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Du modernisme à la crise dans l’Église

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x610.jpgLe dernier n° du mensuel « La Nef » (n°224, mars 2011) publie un débat entre Jean Madiran et Emile Poulat : deux témoins de plus d’un demi-siècle de la vie de l’Église. L’un et l’autre ont écrit sur les rapports entre l’Église et la modernité.

Jean Madiran a fondé la revue Itinéraires en 1956 et il en a été le directeur jusqu’à sa fin en 1996 ; il a été co-directeur du quotidien Présent (1982-2007) dont il est toujours éditorialiste. Témoin engagé et militant de la vie de l’Église, il a été l’un des principaux intellectuels de la résistance traditionaliste après le concile Vatican II et la réforme liturgique. Il est l’auteur d’une œuvre abondante.

Émile Poulat est historien et sociologue, assurément le meilleur spécialiste français de l’Église contemporaine, directeur d’études à l’École des hautes Études en Sciences Sociales (il est membre fondateur du Groupe de sociologie des religions), directeur de recherche au CNRS, il est aussi membre du comité de direction ou de rédaction de plusieurs revues. Il a publié plus de trente livres.

Quelques extraits de leur débat :

La Nef – Commençons notre débat avec la crise moderniste : qu’est-elle exactement ? 

 Emile Poulat : (…) Vous avez là le conflit entre deux types de cultures, l’une qui fait référence au surnaturel, qui l’intègre dans son analyse, et l’autre qui entend s’en passer en demeurant strictement au niveau de l’analyse rationnelle Le mot-clef du modernisme, c’est le naturalisme et ses problèmes dont on n’est toujours pas sorti. On y verra certes plus clair le jour où le père de Lubac rappellera que l’Écriture a toujours eu plusieurs sens pour les auteurs du Moyen-Âge, mais le conflit est irréductible entre une interprétation qui se veut strictement positive et une autre qui invoque d’abord la Révélation, sans rejeter au demeurant les méthodes historico-critiques, comme le père Lagrange l’a fait (…)

Jean Madiran : (…) Il est très difficile aujourd’hui de faire comprendre aux gens cette simple vérité philosophique que l’existence de causes secondes ne supprime pas l’existence de la cause première et que l’existence de la cause première ne supprime pas l’existence des causes secondes. Le développement des études sur les causes secondes n’a pas qualité pour juger la réalité de la cause première. (…).S’il ne peut rester de la religion chrétienne que ce que les sciences de la matière admettent, alors il ne reste rien, puisque les sciences de la matière ne connaissent que la matière : le modernisme est ce scandale.

 

La Nef – Ce débat autour du modernisme ne rejoint-il pas finalement celui des rapports entre la raison et la foi, auquel le pape Benoît XVI attache tant d’importance ?

Émile Poulat  Le débat entre la foi et la raison est un débat qui m’est étranger car «  fides et ratio » est intraduisible en langage moderne. Le véritable débat est entre ratio et raison. Quand on traduit ratio par raison, on néglige une transformation. Ma conviction profonde, au cœur de ma culture, c’est qu’on ne peut ignorer l’historicité de la raison comme d’ailleurs de la foi. La raison thomiste (ou plus largement médiévale), c’est la raison illuminée par la foi. La raison moderne, kantienne ou même déjà cartésienne, c’est la raison réduite à elle-même et à ses seules ressources. Or cette raison strictement limitée – bornée, si vous voulez – va construire une vision scientifique du monde qui s’écarte de plus en plus de sa représentation biblique et de tout ce qui en découle pour le magistère catholique qui s’est d’abord raidi et a condamné avant de s’adapter.

Jean Madiran – On peut dire que le débat tourne autour de la raison thomiste et de la raison moderne, kantienne et marxiste. Je pense qu’il y a d’un côté la raison et d’autre part la déraison. La raison est la même chez Aristote, chez saint Thomas et chez Gilson (…). La science fait des progrès continuels dans la domestication de la matière, y compris de la matière vivante, mais elle ne peut imposer de morale, si elle le fait, c’est un abus considérable : la science devrait être soumise à la morale. La modernité, c’est donc bien de refuser toute loi morale qui n’est pas choisie par la conscience individuelle.

 

La Nef – Dans son fameux discours du 22 décembre 2005 à la curie romaine, Benoît XVI explique qu’« il fallait définir de façon nouvelle la relation entre foi et sciences modernes », ainsi que « le rapport entre Eglise et État moderne », ce qu’a fait le concile Vatican II. Dans cette optique, Benoît XVI, après Jean-Paul II, revient sans cesse sur la nécessité de prendre en compte la loi naturelle pour éviter que nos démocraties ne sombrent dans le relativisme. Remettre au goût du jour la loi naturelle, n’est-ce pas un défi d’ordre intellectuel mais qui est aussi une façon de résorber le conflit entre les deux cultures dont vous parlez ?

Émile Poulat – Quand on parle de droit naturel ou de loi naturelle – ce qui est différent –, on évoque quelque chose devenu extrêmement flou, de totalement absent de la culture laïque moderne mais aussi de la culture catholique.(…).Le droit naturel a figuré au programme des facultés de droit de l’État jusqu’au milieu du XXe siècle. Depuis la tradition s’est estompée, nous avons perdu la mémoire. En fait, ce qui s’est perdu dans la pensée contemporaine, ce qui a perdu toute signification, c’est, avec saint Thomas d’Aquin, le sens fort du mot natura et son rapport à une ontologie.

 

La Nef- Précisément, comment situez-vous le concile Vatican II dans ce débat ? (…)  Comment, pour vous, ce Concile s’inscrit-il dans cette problématique de la modernité ? A-t-il réussi à éviter une plus grande débâcle ou au contraire a-t-il été à l’origine d’un plus grand désordre ?

Jean Madiran – Le problème est que lorsqu’on parle du Concile, il est souvent très difficile de savoir de quoi on parle. On sait ce qui s’est passé après le Concile dans l’Église, au nom du Concile, mais savons-nous si ce sont les textes qui sont à l’origine des erreurs ou le problème vient-il de l’interprétation ? Il existe un embrouillamini complet du côté de l’autorité responsable (…). Je crois que j’ai été le premier, à ma connaissance, à écrire publiquement que s’il y a des difficultés d’interprétation dans ce Concile, l’interprétation qui devra avoir lieu sera en fonction des critères de la tradition antérieure de l’Église. Je n’ai pas fait cette interprétation, j’ai posé ce principe et sur ce principe-là j’ai été désigné en 1966 comme opposant à « l’esprit nouveau?

Emile Poulat- Le « Concile » recouvre trois choses bien différentes. Il y a d’abord les actes du Concile, puis ce qu’on a appelé « l’esprit du Concile », que je considère particulièrement volatile, et enfin le langage du Concile avec une expression telle que « la liberté religieuse ». Depuis le Syllabus (1864), la liberté religieuse était perçue négativement comme une émancipation de la foi et de la discipline catholiques, et donc rejetée, dénoncée, condamnée. Si Vatican II la valorise, c’est que la même expression a changé de sens.  (…).Je dirais qu’un texte est par essence flou et susceptible d’interprétations multiples

Jean Madiran – Sur le Concile, disons que les nouveautés apportées sont des nouveautés pastorales soulevant des questions doctrinales qui n’ont pas été traitées en tant que doctrinales. Les uns n’expliquent pas parce qu’ils ne veulent pas dire jusqu’où ils veulent aller, et les autres parce qu’il est tellement difficile de sortir l’Église de ce désordre, qu’il faut s’y prendre avec précaution. Benoît XVI essaie par exemple de remettre à genoux devant Dieu les catholiques qui ne le font plus et l’on voit les résistances que cela occasionne (…).

 

La Nef – Pour conclure, un mot sur votre façon de voir l’avenir de l’Église ?

Emile Poulat- (…) Actuellement ce qui me paraît manquer, c’est la réflexion. On assiste à une gestion de la vie quotidienne, des paroisses, des diocèses, mais il nous manque une véritable pensée catholique et je crains que ce soit une situation appelée à durer. La dernière grande vision pontificale du monde à venir me semble avoir été l’encyclique de Jean XXIII, Pacem in terris (1963).

Jean Madiran – Je ne crois pas aux grands projets pastoraux. Ce que j’espère, c’est que l’Église, dans la mouvance de Benoît XVI, soit appelée à dire ce que Dieu veut, dans l’esprit de ce que disait Bernadette, à propos du message de la Sainte Vierge, à savoir qu’« elle est chargée de le dire et pas de le faire croire » (…).

Texte complet ici :Débat entre Jean Madiran et Emile Poulat

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