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L’interview du pape François dans les « Etudes » : première réaction sur le site de l’hebdomadaire « La Vie »

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Nous l’avons déjà signalé ici : « Quand François se dévoile » : la revue mensuelle des jésuites français Études publie aujourd’hui 19 septembre 2013 la traduction française d’une interview exclusive du pape François. Cette interview est publiée simultanément dans les revues culturelles jésuites de 16 pays d’Europe et d’Amérique. Sur le site de l’hebdomadaire « La Vie », ce jeudi soir, une première analyse de Jean Mercier  « Pape François : "L'amour avant la morale et la discipline" :

« Dans une interview exclusive réservée aux journaux jésuites, le pape François fait une critique vigoureuse du conservatisme catholique. C’est la première fois depuis le 13 mars, jour de son élection au siège de Pierre, que le pape s’exprime de façon aussi approfondie sur sa vision pour l’Eglise catholique. Interrogé par le jésuite Antonio Spadaro, directeur de la Civilta Cattolica, il réaffirme sa vision d’une Eglise miséricordieuse, tournée vers ceux qui sont loin, à rebours de tout repli identitaire. Il explique ses choix personnels dans un texte très fort.

Balayant les rêves d’une réforme rapide de l’Eglise, il explique la nécessité du discernement, qui lui vient des jésuites : “Ce discernement requiert du temps. Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement. Parfois au contraire le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois. Le discernement se réalise toujours en présence du Seigneur, en regardant les signes, en étant attentif à ce qui arrive, au ressenti des personnes, spécialement des pauvres”.

Humble, le pape revient sur lui-même et ses défauts. Il explique, comme il l’avait déjà fait, qu’il se trompe presque toujours lors de son premier jugement. Il explique aussi qu’il a fait de nombreuses erreurs à cause de son autoritarisme, du temps où il était provincial des jésuites et dévoile sa manière de fonctionner.“Quand je confie une tâche à une personne, je me fie totalement à cette personne. Elle doit vraiment faire une grosse erreur pour que je lui retire ma confiance. Cela étant, les gens se lassent de l’autoritarisme. Ma manière autoritaire et rapide de prendre des décisions m’a conduit à avoir de sérieux problèmes et à être accusé d’ultra-conservatisme. J’ai vécu un temps de profondes crises intérieures quand j’étais à Córdoba. Voilà, non, je n’ai certes pas été comme la Bienheureuse Imelda, mais je n’ai jamais été conservateur. C’est ma manière autoritaire de prendre les décisions qui a créé des problèmes.”

Sur la nécessité d’un travail de consultation avant de décider, le pape est très clair : “Ce n’est pas seulement une décision personnelle, mais le fruit de la volonté des cardinaux, ainsi qu’ils l’ont exprimée dans les Congrégations Générales avant le Conclave. Et je veux que ce soit une consultation réelle, et non pas formelle.” Il rappelle utilement que l’infaillibilité de l’Eglise catholique se conçoit à partir de ce que croit le peuple de Dieu, évoquant la “classe moyenne de la sainteté”. Pour François, l’Eglise est une maison familiale, “la maison de tous, pas une petite chapelle qui peut contenir seulement un petit groupe de personnes choisies. Nous ne devons pas réduire le sein de l’Église universelle à un nid protecteur de notre médiocrité”.

Le pape revient sur sa priorité d’une Eglise miséricordieuse :“Je vois avec clarté que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol et un taux de sucre trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons parler de tout le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Et il faut commencer par le bas.”

Pour le pape, la conversion des clercs est une condition : “Les réformes structurelles ou organisationnelles sont secondaires, c’est-à-dire qu’elles viennent dans un deuxième temps. La première réforme doit être celle de la manière d’être. Les ministres de l’Évangile doivent être des personnes capables de réchauffer le cœur des personnes, de cheminer dans la nuit avec elles, de savoir dialoguer et aussi de descendre dans leur nuit, dans leur obscurité, sans se perdre. Le peuple de Dieu veut des pasteurs et pas des fonctionnaires ou des clercs d’État.” Revenant sur l’impératif de ne pas juger, le pape a rappelé l’importance de la confession : “le confessionnal n’est pas une chambre de torture”.

Puis le pape en vient à l’essentiel : l’Eglise catholique doit cesser d’être obsédée par la morale anthropologique : “Nous ne pouvons pas seulement prendre position sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’utilisation de méthodes contraceptives. Cela n’est pas possible. Je n’ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l’a reproché. Mais lorsqu’on en parle, il faut en parler dans un contexte. La pensée de l’Église du reste nous la connaissons et je suis fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler en permanence”.

Le pape insiste sur l’idée d’une hiérarchie des vérités, chère à la tradition catholique : “Les enseignements, tant dogmatiques que moraux, ne sont pas tous équivalents. Une pastorale missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines à imposer avec insistance. L’annonce de type missionnaire se concentre sur l’essentiel, sur le nécessaire, qui est aussi ce qui passionne et attire le plus, ce qui rend le cœur tout brûlant, comme l’eurent les disciples d’Emmaüs. Nous devons donc trouver un nouvel équilibre, autrement l’édifice moral de l’Église risque lui aussi de s’écrouler comme un château de cartes, de perdre la fraîcheur et le parfum de l’Évangile. L’annonce évangélique doit être plus simple, profonde, irradiante. C’est à partir de cette annonce que viennent ensuite les conséquences morales.”

Le pape se fait ici indirectement critique de ses prédécesseurs : “Mais l’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse. Aujourd’hui il semble parfois que prévaut l’ordre inverse. (...) Le message évangélique ne peut être réduit à quelques-uns de ses aspects qui, bien qu’importants, ne manifestent pas à eux seuls le cœur de l’enseignement de Jésus.”

Le pape revient aussi de façon critique sur le rôle de censure de la Curie, et s’inquiète de la propension des catholiques à la délation : “Les dicastères romains sont au service du pape et des évêques: ils doivent aider soit les Églises particulières soit les conférences épiscopales. Ils sont des organismes d’aide. Dans certains cas, quand ils ne sont pas bien compris, ils courent le risque de devenir plutôt des organismes de censure. C’est impressionnant de voir les dénonciations pour manque d’orthodoxie qui arrivent à Rome. Je crois que ces cas doivent être étudiés par les conférences épiscopales locales, auxquelles Rome peut fournir une aide pertinente. De fait, ces cas se traitent mieux sur place. Les dicastères romains sont des médiateurs et non des intermédiaires ou des gestionnaires.”

Le pape revient aussi de manière critique sur le traditionalisme liturgique : “Il y a ensuite des questions particulières comme la liturgie selon le Vetus Ordo ["l'ancien rite", ou la forme extraordinaire de la liturgie - ndlr]. Je pense que le choix du pape Benoît fut prudentiel, lié à l’aide de personnes qui avaient cette sensibilité particulière. Ce qui est préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du Vetus Ordo ou de son instrumentalisation”. D’une manière plus générale, il se montre aussi très critique envers les chrétiens trop sûrs de leurs certitudes, et ne doutant jamais. Insistant sur la dynamique de la foi, il refuse tout repli statique : "Si le chrétien est légaliste ou cherche la restauration, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trouvera rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces à Dieu. Celui qui aujourd’hui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière exagérée à la 'sûreté' doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive”.

Sans surprise, le pape insiste sur une foi incarnée, et qui se porte aux frontières : “Quand j’insiste sur la frontière, je me réfère à la nécessité pour l’homme de culture d’être inséré dans le contexte dans lequel il travaille et sur lequel il réfléchit. Il y a toujours en embuscade le danger de vivre dans un laboratoire. Notre foi n’est pas une foi-laboratoire mais une foi-chemin, une foi historique. Dieu s’est révélé comme histoire, non pas comme une collection de vérités abstraites. Je crains le laboratoire car, au laboratoire, on prend les problèmes et on les transporte chez soi pour les domestiquer, les vernir, en dehors de leur contexte. Il ne faut pas transporter chez soi la frontière mais vivre sur la frontière et être audacieux.”

De façon plus audacieuse encore, le pape défend l’idée d’une nécessaire évolution de l’Eglise sur certains points : “Il y a des normes et des préceptes secondaires de l’Église qui ont été efficaces en leur temps, mais qui, aujourd’hui, ont perdu leur valeur ou leur signification. Il est erroné de voir la doctrine de l’Église comme un monolithe qu’il faudrait défendre sans nuance.”

Pour le pape, le catholicisme doit se ressaisir : ”L’Église a vécu des époques de génie, comme par exemple celle du thomisme. Mais elle a vécu aussi des périodes de décadence de la pensée. Par exemple: nous ne devons pas confondre le génie du thomisme avec le thomisme décadent. Pour ma part, j’ai malheureusement étudié la philosophie dans des manuels de thomisme décadent. Pour penser l’homme, l’Église devrait tendre au génie et non à la décadence”.


Bref, le mérite de la clarté mais un ton souvent critique et mordant, qui ne risque pas d’arranger les choses entre les « sensibilités » qui partagent (ou divisent) le coeur de l’Eglise postconciliaire; il est vrai que François préfère les périphéries. JPSC 

Lire aussi l'analyse de l'abbé de Tanoüarn pour lequel c'est bien Jean XXIII qui est le modèle du pape François.

Commentaires

  • Pourquoi l'auteur de cet article dit-il que "Le pape se fait ici indirectement critique de ses prédécesseurs : ", alors que dans la citation qui suit, il dit la même chose que Benoît XVI et Jean-Paul II : "l’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale et religieuse". Il me semble que l'article commet l'erreur classique de beaucoup de journalistes: faire dire aux papes (precedents) ce que les medias leur font dire, au lieu de lire exactement ce qu'ils disent.

  • Naturellement, tout le monde tombera d’accord sur cette citation de l’interview de François relevée par Eric de Beukelaer sur son « minisite » :

    « Je vois clairement que ce dont l’Eglise a le plus besoin aujourd’hui, est une capacité de guérir les blessures et de réchauffer les cœurs des fidèles. Cela demande de la proximité. Je vois l’Eglise comme un hôpital de campagne après la bataille. Il est inutile de demander à une personne sérieusement blessée, si elle a trop de cholestérol ou trop de sucre dans le sang! Il faut guérir ses blessures. Après, on pourra parler du reste. Guérir les blessures, guérir les blessures… Et il faut commencer par le début. L’Eglise s’est parfois enfermée dans de petites choses, des règles étriquées. Le plus important est la première proclamation: Jésus-Christ vous a sauvé. Et les ministres de l’Eglise doivent être des ministres de la miséricorde, par-dessus tout. Le prêtre qui confesse, par exemple, risque toujours d’être trop rigoriste ou trop laxiste. Aucune de ces attitudes n’est compatissante, car aucune ne prend toute la personne en compte. Le rigoriste se lave les mains et s’en tient aux commandements. Le ministre laxiste se lave les mains en disant simplement: « Ceci n’est pas un péché », ou quelque chose de ce genre. Dans le ministère pastoral, nous devons accompagner les personnes et guérir leurs blessures. Comment nous occupons-nous le peuple de Dieu? Je rêve d’une Eglise qui soit mère et bergère. Les ministres de l’Eglise doivent être compatissants, prendre les personnes à cœur en les accompagnant, tel le bon Samaritain – qui lave, nettoie et relève son prochain. C’est cela l’Evangile. Dieu est plus grand que le péché. Les réformes structurelles et organisationnelles sont secondaires – elles viennent ensuite. La première réforme est dans l’attitude. »

    Pour le reste c’est à voir : beaucoup d’assertions discutables et discutées dans les années 1970 semblent revenir à la surface. Il me semblait que les inflexions données sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI pouvaient être considérées comme acquises. Je me trompais ; l’histoire est un éternel recommencement.

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