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Quand Benoît XVI écrivait à l'Enfant-Jésus

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De Jean Mercier sur le blog “paposcopie”:

media-232711-2.jpg(…) une lettre d’enfant, écrite par un petit garçon de sept ans : “Cher Enfant Jésus, Descends vite sur la terre. Tu apporteras la joie aux enfants. Apporte-moi aussi la joie. Je voudrais un Volks-Schott, du tissu vert, et un coeur de Jésus. Je serai toujours bon. Salutations de Joseph Ratzinger”.

Voilà qui est aussi crypté qu’un message de gamin de 2012 signalant au Père Noël les références d’un jeu numérique... Mais l’Enfant Jésus aura compris tout de suite que le Volks-Schott est le Missel de l’Allemagne de 1934 et que le tissu vert est une référence à la couleur des ornements liturgiques. L’Enfant Jésus ne s’étonnera guère puisqu’il sait que le passe-temps favori des petits Joseph et Georg, est de jouer à la messe...

A cette époque, il n’est pas rare que des jeunes garçons jouent au curé, revêtant des habits confectionnés par leur mère ou la couturière familiale, avec des autels miniatures et tout le matériel liturgique approprié. C’est la version masculino-pieuse de la dinette. De tels jouets apparaissent dans les catalogues des marchands de jouets jusque dans les années 40. Dans des pays catholiques, il y a alors un marché pour ça.

Des milliers de garçons ont ainsi joué au prêtre étant enfants. Mais à l’adolescence, ils ont jeté patène, calice et surplis aux orties. Les deux jeunes Ratzinger se sont tellement pris au jeu qu’il en sont devenus prêtres, et qui plus est le même jour, en juin 1951. Incroyable gémellité. Leur sacerdoce est une affaire de famille. Et de sacrifice. En 1939, alors que Joseph entre au petit séminaire, sa soeur aînée Maria arrête ses études et se met à faire des ménages pour que les parents puissent payer ses frais de scolarité au séminaire. Impensable de nos jours, même dans une famille super catho. Tout comme un costume de prêtre et un mini autel le seraient dans les souliers au pied du sapin...

Tout ça, non pas pour épiloguer sur la colossale mutation culturelle qu’a connu l’Eglise, et qui explique en partie la pénurie des vocations sacerdotales en Europe... Mais pour explorer la figure sacerdotale de Benoît XVI. Depuis l’enfance, Ratzinger est prêtre dans toutes les fibres de son imaginaire, de son affectivité. Comme Jean Paul II le fut aussi. Non pas dans l’enfance, mais à partir de son expérience de solitude pendant la guerre, qui l'amena à ce choix radical. 

Un pape est une sorte de prêtre total, dans une sorte d’identification maximale au Christ, l’unique Grand Prêtre. Puisque c’est Noël, je voudrais explorer le lien qui existe entre ce que nous célébrons - l’incarnation de Dieu en un Fils, Jésus Christ - et l’institution de la papauté. Je sais, c’est risqué...

Un peu de théologie s’impose. L’incarnation de Dieu est ce moment de l’Histoire où Dieu décide de rejoindre la condition humaine afin de l’aimer radicalement et de la sauver.

La première étape de l’incarnation dessine un arc qui va du “oui” de Marie à l’ange Gabriel jusqu’à l’Ascension, en passant par la Crèche et la Croix. C’est le temps du Christ dans la chair.

Il existe une deuxième étape du Temps de l’incarnation, dans laquelle nous sommes encore aujourd’hui, un arc qui va de la Pentecôte au retour du Christ : à partir du don de l’Esprit Saint, la présence du Christ se trouve comme “éclatée” au sein de ses disciples.

On en trouve un pictogramme dans la fameuse scène du boiteux de la Belle Porte, dans les Actes des Apôtres (ch 3) : Pierre et Jean montent au Temple de Jérusalem. A la Belle Porte, se trouve un infirme de naissance, qui sollicite les aumônes. Le texte raconte ainsi : “Pierre fixa les yeux sur lui, ainsi que Jean, et dit : Regarde nous ! Il tenait son regard attaché sur eux, s’attendant à en recevoir quelque chose. Mais Pierre dit : “De l’or ou de l’argent, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne, au nom de Jésus Christ, marche !” Pierre prend l’homme par la main, le fait lever. L’estropié se met à bondir sur ses jambes.

Le parallèle entre ce miracle et ceux réalisés par Jésus lors de sa vie terrestre est absolument saisissant. Le message est très clair : la force victorieuse du Christ est désormais passée dans chacun de ceux qui croient en lui et invoquent son nom.

Le “deuxième étage de la fusée de l’incarnation” (c’est une invention à moi !) est donc celle qui se prolonge dans les apôtres, d’une façon mystérieuse. Jésus est désormais présent au sein de chacun d’entre ceux qui ont été baptisés dans le feu de son Esprit. Notez que Pierre n’était pas seul pour son “miracle”, puisqu’il était accompagné par Jean. Il demande explicitement à l’infirme de les fixer du regard tous les deux ensemble, ce qui n’est pas évident à faire... C’est un signe que ce deuxième étage de la fusée implique l’Eglise comme fraternité. Dieu y agit à travers des couples de force, des personnalités complémentaires, voire “opposées”. “Là ou deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux” (Mt 18,20)

L’incarnation du Christ dans l’Enfant emmailloté de la Crèche débouche donc sur le mystère de la médiation de la présence du Christ à travers l’Eglise. Célébrer Noël implique de célébrer le mystère de la présence active du Christ à travers chacun de ses disciples. Nous célébrons la médiation de la réalité divine par les hommes eux-mêmes. Voilà ce qui fait le coeur du christianisme.

Ce “deuxième étage” de la fusée de l’Incarnation est vraiment un insondable mystère. Il n’est pas anodin que cette puissance soit relatée comme étant celle de l’apôtre Pierre, car les Ecritures nous décrivent que Pierre a présumé de ses forces en annonçant à son Maître qu’il serait prêt à mourir pour lui. Puis il l’a renié au moment de sa Passion. Cela veut dire qu’en une même personne peut cohabiter la faiblesse qui conduit au péché et la puissance du Christ ressuscité. C’est la vocation difficile du baptisé : être le médiateur du Christ à travers ses forces, sa grandeur. Et en dépit de son péché, de ses limites.

L’Eglise catholique pousse les choses encore plus loin en ce qu’elle affirme que cette médiation du Christ passe à travers une hiérarchie visible, identifiée à travers les prêtres, les évêques et le pape. C’est une sorte de troisième étage à la fusée du mystère de l’incarnation. Le prêtre agit, particulièrement dans les sacrements, in persona Christi. Le pape se situe à la pointe de ce mystère du sacerdoce.

J’ai couvert de nombreux voyages de Benoît XVI. J’aime particulièrement interroger, lors de ces messes pontificales qui rassemblent des foules énormes, les gens venus voir le pape. De Cuba à l’Allemagne, de Beyrouth à Madrid, j’entends souvent revenir la phrase : “Le pape, c’est Jésus Christ sur terre.” La phrase m’émeut particulièrement quand elle est prononcée par les gens simples. Je me souviens en particulier de cette femme de ménage philippine rencontrée sous le cagnard de Beyrouth, en septembre dernier. Elle venait se “réchauffer” à cette flamme symbolique, elle qui n’avait pas vu ses enfants depuis six ans, autrement que par Skype, et qui trimait pour les nourrir à distance...

J’entends déjà frémir mes amis protestants, et beaucoup de mes amis catholiques, pour qui l’identification entre la personne du pape et le Christ est une horreur théologique. On est, selon eux, en pleine idolâtrie.

Mais les gens simples ont sans doute un accès radical au mystère du sacerdoce, qui est la médiation continuée de l’incarnation divine.

Cette médiation est ce qui rend l’Eglise catholique si intéressante, en raison de l’intrication du mal et du bien dans les personnes appelées par le Christ pour le représenter de façon sacramentelle. Cette intrication est à la fois le point fort et le point faible de l’Eglise.

Point fort lorsque les personnes assumant ce ministère de représentation sont de véritables modèles de sainteté, comme les nombreux saints qui furent prêtres, évêques et papes, de Saint Augustin à Jean Paul II, en passant par Maximilien Kolbe ou le curé d’Ars.

Point faible, lorsque les membres de la hiérarchie sont de fieffés salauds. En 1940 officiait en région parisienne le Père Robert Alesch. Il gagna la confiance des réseaux de la résistance en professant des idées gaullistes, mystifiant des intelligences aussi affûtées que Germaine Tillion. Mais, en secret, il était un agent à la solde des nazis qui le payaient grassement, ce qui lui permettait d'entretenir deux maîtresses. Il encourageait des jeunes à résister, pour mieux ensuite les dénoncer. En 1942, il déclencha un coup de filet qui conduisit à l'arrestation de 80 personnes, ensuite torturées et envoyées dans les camps de la mort.

Et c’est sans parler des prêtres pervers, qui rivalisèrent de talent pour séduire et entortiller dans leurs filets des enfants, des familles, provoquant leur confiance pour mieux frapper, détruire. L’exemple du prêtre pervers et clivé est le fondateur des Légionnaires du Christ, Marcial Maciel.

L’autre difficulté est que l’Eglise affirme que cette représentation sacramentelle du Christ ne peut être réalisé que par des hommes, et non par des femmes.

En réalité, l'argument de poids pour affirmer qu’un prêtre (ou qu’un évêque, ou le pape) ne peut qu’être du sexe masculin est, pour moi, cette incarnation continuée, ce troisième étage de la fusée... Ordonner des femmes à la prêtrise serait en effet une façon de relativiser la réalité que Dieu est venu à nous dans un corps d’homme. Ce qui constituerait une relativisation de tout le reste de son incarnation, notamment sa judaïté et son enracinement dans un contexte historico-géographique bien précis.

Je suis bien conscient que je touche un point très sensible. Mon but n’est pas ici de polémiquer ou d’asséner des dogmes mais de mettre des réalités spirituelles en perspective, dans une sorte d’emboîtement. 

Il y aurait même un quatrième étage de la fusée, qui découle du troisième : par le ministère du prêtre, le Christ se fait réellement présent dans le pain et le vin. Selon le dogme catholique de la transubstantiation, le Christ est présent corps et âme, dans sa divinité et son humanité dans les espèces consacrées. C’est ce qui justifie que l’on puisse l’adorer, notamment dans l’hostie, une pratique de dévotion qui a connu un spectaculaire retour depuis 20 ans.

Mes amis réformés ne croyant pas au troisième étage de la fusée - à savoir qu’un prêtre puisse avoir une ontologie différente de celle du simple baptisé - il est logique qu’ils ne croient pas au quatrième étage. Il est vrai que Calvin ne croyait pas que Dieu pouvait transformer et habiter la matière. Mais le sujet de mon blog n’est pas d’entrer dans un débat théologique avec la vision protestante, quoiqu’il soit parfois utile de penser le catholicisme dans sa différence d’avec le protestantisme.

L’un des défis du catholicisme contemporain est de vivre cette question de l’incarnation à travers le sacerdoce. Le sacerdoce des laïcs baptisés, d’abord, que le Concile Vatican II a fortement affirmé. Ce n’est pas rien de croire que, par notre baptême, nous sommes porteurs de la capacité du Christ à prophétiser, apaiser les tempêtes, chasser les esprits mauvais, et offrir notre vie en sacrifice d’amour. C’est à dire que nous sommes voués à incarner le Christ par notre vie, de façon sacerdotale, même si nous n’avons pas reçu le sacrement de l’ordre.

Ce n’est pas rien de croire non plus en la vérité du sacerdoce hiérarchique (du prêtre de base au pape). L’une des raisons de la crise du sacrement de la confession est sans doute que les pénitents ont du mal à croire qu’ils vont avouer leurs péchés au Christ lui-même à travers la personne du prêtre.

On ne peut exclure que la crise des vocations sacerdotales puisse venir d’un manque de foi de ceux qui se sentent appelés mais prennent peur devant le défi d’incarner le Christ à travers leur vie, une tâche au dessus de leurs forces à vues humaines.

Ce n’est pas rien non plus de croire que le sacerdoce des prêtres est au service du sacerdoce des laïcs. Le problème est ici que l’on a parfois l’impression que le sacerdoce est utilisé pour légitimer un pouvoir. On ne peut nier que des nominations à l’épiscopat ou au cardinalat servent des stratégies de pouvoir. Au Vatican, on ne peut prétendre diriger une “congrégation” si on n’a pas le pouvoir lié au titre de cardinal. On pourra objecter qu’il s’agit d’une autorité et non d’un "grade", mais la vérité est que ce n’est pas toujours aussi clair. L’Eglise confond parfois l’exercice de reponsabilités hiérarchiques avec les sacrement du sacerdoce, dont la plénitude est réalisée dans l’épiscopat. Des femmes, en particulier, ressentent comme une exclusion le fait qu’elles ne peuvent participer à des niveaux de responsabilité parce qu’elles n’ont pas accès au sacerdoce.

Pour les deux sacerdoces - celui du laïc et celui du prêtre/pape - l’enjeu est celui de la foi. Il est totalement délirant - ou décourageant - de croire que nous pouvons incarner Dieu sans la foi, c’est à dire la confiance que Dieu est présent en nous, et qu’il agit en nous par sa grâce.

C’est aussi le message de Noël : l’Enfant Dieu qui nous tend les bras depuis la Crèche est un encouragement à croire au mystère de son incarnation, mystère continué à travers notre vie, en dépit de sa pauvreté et de sa précarité.

Ici:  Quand Benoît XVI écrivait à l'Enfant-Jésus

Il y a un lien évident entre le sacerdoce et l’esprit d’enfance spirituelle. Justement, à propos de l’enfance spirituelle, saint  Josémaria, fondateur de l’Opus Dei écrivait, dans “Chemin”:

L'enfance spirituelle n'est ni gâtisme spirituel ni "mièvrerie"; c'est un chemin de bon sens et de fermeté, dont la difficile facilité exige que l'âme s'y engage et le suive, guidée par la main de Dieu. (855)

Sois petit, très petit. - N'aie pas plus de deux ans, à la rigueur trois. - Parce que les grands enfants sont des malins qui essaient de tromper leurs parents par d'invraisemblables mensonges.

Ils ont la méchanceté, le fomes du péché, mais il leur manque l'expérience du mal, qui leur donnera la science du péché pour couvrir leurs tricheries d'une apparence de vérité.

Ils ont perdu la simplicité, et la simplicité est indispensable pour être petit devant Dieu. (868) 

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