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Une grande âme vient de migrer

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On apprenait hier la mort de Hector Bianciotti, auteur de nombreux livres où se révèle une âme tiraillée entre le doute religieux et le désir de croire. Un prêtre de chez nous, Benoît Lobet, a échangé un courrier important avec ce grand écrivain qui a fait l'objet d'une publication chez Gallimard : "Lettres à un ami prêtre 1989-1994". Nous en retrouvons la présentation dans les archives de l'hebdomadaire paroissial "Dimanche" sous la plume de Jérémie Brasseur :

Hector Bianciotti & Benoît Lobet

Les lettres ont été échangées de 1989 à 1994. Elles retracent la naissance d’une amitié au-delà des convictions divergentes (quoique proches sur bien des points) des deux personnages. L’écrivain est tourmenté par une sensibilité aiguë, capable d’exaltations extraordinaires, mais tracassé par les objections de sa raison. Le prêtre est attentif et confie à son tour les incertitudes que ne lui épargne pas sa vocation. Car Benoît Lobet ne se présente pas comme un prêtre dogmatique, campé sur son catéchisme et martelant des convictions. C’est “un prêtre humaniste, plutôt du côté de l’humanité que de la construction cérébrale”, comme en atteste l’écrivain René de Ceccatty, dans la préface de l’ouvrage.

Le dérisoire (horaires de train, évocation d’une fameuse bière belge brassée en abbaye, souvenirs de choses lues ou vues,...) côtoie des considérations plus élevées sur la grâce notamment, et l’efficacité de la prière. (Les épistoliers prient d’ailleurs beaucoup l’un pour l’autre, et ne cessent de se le rappeler.) Tout cela est très réjouissant. Vivant et stimulant d’un point de vue intellectuel... et spirituel !

Cher Hector...

Extrait d’une lettre du 2 septembre 1992 : voici ce que Benoît Lobet dit à propos de la prière de l’homme pécheur : “Vous ai-je déjà cité le commentaire de saint Augustin à l’épisode johannique de la ’femme adultère’ ? Alors que ses accusateurs, l’un après l’autre, ont quitté la place, la femme est restée seule, face à Jésus qui écrit (seul endroit du Nouveau Testament où l’on voit Jésus écrire) sur le sable (les exégètes disent qu’il écrit la Loi nouvelle, loi de libération et non plus de condamnation). Augustin commente ce moment en quelques mots : Relicti sunt duo, miseria et misericordia (’Ils sont restés à deux, la misère et la miséricorde’). Telle est, pour moi, la prière, et les prières vocales ont leur nécessité en ce qu’elles nous reconduisent à ce regard double porté sur notre abîme et sur l’abîme plus grand encore de l’amour que Dieu nous porte...”

On assiste, lettre après lettre, à la confrontation pacifique, et même sympathique, de deux grandes âmes qui se disent vraiment l’une à l’autre, avec leurs doutes et leurs fulgurances. Amitié, travail, voyage. La correspondance raconte tout cela, et particulièrement la genèse d’un projet littéraire : quand Benoît Lobet, sous l’instigation d’Hector Bianciotti, se lance dans la rédaction d’un essai sur la mystique Marie Noël, référence chère aux deux hommes. (L’ouvrage paraîtra en 1994, publié aux éditions Stock, sous le titre : Mon Dieu, je ne Vous aime pas !)

Cher Benoît...

Il y a quelque chose de fort indélicat, peut-être, à lire le courrier de ces deux-là. À se glisser dans l’intimité d’une telle amitié. La publication en est cependant légitime, si l’on écoute l’interpellation de l’académicien au prêtre théologien : “Je ne susciterai plus, dit-il, de ces lettres qui m’ont tant aidé et dont je vous offrirai une photocopie, car il faut s’en servir ; et ce qu’un jour on a exprimé avec bonheur, il faut le faire partager.” Et Hector Bianciotti ajoute : “Je vous choque peut-être avec mon cynisme d’écrivain... Maintenant vous aussi vous êtes entré en littérature.” Et avec quel bonheur pour nous ! Car s’il est vrai que la meilleure éducation réside dans la compagnie des grands hommes, il y a quelque chose de plus instructif encore à se glisser dans leur correspondance.

Jérémie BRASSEUR

Lettres à un ami prêtre - Gallimard - 170 pages.

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