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Quand Pie XII cachait et protégeait des familles juives au Janicule

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Zenit.org met en ligne cette information apportée par Giovanni Preziozi ainsi que l'interview qu'il a accordée à Antonio Gaspari :

ROME, Jeudi 25 août 2011 (ZENIT.org) – Il ressort des recherches menées par Giovanni Preziosi que la Société du Sacré-Cœur de Jésus, située sur la colline du Gianicolo (Janicule) à Rome, a elle aussi caché et protégé des familles juives, sur intervention directe et instructions du pape Pie XII, serviteur de Dieu.

Dans un article publié par l’Osservatore Romano le 11 mai dernier, Giovanni Preziosi raconte avoir entamé une recherche patiente et minutieuse dans les archives générales du Sacré-Cœur, où il a découvert des documents jusqu’ici inédits. Il s’agit du Journal de la maison ‘Villa Lante’, dans lequel les religieuses notaient au jour le jour tous les évènements concernant l’institut, à l’époque sous la direction spirituelle de la supérieure générale d’origine espagnole Manuela Vicente, secondée par la mère vicaire Giulia Datti. Les deux religieuses assuraient le soutien logistique et l’organisation propres à faciliter l’accueil des réfugiés juifs et de nombreux autres antifascistes.

Selon les documents découverts par Giovanni Preziosi, les religieuses s’adonnèrent à ces activités suivant les directives du pape d’alors, Pie XII. Il semble, en effet, que le pape entretenait d’excellents rapports avec cette congrégation religieuse : dans les années Trente, alors qu’il était cardinal, il s’était déjà vu confier le rôle de protecteur de la Société du Sacré-Cœur.

Giovanni Preziosi collabore avec la “Civiltà Cattolica” et, de temps à autre, avec “l’Osservatore Romano”. Un grand nombre de ses recherches sont publiées sur le blog http ://giovannipreziosi.wordpress.com/.

Compte tenu de l’actualité et de l’intérêt de ces recherches, ZENIT l’a interviewé.

ZENIT : Que révèlent les documents découverts dans les archives générales de la congrégation de droit pontifical, la Société du Sacré-Cœur de Jésus, située au Gianicolo à Rome  ?

Giovanni Preziosi : Ces documents, totalement inédits, que j’ai découverts lors d’une patiente et méticuleuse recherche dans les archives générales de la Société du Sacré-Cœur – un institut de droit pontifical fondé sur la colline du Gianicolo, au début du 19e siècle par Madeleine-Sophie Barat - se sont immédiatement révélés d’un intérêt considérable sur un plan historiographique, jetant un éclairage nouveau sur la question controversée des soi-disant « silences » de Pie XII à propos de la Shoah et démontrant, au-delà du doute raisonnable, combien est fallacieuse et dénuée de fondement la thèse – qui a fait de façon catégorique les « honneurs » de la chronique des années 60 et été alimentée par la suite par plusieurs partis jusqu’à nos jours ; selon cette thèse, le pape aurait suivi avec cynisme cette politique du « silence » pour de simples et sinistres calculs d’intérêt, ou d’ordre diplomatique.

Selon moi, ces polémiques ont toutefois été bénéfiques pour le progrès de la recherche historique : en effet, précisément ces derniers temps - grâce aussi à la recherche que j’ai évoquée dans l’Osservatore Romano et l’ouverture de plusieurs archives, y compris en partie les archives secrètes du Vatican – de nouvelles études attestent que la voix du pape a été, en fait, la seule à s’élever pour défendre tous ceux qui étaient persécutés. En témoignent, par exemple, le journal de la Maison de « Villa Lante » et le cahier, tenu méticuleusement au jour le jour par sœur Maria Teresa Gonzáles de Castejón dans le secret de sa cellule, qui donnent des détails jusqu’ici enveloppés du mystère et cachés dans les brumes de ces archives.

On y apprend, en effet, le rôle de premier plan que cette congrégation religieuse a joué, par l’entremise de la mère supérieure Manuela Vicente –adroitement secondée par la mère-vicaire Giulia Datti  : à la demande expresse de Pie XII – transmise par le Substitut du secrétariat d’Etat de Sa Sainteté pour les affaires ordinaires, Mgr Giovanni Battista Montini – elles se sont mobilisées pour offrir une assistance digne et l’hospitalité à de nombreuses personnes et, dans certains cas, à des familles entières, surtout de religion juive, qui de ce fait étaient impitoyablement recherchées par des nazis-fascistes, courant le risque d’être déportées dans les exécrables camps de concentration allemands aménagés pour la « solution finale ».

De quelle façon les religieuses ont-elles caché et protégé les juifs et autres personnes persécutées ?

Pour répondre à votre question, je préfèrerais laisser parler directement sœur Maria Teresa Gonzáles de Castejón. Voici ce qu’elle écrit avec un grand luxe de détails dans son journal : « Nous avions dans notre jardin une catacombe, servant de refuge. Cette catacombe était très spacieuse. Quelques familles, amis et connaissances de notre communauté, ont dormi dans le refuge de la maison mère ».

Suit la description minutieuse vraiment rocambolesque de l’épisode dans lequel fut impliquée la famille Sonnino, réfugiée depuis peu dans la Maison de la Société du Sacré-Cœur. Laissons encore la parole à sœur Maria Teresa : « Il y avait parmi nos réfugiés une jeune femme avec sa fille. Son mari, et je crois aussi son fils, avaient cherché refuge dans le Collège oriental des jésuites, Piazza Santa Maria Maggiore. Un matin, le père Gordello S.J. qui connaissait bien cette famille Sonnino, qu’il avait convertie au christianisme, arriva chez nous et me dit : il faut annoncer une triste nouvelle à madame Sonnino. Son mari est mort cette nuit d’une crise cardiaque. Au début de la nuit, les soldats allemands sont venus effectuer une perquisition (il y avait un assez grand nombre de réfugiés, juifs et autres). Comme l’Oriental [le Collège des jésuites)] communique de l’intérieur avec le Collège russe (le Russicum, également dirigé par les Jésuites), nous les avons fait passer par là […] ». Mais la soudaine irruption des soldats nazis s’avéra fatale pour M Sonnino qui était encore sous le coup d’une autre crise cardiaque grave qui l’avait terrassé des mois avant. « Nous nous sommes mis à prier à ses côtés– raconte avec abondance de détails soeur Maria Teresa Gonzáles de Castejón –, quand les soldats allemands sont entrés à l’improviste  ; alors nous leur avons crié : Attention ! Il y a ici un mort ». Et elle conclut, soulagée : « Ils ont regardé sans rien faire ».

Cette œuvre louable d’assistance et d’hospitalité fournie par les religieuses de la Société du Sacré-Cœur est confirmée par le Journal de la maison, dans lequel on peut lire, dans une note autographe qui porte la date du 11 octobre 1943 : « Journée à la fois de grand travail et de grande terreur !... Pendant que toutes en haut s’occupent à débarrasser la salle d’école des bancs, tables, tableaux pour en faire une chambre à coucher, en bas à la porterie c’est un défilé de jeunes gens paniqués qui supplient d’avoir pitié d’eux et d’être mis à l’abri des Allemands qui cherchent à les déporter en Allemagne. La révérende mère et la mère économe descendent pour les calmer, les conseiller, les rassurer : cela a été une matinée d’angoisse d’une part et de grande bonté maternelle et compréhension de l’autre. C’est un sauve-qui-peut : les hommes, craignant d’être faits prisonniers par les Allemands, courent se cacher, ou du moins mettre en sécurité femmes et enfants […] la salle de l’école bien aménagée accueille des familles entières avec les nourrices dans la salle à manger et autour des trois tables se réunissent grands et petits de deux à soixante ans et plus ; il y a des épouses et mères de diplomates, de militaires, d’anciens élèves … ».

Dans les mois suivants, très exactement le 5 juin 1944, la supérieure générale reçut même la visite d’une personnalité éminente de l’aristocratie, nous parlons de la marquise Caterina Leonardi di Villacortese, dame de cour de S.A. la reine Hélène de Savoie, laquelle se présenta au « nom de Sa Majesté pour remercier mère Manuela Vicente de l’hospitalité qu’elle avait accordée à sa sœur, la princesse Milica [Petrović Romanoff], grande-duchesse de Russie », tenue scrupuleusement loin des regards indiscrets, au point même que les autres religieuses de la communauté ignoraient sa véritable identité durant tout son séjour à la maison de la Trinité des Monts. En effet, répondant au désir exprès du Saint-Siège, Madre Manuela Vicente avait accepté bien volontiers d’offrir l’ « hospitalité à la princesse Milica qui, en sa double qualité de sœur de la reine d’Italie et d’épouse du grand-duc de Russie Pietro Nikolaevič, était suspecte aux yeux des ‘occupants allemands’... et tout a été fait pour la cacher, seules les Mères connaissaient le véritable nom de cette princesse royale ».

Le pape Pie XII était-il au courant de la chose ?

A la lecture de ces documents, je dirais que oui. Notez bien cette date : 6 octobre 1943. Eh bien, il ressort des documents des archives de l'Office de service stratégique déclassés il y a quelques années que les forces alliées, précisément depuis le 6 octobre 1943, par le câblogramme numéro 19 étaient au courant de la dépêche secrète avec laquelle Hitler avait planifié le sort des huit mille juifs romains, ordonnant leur déportation dans les camps d’extermination allemands pour être définitivement « liquidés ».

Il est intéressant de noter la chronologie de ces faits qui coïncident étonnamment avec la circulaire vaticane en date du 25 octobre 1943, révélée par l’actuel secrétaire d’Etat le cardinal Tarcisio Bertone, qui demande d’offrir « l’hospitalité aux juifs persécutés par les nazis dans tous les instituts religieux et d’ouvrir les instituts et aussi les catacombes ». Comme on sait, quelques jours après, le 16 octobre, avait lieu la honteuse rafle du ghetto juif de Rome. Par conséquent, comme il ressort de façon incontournable de ces documents, les alliés étaient parfaitement au courant, et même avec dix jours d’avance, du plan scélérat que les Allemands s’apprêtaient à exécuter. Il fallait donc agir vite, et il ne semble pas du tout hasardeux de supposer que, à travers un quelconque canal diplomatique, le Vatican lui aussi avait connaissance de cette nouvelle. Par ailleurs, on ne saurait s’expliquer autrement l’empressement avec lequel Pie XII, par l’intermédiaire de Mgr Giovanni Battista Montini, avait exhorté la supérieure générale de la Société du Sacré-Cœur Manuela Vicente à aménager des refuges adéquats afin de donner asile aux juifs persécutés.

Il est intéressant de noter ce qui se produisit le 29 mai 1944. On lit, en effet dans le journal de la Maison que : « Une œuvre charitable a contraint hier la révérende mère à se rendre au Vatican pour obtenir les moyens de sauver une âme rétive à la grâce, mais le Seigneur a exaucé nos prières et nous savons, d’après une bonne lettre, que le zèle es Mères et S. E. Mons. Montini de la Secrétairerie d’Etat n’a pas été vain et que le danger s’est éloigné. Véritable grâce de l’Esprit Saint !... ».

Quels étaient les rapports entre le pape et la congrégation religieuse de la Société du Sacré-Cœur ?

Dans ce cas aussi, il est intéressant de noter comment avant de monter sur le trône pontifical, celui qui était alors le cardinal Eugenio Pacelli s’était déjà vu désigner, comme par un fait exprès, protecteur de cette congrégation religieuse. En effet, les rapports idylliques entre Pie XII et la Société du Sacré-Cœur remontaient aux années Trente lorsque le cardinal Pacelli s’était vu confier justement le rôle de protecteur de cette congrégation ; par la suite, ces rapports s’étaient renforcés avec la mère supérieure Manuela Vicente, aussi peut-on penser que ce sont ces relations de confiance qui ont conduit le pape à s’adresser sans hésiter aux religieuses de la société du Sacré-Cœur pour assurer un refuge sûr à quelques personnes de religion juive persécutées par les nazis-fascistes. Le Vicariat utilisait des canaux privilégiés avec la supérieure de la communauté, mère Yvonne De Thélin, tandis que le Vatican consultait directement la supérieure générale. En outre, il faut savoir que le directeur de la congrégation était un ecclésiastique de l’envergure du jésuite Père Tacchi Venturi, passé à l’histoire pour son rôle de maître à penser et interlocuteur raffiné entre le Saint-Siège et le régime fasciste.

Quelles sont les preuves attestant que le Saint-Siège avait mis sur pied et coordonné le réseau d’aide aux juifs persécutés ?

Les preuves qui attestent, au-delà du doute raisonnable, l’implication du Saint-Siège dans la coordination de ce réseau sophistiqué d’aide aux juifs sont contenues dans le Journal de la Maison « Villa Lante » de la Société du Sacré-Cœur. Dans le journal, en date du 6 octobre 1943, on peut lire un détail particulièrement intéressant. « La Révérende Mère [Manuela Vicente] a été convoquée au Vatican ; elle s’est rendue avec sœur Platania à la Secrétairerie d’Etat où S. E. Mons. Montini l’a priée, au nom du Saint-Père, d’héberger trois familles menacées, comme beaucoup d’autres, d’être arrêtées par les Allemands. Il lui a offert une voiture pour que la Mère puisse aller aussitôt à la Maison Mère demander les autorisations requises […] Une quinzaine de personnes sont déjà hébergées à Betania et la révérende mère étudie les moyens de trouver d’autres lieux d’hébergement adéquats pour mieux répondre aux désirs du Saint-Père qui daigne l’honorer d’une telle confiance ». En effet, cette thèse est corroborée dans le journal tenu par sœur Maria Teresa Gonzáles de Castejón, qui déclare ouvertement : « Nous savions que le Saint-Père avait ouvert les portes du Vatican aux réfugiés, surtout aux juifs, pour les sauver de la persécution raciste. Beaucoup de religieux et religieuses avaient suivi son exemple, et les révérendes mères Datti, Dupont e Perry décidèrent de cacher aussi des réfugiés ».

En outre, pour conjurer le danger de perquisitions nazies–fascistes à l’improviste dans les milieux ecclésiastiques, le Saint-Siège fait le nécessaire pour faire parvenir à tous les supérieurs des couvents romains un « avis » signé du gouverneur militaire de Rome Rainer Stahel. Dans cet avis il était dit explicitement que l’édifice était sous la dépendance directe de la Cité du Vatican et, par conséquent, dispensé de toutes perquisitions et réquisitions.

Il semble, en effet, que ce document était prêt au moins dès le 12 octobre 1943, ainsi qu’il ressort clairement des notes méticuleusement rédigées par les religieuses du Sacré-Cœur de Jésus dans le journal de leur maison de Villa Lante, dans lequel on peut lire : « Dans l’impossibilité de communiquer avec les différents vicaires, il serait bon de faire savoir aux révérendes mères qu’elles peuvent s’adresser à l’Ordinaire du diocèse pour les autorisations

... Des pouvoirs spéciaux provisoires ont été accordés par le Saint-Siège. En réalité, beaucoup de mères vicaires le savaient déjà. Le Vatican a fait savoir qu’un document était prêt, attestant que notre Maison mère était reconnue comme propriété du Saint-Siège. Aucune demande n’a été faite, mais cette protection sera accueillie avec reconnaissance. […] Cette attestation pourra être affichée à l’intérieur du portail … ».

Antonio Gaspari

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