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La joie de Zachée (31e dimanche du temps ordinaire)

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miniatura_600.jpg31e dimanche du T.O. : 

Évangile : Lc 19, 1-10

Homélie du Père Joseph-Marie Verlinde (homelies.fr) (archive 2013)

Zachée est sans doute un des personnages les plus connus et aussi les plus sympathiques des évangiles. Pourtant on ne peut pas dire que ce soit un homme très fréquentable – du moins au départ de son itinéraire. Il est non seulement collecteur, mais « chef des collecteurs d’impôts » c’est-à-dire l’intermédiaire entre les receveurs de taxes et l’administration romaine. Ce poste était fort envié, car il permettait de brasser pas mal d’argent ; mais celui qui l’occupait était ipso facto exclu de la société civile et religieuse juive, en tant que collaborateur direct de l’occupant. 

Saint Luc nous apprend qu’il « était de petite taille » : était-ce pour compenser un complexe d’infériorité qu’il avait consenti à ce métier peu honorable, mais qui lui donnait un pouvoir exorbitant sur son entourage ? Était-ce pour se venger des quolibets qu’il avait dû endurer durant son enfance ? Quoi qu’il en soit, sa petite taille lui joue à nouveau un mauvais tour puisqu’elle l’empêche de voir la route où Jésus va passer. On imagine sans peine les rires sarcastiques et revanchards de la foule qui, à la vue du petit homme, se ressert encore davantage pour l’empêcher de se glisser au premier rang. 

« Il courut en avant et il grimpa sur un sycomore pour voir Jésus qui devait passer par là » : c’est probablement la détermination et l’astuce de Zachée, associées à l’absence de respect humain, qui le rendent sympathique malgré tous les antécédents qui plaident contre lui. La scène a quelque chose à la fois de cocasse et de bon enfant : un homme adulte, perché maladroitement sur un arbre et cherchant à se cacher dans les frondaisons qui s’étendent au-dessus de la route. La foule l’a bien sûr remarqué et ne manque pas de se moquer bruyamment de lui, trop heureuse de voir s’exposer au ridicule celui qu’elle redoute en d’autres circonstances.

La surprise vient de la réaction de Jésus, qui va faire basculer le récit. Loin de se joindre aux sarcasmes et aux mépris de la foule, Notre-Seigneur s’arrête et pose sur Zachée un regard amusé certes, mais bienveillant. Jésus « lève les yeux » comme pour cueillir un fruit mûr et ouvre le dialogue avec lui : « “Zachée descends vite” : tu veux t’élever, te grandir aux yeux de tous pour compenser ta petite taille mais ce n’est pas ainsi que tu pourras me rencontrer. Le Dieu que tu as trahi et que pourtant tu cherches dans ton cœur, n’est pas dans les hauteurs : “devenu semblable aux hommes et reconnu comme un homme à son comportement, il s’est abaissé lui-même” (Ph 2, 7-8), il est descendu jusqu’à toi, il se tient même en dessous de toi pour ne pas t’humilier comme le font tes concitoyens ; et il vient jusqu’à toi pour mendier ton hospitalité : “aujourd’hui il faut que j’aille demeurer chez toi” ». 

« Il faut que » : étonnante nécessité, à laquelle fera écho cet autre parole de Jésus Ressuscité aux disciples d’Emmaüs : « Ne fallait-il pas que le Messie souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ? » (Lc 24, 26) Cette halte du Seigneur dans la maison de Zachée, juste avant sa Passion, résume tout son ministère : « le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». Notre-Seigneur n’a pas dit « celui qui était perdu », mais « ce qui était perdu ». Qu’avait donc perdu Zachée, sinon la grâce, dont le péché l’a privé ? « Il fallait » que le Fils de l’homme descende dans notre humanité, pour nous rendre la vie filiale que nous avions perdue par nos fautes. 

Surpris de voir le Maître « lever le regard » vers lui, Zachée esquisse un geste de recul, cherchant à s’enfoncer plus profondément dans la frondaison. Mais lorsque Jésus lui intime de descendre pour l’accueillir, il n’ose en croire ses oreilles ; cependant l’ordre du Maître s’impose à lui, et fou de joie il descend à toute vitesse de son perchoir pour rejoindre Jésus et l’introduire dans sa maison. 

Jamais dans tout son récit, saint Luc ne précise que les pharisiens reçoivent Jésus à leur table « avec joie ». Or dans le troisième évangile - appelé encore « l’évangile de la joie » - celle-ci trahit toujours la présence de l’Esprit Saint. Pensons en particulier à l’atmosphère de joie et même d’allégresse spirituelle, qui préside à la rencontre de Marie et d’Élisabeth dans l’épisode de la visitation (Lc 1, 39-56). Serait-ce donc que l’Esprit habite davantage le cœur du pécheur Zachée que celui des chefs religieux, ces hommes réputés « justes » en raison de leur stricte observance de la loi ? Ce n’est certes pas le péché qui a attiré l’Esprit Saint dans le cœur de Zachée ; mais force nous est de constater que ce ne sont pas davantage les œuvres des pharisiens qui les sanctifient. 

La joie résulte du repos de l’âme dans un bien aimé et ardemment désiré. Telle est la joie de Zachée, qui s’est laissé toucher par les propos de Jésus dont il a entendu les enseignements à l’abri des regards indiscrets. Il s’est pris à aimer ce rabbi dont les paroles de miséricorde ont transpercé son cœur. Aussi brûlait-il secrètement du désir de le voir. Lorsqu’en s’invitant chez lui, Jésus vient au devant de ce désir, Zachée ouvre son cœur à la grâce, et l’Esprit manifeste immédiatement sa présence, non seulement par la joie qui l’envahit, mais aussi en le libérant de son avarice et en lui donnant accès à la liberté du don. 

Telles ne sont pas les dispositions intérieures des pharisiens, plus préoccupés de saisir le moindre motif de critique, voire de condamnation dans les propos et les agissements de ce rabbi qui leur fait de l’ombre. Loin de brûler d’amour pour Jésus, c’est plutôt la flamme de la haine qui embrase leur cœur. Devant l’enthousiasme des foules, leur aversion ne fait que croître, et leur tristesse morbide se transforme en rage meurtrière. Comment pourraient-ils « recevoir Jésus avec joie » ? 

Le secret de Zachée, c’est d’avoir su distinguer clairement sa malice objective, dont il avait bien conscience, et la bienveillance - bien plus objective encore - de Jésus, dont il s’est perçu aimé, non pas malgré ses fautes, mais à cause de son péché. Se convertir ne signifie pas changer de vie de manière volontariste, mais se laisser trouver par Jésus, qui désire être l’hôte de nos cœurs. Ce n’est que dans la mesure où nous accueillons « le salut dans notre maison », que le Seigneur « par sa puissance, nous donnera d’accomplir tout le bien que nous désirons, et qu’il rendra active notre foi ». 

« Seigneur, tu poses ce même regard de tendresse à chaque instant sur chacun de nous ; un regard porteur du même message d’espérance. “Tu fermes les yeux sur nos péchés pour que nous nous convertissions et que nous puissions croire vraiment en toi” (1ère lect.). Tu ne désires rien d’autre que de nous voir participer à ta gloire, en nous donnant part à ta vie dans l’Esprit (cf. 2nd lect.). Ce n’est pas nous qui te cherchons, mais c’est toi qui vient au-devant de nous en mendiant notre hospitalité. Aujourd’hui, moi aussi, comme Zachée, je veux te recevoir avec joie, toi qui es venu pour me combler de la grâce que j’avais perdue et que je peux enfin retrouver en toi. »

Père Joseph-Marie

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