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Le pape François et la théologie de la Libération

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La semaine dernière, le pape a reçu, en audience privée, une des figures fondatrices du courant progressiste bien connu sous le nom de "théologie de la libération", le père Gustavo Guttierez. Rien n'a percé de l'entrevue à la suite de laquelle aucun communiqué n'a été publié. Faut-il y voir une reconnaissance de ce courant théologique à l'égard duquel Jorge Maria Bergoglio a toujours manifesté beaucoup de réserves ? Il ne semble pas. D'ailleurs, Gustavo Guttierez a lui-même beaucoup évolué et sa position actuelle est devenue extrêmement nuancée. Il semble donc que l'emballement de commentateurs enthousiastes qui se réjouissent d'un tournant de la ligne vaticane est totalement exagéré et que rien ne permet de déduire de cette entrevue un quelconque signe d'un retournement à travers lequel le "progressisme" serait désormais le bienvenu à Rome comme l'affirment des journalistes du Monde, de La Croix, ou de La Libre. La note qui suit permettra d'éclairer le débat :

Sur le pape François et la théologie de la libération (Chrétiens dans la Cité)

Les journalistes assimilent à tort l'option préférentielle pour les pauvres (qui peut s'inscrire dans une théologie politique pleinement orthodoxe, y compris dans sa formulation en termes de "doctrine sociale de l'Eglise") et la théologie de la libération qui fut un courant de pensée particulier, imprégné de philosophie marxiste, que le cardinal Bergoglio a combattu. 

La genèse de la théologie de la libération se situe dans les années confuses de la crise post-conciliaire, lorsqu'un activisme catholique tentait de s'affirmer par rapport aux bouleversements culturels qui allaient conduire à mai 68. C'est précisément en 1968 que la conférence de l’épiscopat latino-américain de Medellin, adopta certains thèmes qui allaient agiter les théologiens. L'option préférentielle pour les pauvres en fit partie.

La première systématisation de la théologie de la libération se trouve dans le livre publié à Lima en 1971 par le dominicain péruvien Gustavo Gutiérrez :Teología de la liberación. L’année précédente était paru une Théologie de la révolution du théologien belge Joseph Comblin.

La libération qui qualifie cette théologie renvoie au grand récit de l’Exode: le peuple de Dieu s’affranchissant de la servitude égyptienne et réalisant son salut dans l’histoire, avec la perspective d’une terre nouvelle où les injustices auraient disparu. Comme Maritain et Metz, les théologiens de la libération (outre Gutiérrez, citons Hugo Assmann, Clodovis et Leonardo Boff, Jon Sobrino, Juan Luis Segundo) acceptent et même soutiennent la sécularisation. Avec Marx, ils soutiennent la priorité de la praxis : la théologie conceptualise la praxis chrétienne ou simplement politique. Elle est, dit Gutiérrez, une « réflexion critique sur la praxis historique à la lumière de la foi ». Ils développent également une conception dialectique de l’histoire dont la lutte est le moteur nécessaire, en particulier sous la forme du combat des opprimés.

Rejetant une interprétation pacifiste de la révolution appelée par Jésus, certains des théologiens libérationnistes vont jusqu’à justifier le recours à la violence. Toutefois leurs expériences historiques calamiteuses (comme au Nicaragua) les ramenèrent à des positions moins extrêmes.

On sait qu'à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Ratzinger ferrailla vigoureusement contre cette théologie avec deux textes successifs : en 1984, l’Instruction sur quelques aspects de la théologie de la libération (Libertatis Nuntius), et en 1986, avec une tonalité moins hostile et plus bienveillante, l’Instruction sur la liberté chrétienne et la libération (Libertatis conscientia). La première instruction dénonçait une marxisation de la théologie ayant pour conséquence la perversion de la foi, en particulier en matière d’ecclésiologie (l'Église du peuple comme Église de classe, opposée à l'Église officielle ou hiérarchique) et de christologie (réinterprétation politique des vérités christologiques). La seconde se voulait plus positive. Le propos n’était pas simplement critique, et certains thèmes chers aux libérationnistes tels que les structures de péché ou l’option préférentielle pour les pauvres entrèrent même dans le discours magistériel.

Le regard jeté par la nouvelle théologie politique anglo-saxonne est un peu différent. C'est ainsi que John Milbank, tête du courant Radical Orthodoxy, remarque : « Par-delà l'utilisation de schèmes marxistes, on peut observer que la théologie de la libération est d'abord étonnamment moderne dans sa relativisation des dimensions métaphysiques, mythiques, doctrinales et mystiques de l'expérience chrétienne, et trahit souvent l'influence du protestantisme libéral sur l'intelligentsia latino-américaine. Alors qu'on reproche communément à la théologie de la libération son collectivisme ou ses idéaux utopiques, on remarque rarement qu'il lui manque souvent encore une conception des faits religieux et des faits chrétiens qui en intègre pleinement les significations sociales et commu- nionnelles. »

La grande carence de la théologie de la libération est qu'elle n'a pas été suffisamment théologique et qu'il lui a manqué une véritable ecclésiologie.

Le second grand moment de la théologie de la libération commence au milieu des années soixante-dix avec le développement, notamment aux États-Unis, de produits dérivés : théologie noire, théologie féministe et du "genre", théologie du tiers-monde (africaine et asiatique) etc. Plus récemment, certains théologiens libérationnistes tels que Leonardo Boff ont pris le chemin de l’écologisme, considérant que le paradigme oppression / libération qu’il utilisait hier pour les classes dominées et exploitées s’applique aussi à la Terre et à ses espèces vivantes.

On signalera que Gustavo Gutiérrez, resté dans l'Eglise, a fait évoluer sa pensée grâce - a-t-il précisé - au dialogue avec le cardinal Ratzinger, à qui il a rendu hommage. 

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