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De Benoît XVI à François : la perception d'un journaliste

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Sur son blog "Carnets du Vatican", Bosco d'Otreppe donne la parole à Jean-Louis de La Vaissière, journaliste à l'AFP et auteur d'un livre sur la transition de Benoît XVI à François :

extraits :

Comment comprendre les pontificats et les personnalités si complexes des deux derniers papes ? Jean-Louis de La Vaissière réajuste nos perceptions dans un livre très complet.

(...) Au fil de plus de 300 pages, le journaliste dresse le portrait de ces derniers papes, et parvient à leur rendre justice en nous offrant de leurs pontificats une perception très précise. (...)

B. d'O. : Répondre au problème de perception qui mine le regard que le monde porte sur l'Église, c'est votre constat en tant que journaliste, et ce à quoi vous avez voulu répondre en écrivant ce livre ?

J.L. de la Vaissière : Quand en 2011 je suis arrivé à Rome, j'ai eu cette impression très triste d'une perception négative de l'Église dans les grands médias. Ils soulignaient sans arrêt les scandales de pédophilie, de corruptions... en ne voyant rien d'autre de bon, et en faisant le portrait d'un pape enfermé dans sa tour d'ivoire avec beaucoup de réactionnaires vieux jeu autour de lui. Très vite j'ai entendu ce que disait Benoît XVI, j'ai découvert sa pensée, et j'ai eu envie de lui rendre un peu justice, de redresser la barre en écrivant son portrait. J'aimais la dignité de ce vieil homme que ses proches qualifiaient de doux et humain, mais chez lequel on sentait aussi une souffrance. J'ai voulu donc décrire un drame humain qui se jouait au Vatican avec des affaires comme Vatileaks, lors de laquelle il a été trahi par son majordome, celui qui le servait au quotidien.

Une perception négative de Benoît qui tranche avec celle que l'on a de François.

Dès le premier soir, il y a eu une perception du pape François très positive. C'était à juste titre, mais cela a éveillé en vue de son pontificat des attentes absolument disproportionnées. On a beaucoup dit en Occident qu'il allait révolutionner l'Église, l'adapter à la société, l'accorder aux grandes évolutions en matière de mœurs... Je crois que c'est aussi une illusion.

Comment explique-t-on ce problème de perception entre l'Église et la société, mais aussi au sein même de l'Église ?

Le Vatican a un peu ressemblé ces dernières décennies à une citadelle assiégée, dans la mesure où les scandales s'amplifiant, certains services se sont refermés vis-à-vis des médias. En son sein également, il y a beaucoup de cloisonnements. Lors des scandales qui ont entaché le pontificat de Benoît par exemple, on ne remettait pas en cause le pape lui-même, mais le fait que son entourage filtrait les informations qui pouvaient empêcher cet homme âgé, pourtant très intelligent et lucide, d'avoir une vue d'ensemble et réelle sur certaines réalités. Si on ne voulait pas lui faire voir un aspect des choses, un de ses collaborateurs pouvait très bien se débrouiller pour qu'une information ne lui parvienne pas. Il y avait là un phénomène de cour qui, je pense, existe moins sous François.

Vous dites dans votre livre que la notion de vigueur était au centre de la renonciation. François est ce pape qui a cette vigueur nécessaire pour améliorer certaines choses ?

Les cardinaux l'ont élu pour cette volonté de sortir le Vatican de son isolement, et de retrouver quelqu'un avec un talent pastoral qui manquait peut-être à Benoît XVI. Il a donc été élu sur deux mandats : la mission et la capacité pastorale d'une part, la réforme de l'église d'autre part. Le plus important reste le premier. Pourtant, il y a tout un quiproquo aujourd'hui, certains médias attendent une réforme de la curie fondamentale, avec des changements énormes, comme si les structures étaient le plus important. François, lui, n'arrête pas de dire qu'avant les structures, il y a les gestes qui montrent que l'évangile est quelque chose de concret. Là est son véritable charisme, ne nous trompons pas.

Il nous parle d'un Évangile très concret, et à en croire votre livre c'était déjà la volonté de Benoît XVI.

Oui tout à fait, en parlant par exemple d'un roman policier dans une de ses catéchèses. Dans son livre d'entretien à Peter Seewald, il montre une approche d'un homme qui sait voir les problèmes concrets. En fait, dans le tempérament de Benoît XVI, je vois quelque chose de très frappant : à la fois une audace de pensée qu'il a montrée lorsqu'il était jeune expert au Concile Vatican II, mais également un esprit tellement consciencieux dans son métier de gardien du dogme, et ensuite de pape, qui fait que finalement il a toujours été très prudent. Plusieurs me l'ont confirmé, le pape Benoît était quelqu'un qui n'osait pas ouvrir des boites de pandore. Car dans l'Église, quand on prend une décision, aussi petite soit-elle vue de l'extérieur, l'impact peut être énorme. Et donc en effet, il a été très, et même sans doute trop prudent sur certains points.

Vous dites à ce propos que la tradition compte beaucoup pour lui, mais qu'il lui donne un sens profond et non pas d'immobilisme. Quel est ce sens profond ?

Il veut redonner à tous les symboles liturgiques ou vestimentaires par exemple leur sens qui a été oublié. Il a été très attristé de l'appauvrissement liturgique des messes post-conciliaires, quand elles devenaient des shows à la guitare. Ce sont des choses qu'il ne pouvait pas supporter. C'est un homme qui aime l'Église par-dessus tout, mais qui est pétri des pensées de théologiens qui l'ont précédé des siècles durant, qui est habité de toutes les traditions des grands ordres monastiques, qui connait les sommes écrites par les docteurs de l'Église... Pour un homme contemporain, cela peut paraitre un peu pesant, mais Benoît XVI sait que rien n'est anodin dans l'Église, même le plus petit changement. L'esprit Ratzinger, c'est d'abord un grand respect de la tradition. Quand il parlait du Concile, il se prononçait pour un renouveau dans l'esprit de la tradition, c'était un grand défenseur de l'herméneutique du renouveau dans la continuité.

Un grand savant, empli de connaissance qui invitait pourtant les croyants au silence, à faire le vide en eux.

Oui, il invitait toujours à l'humilité pour garder le Christ au centre de tout. Pour cela aussi les deux papes sont très proches : ils critiquent tous les deux l'autoréférencialité, la mondanité, une église efficace qui aurait perdu toute intériorité.

Si l'on revient à la personnalité du pape François, que doit-on prendre en compte quand on analyse son pontificat ?

D'abord qu'il est jésuite. Il a un esprit systématique, organisé, presque militaire avec une grande rigueur de vie. Les jésuites se distinguent aussi pour leur amour des périphéries, des lieux éloignés de l'Église. Ensuite qu'il est Latino-américain. Il aime rencontrer les gens, même au sein du Vatican il témoigne de son enthousiasme et de cette chaleur de la rencontre. Et puis en même temps, c'est un Argentin qui a des racines européennes et qui connait bien les références italiennes.

C'est un pape aussi très spontané, qui ne semble pas avoir peur de se tromper.

Uscire en italien, sortir de soi, est un terme qui revient tout le temps. Il l'a répété, il préfère une Église audacieuse et accidentée qu'une Église malade. Il n'a pas peur de dire non plus qu'il est imparfait, pécheur et ça, c'est extraordinaire pour l'Église, c'est libératoire. Il ne dit pas que c'est bien d'être pécheur, qu'il faut se complaire dans notre imperfection, mais il nous pousse à faire de notre mieux malgré nos péchés. On avait parfois l'impression qu'au Vatican on se considérait comme pur face à l'imperfection du monde, François renverse cette perception.

Qu'est-ce qui vous fascine et vous impressionne dans l'Église au point d'en avoir écrit un livre ?

C'est la radicalité du message évangélique que portent les papes qui m'impressionne, comme quand François embrasse des handicapés avec tendresse, qu'il prend le temps d'écrire à des gens dans des situations de détresse... C'est extrêmement beau. C'est cette proximité du Christ qui me touche, et cette capacité du message évangélique à s'adresser à chacun quel que soit sa culture.

Bosco d'Otreppe à Rome

Jean-Louis de La Vaissière, De Benoît à François une révolution tranquille, Le Passeur, 2013.

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