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Le pape François fait-il surtout du marketing?

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François est à la « Une » de tous les magazines «people » et autres. Certains attendent donc qu’il remplisse à nouveau les églises. D’autres redoutent que l’agitation médiatique se fasse au détriment du fond du message. Peter Annegarn et Philippine de Saint Pierre en débattent dans « La Libre » de ce jour. Les questions sont posées par Jean-Paul Duchâteau et Charles Van Dievort :

« Philippine de Saint Pierre, Directrice générale de KTO (télévision catholique) :

Certains veulent en faire une rock star, qui s’apprête à révolutionner l’Eglise. Ils attendent que, sous la bannière de la modernisation médiatique, le Pape innove spectaculairement à propos de la prêtrise, du sacerdoce, de l’éthique. Il s’agit là d’une lecture extrêmement superficielle de François. Celui-ci invite l’Eglise à être fidèle à l’Evangile et pas à être populaire.

Le pape François en une du magazine rock américain “Rolling Stone”, c’est une consécration ?

C’est en tout cas révélateur de l’intérêt que suscite son élection. Manifestement, il fait vendre et on le retrouve donc en première page de beaucoup de publications qui, le plus souvent, s’intéressent peu au message des chrétiens. Mais, quand on lit l’article du magazine “Rolling Stone”, on voit qu’il veut en faire une superstar et, pour la beauté médiatique du récit, un leader révolutionnaire en rupture avec l’histoire précédente de l’Eglise. Dans l’article, du reste, le journal a des propos très exagérés et passablement scandaleux à l’égard de Benoît XVI, qu’on décrit comme un pape catastrophique. Ainsi, mercredi, la salle de presse du Saint-Siège s’est exprimée sur ce sujet, ce qui est très rare, en regrettant ce journalisme superficiel et les attaques infondées à l’égard du pape précédent. Cette une est donc révélatrice d’un phénomène médiatique qui n’aborde en rien le fond des choses.

D’une manière plus générale, on constate que le Vatican, sans doute sous l’impulsion de François, ne cesse d’innover dans sa communication. Certains disent qu’il s’agit de pur marketing et que le fond du discours ne suit absolument pas la modernisation de l’image. Votre analyse ?

Les papes, qu’il s’agisse de François, Benoît, Jean-Paul, et d’autres encore dans l’histoire de l’Eglise, ont pour commune caractéristique d’être catholiques. Si on attend que le nouveau pape, au motif de modernisation, se trouve sur le plan de la doctrine en rupture avec ce qu’a toujours dit l’Eglise dans son enseignement, on se trompe. Il existe à cet égard ce que des observateurs appellent la création d’un “faux pape François”. Elle incite un certain nombre de médias à sur-interpréter ce que le Pape pourrait dans l’avenir être amené à dire ou faire. Plus précisément, on attend que, sous la bannière de la modernisation, le pape François fasse des choses que certains souhaitent depuis très longtemps dans des domaines concernant la prêtrise, le sacerdoce, l’éthique, qui paraissent aujourd’hui à contretemps de la culture contemporaine. Mais il s’agit là d’une lecture extrêmement superficielle du pape François. Celui-ci invite l’Eglise à être fidèle à l’Evangile et pas à être populaire.

Quand on voit cet engouement partout dans le monde, le phénomène va-t-il repeupler les églises qui se vident, particulièrement dans la vieille Europe ?

C’est déjà le cas. L’intérêt dont bénéficie le pape François permet de rendre l’Eglise à nouveau plus audible. Et on constate un peu partout, mais d’abord dans les continents de nouvelle évangélisation, une assiduité plus importante à la messe dominicale, ainsi qu’à la confession. Mais il serait malhonnête de dire que le fond du message – l’annonce de la Bonne Nouvelle – a changé. En fait, pour en revenir à la question du marketing, le Pape n’a strictement rien à vendre. Il veut simplement faire entendre à ses contemporains la “bonne nouvelle” dont l’Eglise est porteuse.

Vous dites donc que le pape François est plus efficace que son prédécesseur ?

Je ne le formulerais certainement pas comme cela. Mesurer l’efficacité d’un pape, comme vous dites, est quelque chose qui me semble assez complexe. D’ailleurs, cette efficacité ne se mesure pas en termes de communication, qu’il fasse ou non la une de “Rolling Stone”. Le Pape est d’abord le représentant pour les catholiques de la tête de l’Eglise. Il est donc à la fois l’enseignant, le garant de l’unité, le pasteur.

Il n’y aurait pas, selon vous, un risque de culte de la personnalité, sans adhésion au fond du message ?

Il y a toujours, pour tout le monde et en tout temps, un risque d’idolâtrie. Mais les catholiques sont naturellement préservés de ce point de vue-là, d’abord parce que l’enseignement de l’Evangile est assez clair. C’est à Dieu qu’on rend un culte et pas aux hommes. De plus, François ne se présente pas comme un gourou, il ne cherche à être le leader de personne. Il est simplement celui des cardinaux à qui l’Eglise a confié la mission particulière de succéder à saint Pierre. Il est garant de l’unité. Il n’essaie nullement d’intervenir dans la vie des Eglises locales, ce qui relève bien de sa conception du gouvernement de l’Eglise.

Peter Annegarn, Président du Conseil interdiocésain des laïcs Président du Forum européen des laïcs :

Il manquait quelque chose en termes de communication dans l’Eglise. Les médias constituent une opportunité pour toucher les gens, pourquoi le Pape ne les utiliserait-il pas ? Cette petite révolution est accompagnée par la proximité qu’entretient le pape François avec les gens, croyants ou non-croyants. C’est ce qui le rend populaire.

Le pape François fait aujourd’hui la une du magazine “Rolling Stone”. C’est la personnalité “politique” la plus populaire sur Google. Son compte personnel sur Twitter est suivi par plus de dix millions de personnes. Le Vatican révolutionne-t-il sa communication ?

C’est une petite révolution. C’est en tout cas perçu comme ça par beaucoup de monde et c’est ce qui donne au Pape cette allure de rock star. C’est une bonne chose qu’il utilise les médias disponibles actuellement et ce d’autant plus que les médias semblent en être friands. Ce sont des vecteurs, des courroies de transmission pour ce que pense le Pape et de nombreux chrétiens. C’est une opportunité pour toucher les gens. Dès lors, pourquoi le Pape ne les utiliserait-il pas ? Ce n’est cependant pas le seul changement qui rend le pape François populaire. Désormais, le Pape s’adresse aussi à tout le monde. Aux croyants comme aux non croyants. Il ne faut pas être croyant pour adhérer à ce qu’il dit. Depuis le début de son pontificat, il nous invite à sortir tel un hôpital de campagne. Il nous demande d’aller là où sont les blessés et les soigner. Chacun de nous est à la fois blessé et soignant.

Que vous inspire cette peopolisation du Pape ?

On parle d’un graffiti sur les murs à Rome où le Pape apparaît comme une rock star. Ce n’est pas une rock star, mais le monde a besoin de personnes charismatiques comme l’ont été Kennedy ou Mandela. Le Pape a pris une place importante et j’en suis très heureux. Quand il a été élu, je ne pensais pas pouvoir vivre ce moment.

Cette nouvelle façon de communiquer implique-t-elle des changements dans le message délivré par le Vatican ?

La doctrine ne va pas changer et il ne faut pas attendre qu’elle change. Ce n’est pas en tournant un bouton qu’un nouveau pape peut la changer. Si je ne suis pas toujours d’accord avec ce que le pape François dit au sujet de la femme, de la morale sexuelle ou des familles, je ne pense pas que ce soit le plus important. Comme le dit Eric de Beuckelaer, c’est la morale sociale qui doit être au centre de nos préoccupations. L’éthique familiale et sexuelle n’est pas le premier combat à mener.

Pas de changements en dehors de la communication ?

Il y aura tout de même des changements. Récemment, j’ai entendu le cardinal Maradiaga, le chef des huit cardinaux appelés autour du Pape, dire qu’il est évident que le Conseil pontifical pour la famille ne doit plus nécessairement être dirigé par un cardinal. Il peut l’être par un couple. Après Vatican II, après l’évangélisation, on assiste à un troisième souffle. Le Pape parle de la nécessité d’avoir une Eglise missionnaire dans laquelle sont impliqués les laïcs comme les clercs. Le Pape va d’ailleurs certainement donner une importance plus grande aux laïcs, par exemple en créant une congrégation pour les laïcs. Le pape François est aussi très accessible. Il rencontre beaucoup de gens. Il n’est pas sourd et aveugle face à la manière dont vivent les couples. Tous les couples et tous les parents ne sont pas mariés. Je constate de réelles ouvertures. Il a baptisé les enfants de couples qui n’étaient pas mariés religieusement. Il ne faut pas s’attendre à des sorties fracassantes de la part du pape François. Il va y aller tout doucement. C’est petit à petit que des changements vont intervenir. Chi va piano va sano dit-on en Italie.

Le sentiment est pourtant que le Vatican a mis le turbo, avant tout en matière de communication.

Il manquait quelque chose en termes de communication dans l’Eglise. Le ton, le style, les mots et les paroles utilisés étaient compliqués. Il fallait presque être théologien ou psychologue pour comprendre ce que voulaient dire les écrits du Vatican. Aujourd’hui, l’exhortation apostolique du Pape, pour prendre cet exemple, est très lisible, très accessible et très agréable à lire. C’est désormais tout à fait utilisable dans des groupes paroissiaux. C’est aussi en ça que la communication change. L’emballage est aussi important que ce qu’on dit.

L’auteur de ce « post » ne partage évidemment pas le jugement de l’interlocuteur de référence de la « Libre », qui termine l’échange transcrit ci-dessus. Le pape Benoît XVI savait écrire, alliant la profondeur de la pensée à une grande clarté d’expression éloignée de toute démagogie. Comme Monseigneur Léonard, il avait l’art de vulgariser tout en demeurant exact et précis. Le pape François est un communicateur dont les formules choc posent quelquefois plus de questions qu’elles n’en résolvent. L’image y trouve sans doute son compte, le message, c’est moins sûr.

La phrase emblématique selon laquelle le message c’est le medium nous renvoie à la vulgate d’une vieille lune des années soixante : celle du philosophe et sociologue canadien MacLuhan. Mais, contrairement à l'idée courante véhiculée par ses épigones, celui-ci n'était cependant pas un amateur des médias modernes et restait sceptique quant à leur impact futur, tout en estimant qu'il fallait les étudier pour éviter d'être emporté par eux comme par un maelstrom…

JPSC 

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