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Frédéric Lenoir : la démission de Benoît XVI n’a pas le même sens que celles des précédents historiques

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Philosophe, sociologue et historien des religions, Frédéric Lenoir est chercheur associé à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et directeur de la rédaction du magazine "Le Monde des religions".

Cette démission est-elle un signe d'évolution de l'Eglise catholique ?

 - Oui. Cette démission n'a rien de semblable aux trois ou quatre autres du passé, qui étaient liées à des affaires politiques extrêmement importantes. Là, nous sommes en face d'un pape qui dit "je ne suis plus en mesure d'exercer correctement ma charge, je suis trop fatigué". C'est une évolution vers l'idée, tabou pour l'instant, qu'il faut revenir sur la notion d'une élection à vie du pape. Je ne serai pas étonné que lors de la prochaine élection, cette possibilité de limiter le mandat du pape à un certain âge soit à l'ordre du jour. Cette décision est une vraie évolution. 

Vous dites que cette démission est liée à son âge avancé. C'est ce que Benoît XVI affirme. Mais peut-elle être liée aux derniers scandales qui ont secoué le Vatican ?

- Effectivement, cette démission est aussi une conséquence des Vatileaks. Mais les deux vont ensemble. La Curie romaine est extrêmement divisée, il y a des rapports à couteaux tirés entre des courants, qui mènent une véritable guerre pour influencer le pape. Il n'a plus l'âge de mener ce combat, de parvenir à réformer la Curie, d'essayer de trouver une synthèse entre les traditionalistes et les libéraux. Nous vivons la conséquence logique des Vatileaks. Benoît XVI ne se sent plus l'énergie psychologique, plus que physique, d'arriver à gérer la crise qui secoue la Curie romaine depuis des années.

Qui s'oppose à qui exactement, dans cette Curie romaine ?

- Lorsque Benoît XVI a été élu, il a affirmé vouloir réformer la Curie pour qu'il y ait moins d'opacité. Il s'agit en effet d'un gouvernement très particulier, dans lequel de nombreux cardinaux très influents n'en réfèrent pas forcément très correctement au pape. A quoi s'ajoute la Banque du Vatican, très opaque également. Elle a été au cœur de plusieurs scandales ces dernières années, accusée de traiter en grande partie l'argent de la mafia… Benoît XVI voulait réformer profondément ces institutions mais il n'y est pas parvenu. Et des personnes continuent de tenter d'influencer le pape et l'Eglise pour qu'il mette en place cette réforme – le Vatileaks c'était ça. Benoît XVI démissionne pour que son successeur, beaucoup plus jeune, mieux armé, puisse s'attaquer à ces problèmes.

Cette succession ne risque-t-elle pas d'être particulièrement mouvementée du fait de ces affaires ?

- Bien entendu. On aura les partisans d'une ligne d'opacité, la ligne du Cardinal Bertone, actuellement secrétaire d'Etat. Un très conservateur qui était visé par le Vatileaks. Et puis d'autres qui voudraient que l'Eglise évolue, que l'on règle une bonne fois pour tout le problème de la Banque du Vatican. Ceux-là, plus libéraux, plus ouverts, vont fortement contester la Curie romaine. Du coup, il faut se préparer à une élection mouvementée. En même temps ces élections au Vatican sont très particulières : les candidats promus par les différentes lignes politiques sont rarement élus. On l'avait vu avec Jean Paul II : personne ne l'attendait. Il y avait deux candidats très forts, l'un sur une ligne progressiste, l'autre sur une ligne conservatrice, et un outsider a été élu pour trouver un compromis et sortir des courants. Tout est possible. On ne peut pas savoir qui sera le prochain pape. Avec la préparation de l'élection s'ouvre une grande période de rivalités.

Cet échec à réformer, est-ce le bilan du pontificat de Benoît XVI ?

 - Benoît XVI n'a pas été élu pour réformer, c'est lui qui a affirmé vouloir réformer. Il a été élu parce que les cardinaux ont voulu repousser les réformes. Ils se sont dits : on va prendre cet homme un peu âgé, consensuel, dans la ligne conservatrice de Jean Paul II. Aujourd'hui, cette démission brutale met les cardinaux devant leurs responsabilités, devant la nécessité de ne pas élire un pape de transition mais un vrai pape qui engagera les réformes nécessaires après le grand pontificat de Jean Paul II, très marquant et positif à bien des égards, mais qui a laissé des problèmes : non seulement la Banque du Vatican et la réforme de la Curie romaine, mais aussi les affaires de pédophilie, la question des intégristes catholiques que Benoît XVI a essayé de réintégrer sans succès, ou encore l'évolution de l'Eglise sur les questions de société - mariage des prêtres, les divorcés remariés… Ces questions sont restées tabous au sein de l'Eglise et les discussions doivent désormais avoir lieu. Tout cela sera le travail du prochain pape. Sera-t-il libéral ou conservateur, très difficile de le savoir aujourd'hui.

Propos recueillis par Céline Lussato – Le Nouvel Observateur, ici :Démission de Benoît XVI : "S'ouvre une grande période de rivalités"

 En pleine « année de la foi », célébrant le cinquantenaire de l’ouverture de Vatican II,  une démission brutale qui serait comme un aveu d’échec à apporter des solutions raisonnables à la crise de l’Eglise postconciliaire ? Ce pape anormal -commente le Nouvel Observateur, "hors norme" aurions-nous dit- qui était théologien mais pas pasteur, ce pape dont l’intelligence aiguë, outre sa culture, avait frappé tous ses interlocuteurs, laisse un milliard de fidèles dans le désarroi : la crise de la foi, la crise des vocations, les scandales (de la pédophilie à l’histoire incroyable de la "taupe" du Vatican)…. Qui lui succédera ? Quand ? Selon quelles modalités ? Passera-t-on au Pontife venu du Tiers-monde ? 

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