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La renonciation de Benoît XVI : un point de vue oriental

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C’est dans le grand quotidien libanais de langue française, « L’Orient-Le jour » sous la plume de Caroline Dagher journaliste de carrière née à Beyrouth, juriste de formation, analyste politique, auteur d'ouvrages politiques sur le Liban et le Moyen-Orient et de romans historiques couronnés par différents prix, édités sous forme d'une trilogie racontant la naissance du Liban moderne Membre fondateur du Centre Maronite de Documentation et de Recherche (CMDR) et du du secrétariat général du Synode Maronite  (juin 2004-juin 2007). Extraits :

(…) La surprenante annonce du souverain pontife, considéré comme le vicaire du Christ sur terre, est certes, dans la forme, un acte de liberté et de vérité, deux principes qui lui sont chers. Mais sur le fond ? Un pape ne démissionne pas, comme le ferait le PDG d’une entreprise ou un responsable politique (encore que rarement a-t-on vu partir de leur plein gré ceux-là mêmes qui devraient le faire). À qui remettrait-il sa démission ? Au Bon Dieu qui lui a confié son troupeau ? Le successeur de Pierre n’est-il pas le « Saint-Père », le pasteur ? Un père abandonne-t-il ses enfants, un pasteur ses brebis, uniquement parce que « la vigueur du corps et de l’esprit s’est amoindrie » en lui ? Or, Benoît XVI, en théologien précis, a pesé ses mots, étudié sa sortie et en a clairement formulé les termes, lui qui a si bien médité le mystère du Logos et prêché « la culture de la parole ». Le verbe « renoncer » est brutal, direct. C’est pourtant le seul verbe auquel peut recourir un pape qui abandonne sa charge pontificale. En langage moderne, cela équivaut à « jeter l’éponge ».

Mais à quoi donc a renoncé ce pape pourtant inébranlable dans ses convictions et ses orientations, qui a pris le risque de l’impopularité en choisissant d’être le gardien inflexible du dogme, contre tous les vents libertaires qui soufflent sur le monde ? À sa mission, tout simplement. Non pas celle, générale, liée à sa qualité de chef de l’Église catholique apostolique, mais celle, plus précise, centrée, ciblée, qu’il s’était fixée au moment où il avait choisi son nom, après son élection, celui de saint Benoît, patron de l’Europe, fondateur de l’ordre bénédictin et du monachisme occidental, qui a eu une influence majeure sur la civilisation européenne médiévale. En ce faisant, Benoît XVI annonçait son programme : la réévangélisation d’une Europe en rupture avec sa culture chrétienne. Il n’a pas hésité à cet effet à créer un Conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation dont il a renforcé les compétences récemment encore, en janvier 2013. Et ce n’est pas un hasard si le dernier synode à Rome, en octobre 2012, portait sur la « nouvelle évangélisation ».

Cette lourde tâche, à laquelle s’était astreint également Jean-Paul II avant lui, meurtri par le refus des rédacteurs de la Constitution européenne de reconnaître les « racines chrétiennes » du Vieux Continent, s’est donc, jusqu’à nouvel ordre, avérée une mission impossible. Le pape théologien s’est heurté à une sécularisation poussée des sociétés européennes, dont le corollaire est l’indifférence religieuse.

Mais est-ce bien de l’indifférence ou plutôt une résistance passive qu’opposent les sociétés occidentales à un message qui les dérange ? En voulant recentrer son ministère pétrinien sur l’essentiel, c’est-à-dire la foi, qui est le chemin vers la vérité, et une pratique religieuse conséquente, en rappelant que l’amour sans vérité « devient une coque vide susceptible d’être remplie arbitrairement » au gré du relativisme ambiant (Caritas in veritate), Benoît XVI a été porteur d’une exigence spirituelle et culturelle à laquelle le monde moderne semble réfractaire. En effet, l’homme « postchrétien » d’aujourd’hui voudrait une religion façonnée à son image, en conformité avec ses désirs et représentée par un pape « cool ». Ne plus faire d’efforts pour être en phase avec les exigences de la religion, mais modeler une religion en phase avec les exigences de l’individualisme, d’une sexualité libre à tout-va et d’un relativisme accommodant l’égoïsme de l’homme moderne.

Remise en cause de la conception traditionnelle de la famille, inscrite dans la nature humaine depuis l’aube des temps et commune à toutes les religions, vote du « mariage gay », apparition de la théorie du genre pour remplacer la différence des sexes, nouveaux défis de la bioéthique et procréation assistée : la société occidentale est en proie à une mutation radicale, qui touche aux réalités anthropologiques et non plus seulement aux croyances religieuses. Aux yeux de Benoît XVI, l’humanisme occidental qui exclut Dieu, qui se détourne de toute transcendance, et qui se concentre sur la seule notion des droits sexuels à tous crins, est un humanisme qui détruit l’homme. Or, la rupture du lien avec Dieu menace l’homme dans sa propre humanité. « C’est l’oubli de Dieu et non pas sa glorification qui engendre la violence », a-t-il répété en janvier, devant les ambassadeurs accrédités auprès du Saint-Siège.


Que l’on approuve ou pas son geste inédit et « démissionnaire », et quelle qu’en soit la cause directe, « l’humble ouvrier dans la vigne du Seigneur » a posé ses outils de travail et a choisi de se retirer dans la prière et la méditation, après s’être confronté douloureusement à l’arrogance de l’homme moderne, qui croit se substituer à Dieu. D’un côté, l’homme qui se veut « areligieux », imbus de science et des avancées de la technologie médicale et de la génétique, cède à la tentation de jouer au démiurge, créateur d’une nouvelle humanité, déshumanisée, où la vie et la mort seraient décrétées sur ordonnance. De l’autre, l’homme qui se dit « religieux » prétend parler et surtout châtier au nom de Dieu, d’Allah ou d’une révélation qui lui est propre. Véritable défi que représente, pour la génération actuelle, ces « deux pôles que sont, d’un côté, l’arbitraire subjectif, de l’autre, le fanatisme fondamentaliste », pour reprendre les termes de Benoît XVI. (…)


Benoît XVI s’est exprimé et a poursuivi sa route. Le pape « conservateur » a eu des accents prophétiques dans ses écrits, or les prophètes ont toujours été perçus comme étrangers à leur temps. Le successeur de saint Pierre a-t-il pour autant le droit de renoncer à veiller sur les brebis qui lui ont été confiées ? S’agit-il purement d’un choix « moderne », celui de se retirer à temps, avant le déclin des forces physiques et mentales ? Ne faut-il pas lire aussi, dans le désistement de Benoît XVI, un signal d’alarme qui doit nous alerter sur les dérives de ce monde, les dangers qui guettent une humanité livrée à la violence, au sexe et à l’argent, et les « fautes contre l’unité de l’Église et les divisions du corps ecclésial », qu’il évoquait encore le mercredi des Cendres ?

Tout l’article ici : Benoît XVI et les « signes des temps » 

Commentaires

  • Considérer que se retirer dans la prière et la méditation, serait poser ses « outils de travail », cette affirmation semble paradoxale. Comme si la prière et la méditation, le dialogue confiant avec Dieu, n'étaient pas les plus importants « outils de travail » du chrétien, de l'homme qui veut suivre le Christ. Ce serait presque emboîter le pas de ces non catholiques qui prétendent que les moines et moniales sont des « inutiles », des « parasites » de la société. Ce serait presque dire que Saint Benoît lui-même n'aurait pas travaillé pour le Royaume de Dieu.

    Ceci dit, je crois qu'il y aura toujours des « pour » et des « contre » cette décision de Benoît XVI. Il est bien normal que les catholiques, qui sont attachés à leur libre arbitre, qui ne sont pas des robots, discutent ou parfois se disputent, sur à peu près tout. L'important est qu'ils soient tous d'accord sur une chose, à savoir la Bonne Nouvelle à porter au monde, le commandement d'amour charité du Christ, envers le Créateur et sa Création.

    Benoît XVI a été un témoin de cet amour charité en étant, comme Pape, le premier serviteur de tous, l'humble serviteur de tous. Les catholiques (et même des non catholiques) reconnaissent ce témoignage rendu au Christ, et lui sont reconnaissants pour cela. Les débats en sens divers, sur la gestion et l'administration du Vatican, relèvent de ce que le temps effacera de la mémoire des hommes. Son témoignage à l'amour charité ne s'effacera pas et portera seul des fruits.

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