contexte mondial de dénonciation de figures esclavagistes et colonialistes, l’Eglise se retrouve face à son histoire, comme lors de la controverse de Valladolid, en 1550, même si cette rencontre s’est finalement soldée par le développement de la traite transatlantique suggérée par le cardinal Roncieri, représentant du pape Jules III.

Dès lors, s’il faut admettre que Junipero Serra ou de Foucauld ont été des hommes de leur temps, imprégnés d’idées colonialistes, l’Eglise, qui est une citadelle de la « civilisation universelle », ne saurait évoluer en marge des mutations sociales présentes. Ces questions vives mobilisent la jeunesse, comme on a pu l’observer, avec des déboulonnages de statues de personnages controversés dans le monde.

A l’aune de ces évolutions, la canonisation de Foucauld semble en inadéquation avec cette nouvelle conscience planétaire. L’Eglise ne peut demeurer indifférente en érigeant ce moine soldat, figure majeure de l’histoire coloniale du Sahara, en symbole d’exemplarité. Elle se doit au contraire d’assumer pleinement sa responsabilité historique à l’égard de l’Afrique et des Touareg ".

Ref. La canonisation de Charles de Foucauld, un déni d’histoire

Cette tribune est signée  Ladji Ouattara, de nationalité ivoirienne, enseignant à l’université d’Evry (France) et à l’université Abdou-Moumouni de Niamey (Niger). Ladji Ouattara,  titulaire d’un doctorat d’histoire obtenu à l’université catholique de Louvain (Belgique), couveuse complaisante de toutes les contestations idéologiques, politiques et morales.  

Pour éclairer la portée des enjeux nous nous permettons de renvoyer à l’essai de Chantal Delsol « Le crépuscule de l’universel » que nous avons présenté ici , voici quelques jours.

JPSC

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