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L'Allemagne allergique à la Rome catholique ?

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En septembre, le pape sera dans sa terre natale. Fera-t-il mentir l'adage selon lequel nul n'est prophète en son pays? Le Vatican Insider a rencontré un intellectuel allemand et nous propose cet interview que nous avons traduit, non sans difficultés. (http://vaticaninsider.lastampa.it)

"Martin Mosebach, de Francfort, a commencé à écrire après avoir étudié le droit dans sa ville natale. Il est à compter au nombre des plus grands écrivains contemporains de l'Allemagne. Catholique convaincu, il compose des scénarios et des pièces radiophoniques et est connu pour ses romans, pièces de théâtre, et par le journalisme. En 2007, il a remporté le Prix Georg Büchner, la plus haute récompense pour les auteurs de littérature en langue allemande.

- Depuis le Moyen Age jusqu'à la sécularisation survenue en Europe en 1806, le "Saint Empire romain de la nation germanique." était une réalité. «Sacré», «Romain», «Germanique», trois épithètes qui coexistaient dans la même appellation. Cela suggère que les Allemands n'avaient pas de problèmes avec la Rome des Papes ?

L'Empire romain-germanique, qui était en fait une union plutôt effacée, correspondant essentiellement à une sorte de fiction juridique, avait l'ambition d'être le royaume de tous les chrétiens. Le catholicisme était associé à une idéologie politique ou assumait un rôle politique spécifique relevant du caractère sacré de l'Empire qui à l'instar "d'une mère-poule protègeant ses poussins, en essayant de les tenir ensemble sous son aile" tentait de tenir uni sous son aile protectrice l'ensemble des nations chrétiennes. Combien de fois cette idée a-t-elle été tournée en objet de dérision! Et combien tristement son impuissance s'est démontrée au cours de l'histoire! En tout cas, nul ne peut nier que cette idée ait été sous-jacente dans cet empire. Les idées montrent leur vitalité et leur pouvoir de façonner l'imagination, et cela n'est pas dû au fait qu'elles se réalisent; la mise en application, au contraire, porte souvent aux idées un coup fatal. Le fait que, une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, trois catholiques (dont deux sont en l'objet d'une procédure de béatification, à savoir Robert Schuman et Alcide de Gasperi) aient repris, après l'inéluctable processus de sécularisation, le rêve de l'Empire voulu par Charlemagne, et ont voulu le proposer à nouveau par la constitution d'une Europe Unie à une opinion surtout laïque motivée par des raisons d'ordre économique, ce fut comme une réminiscence de cette idée tenace de l'Empire, d'un héritage inexorablement évanoui.

- La vieille conception impériale ayant été abandonnée ou ayant échoué, est-ce la raison qui a engendré l'hostilité des Allemands au catholicisme?

Pour autant que cet ultramontanisme et ce supranationalisme catholiques soient typiques de l'Allemagne, il est également vrai et indéniable qu'une telle attitude, tellement répandue chez les Allemands, est unique en son genre parmi les cultures européennes; elle implique une tension et une lassitude que l'on n'est plus finalement en mesure de supporter. La «Discordia Germaniae» remonte à l'époque de Tacite. Depuis le premier instant de son existence culturelle, ma patrie, l'Allemagne, a connu la division en son sein, entre la zone colonisée par les Romains d'une part et la terre des barbares de l'autre. Dès le moment où l'on réalise ce qu'est la réalité de ce qu'est l'Allemagne, de ce peuple civilisé, et même de ce peuple civilisé par excellence, et si on l'appréhende correctement, on réalise que les germes de la discorde irrémissible et de la haine suicidaire étaient inscrits en elle. Dans l'histoire, cette prédisposition s'est vérifiée de siècle en siècle. (...) "Il règne une aversion anti-catholique", ainsi commençait un essai célèbre de Carl Schmitt; à l'allégeance à Rome, à l'ultramontanisme des catholiques allemands, a toujours répondu, de la part d'autres Allemands, une haine profonde contre Rome, une autocomplaisance nationaliste.

- Comment s'est manifestée cette haine de Rome, ou plutôt quel a été son impact?

La Réforme de Martin Luther, qui a institutionnalisé la guerre civile dans mon pays, la guerre de Trente Ans, la sécularisation, le Kulturkampf, le mouvement «Los von Rom» ("Détachons-nous de Rome"), constituent les différentes étapes d'un processus qui s'est manifesté à son heure, et auquel sont associés des attaques de plus en plus acerbes venant du monde de la science et la philosophie à l'égard de l'Église de Rome.

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Mais aujourd'hui il s'agit d'un sentiment anti-catholique et anti-romain, non seulement présents chez des protestants, mais même parmi les catholiques allemands eux-mêmes. Pourquoi?

Le nouvel aspect qui caractérise la situation actuelle est le fait que, dans la plupart des régions, il n'y a  plus un front anti-chrétien, hostile aux catholiques "philo-romains" ou aux protestants anti-catholiques, parce que la grande partie des théologiens catholiques et, selon les chiffres officiels, même parmi les laïcs, sont devenus des adversaires acharnés de Rome. Le catholicisme post-conciliaire, partisan de valeurs oecuméniques partagées avec les protestants, s'est rangé à la tête des adversaires de Rome. On pourrait aller même aller jusqu'à dire que l'hostilité anti-romaine des néo-catholiques constitue jusqu'à présent la seule mesure réelle du mouvement œcuménique postconciliaire. L'ultramontanisme, autrefois typique de l'Allemagne, se réduit aujourd'hui à une petite minorité qui n'a pas la possibilité de faire face et ne bénéficie d'aucun soutien au sein de l'Eglise catholique (...)

- Nous arrivons maintenant à la visite de Benoît XVI en septembre. Dans sa lettre aux évêques du monde entier, après l'affaire Williamson, le pape allemand a parlé de l'opposition hostile prête à s'en prendre à lui. Pourquoi l'opinion publique allemande se montre-t-elle aussi hostile alors qu'il s'agit de leur propre pape?

Un Allemand, Successeur de Pierre, est précisément ce qui devait déclencher le potentiel d'agressivité du processus dont nous avons parlé plus tôt. Un pape allemand issu de cette célèbre fraction ultramontaine, considéré désormais comme dépassée, a déclenché les forces anti-romaines au sein du catholicisme allemand. La visite du Souverain Pontife, prévue pour septembre a, selon moi, un seul précédent historique analogue : la visite du pape Pie VI à l'empereur Joseph II à Vienne, pour persuader le roi de ne pas supprimer tous les monastères et leurs domaines attenants. Cette tentative, comme on le sait, a échoué, même si l'empereur qui voulait soumettre l'Église au pouvoir de l'Etat a dû prendre acte du fait que le catholicisme ne pouvait se laisser écraser ainsi sans provoquer une réaction forte du pape. Mais la présence du pape était en soi suffisante pour émouvoir le cœur des gens, sans distinction, de la campagne et de la ville, accourus en rangs serrés, au plus grand dam de l'empereur, pour invoquer la bénédiction de l'évêque de Rome.

C'est une folie d'espérer que l'Eglise allemande du XXIe siècle, où tant de dirigeants se dépensent tellement en faveur d'un «dialogue» de mauvais augure en vue de créer une Eglise nationale, ravive la mémoire de ses anciens sentiments ultramontains et manifeste simplement à son Pasteur son désir de rester catholique avec le pape et non pas contre lui. Ou peut-être que le Pape Benoît, qui est un grand patriote, devra prendre acte du fait que, pour un pape allemand, il n'y a pas de pays plus étranger et plus éloigné de lui que sa propre mère-patrie?

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