Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Afrique centrale : le chaos continue

IMPRIMER

archeveque-bangui-centrafrique-360-x-200_article_large.jpgDans les années 1960, la France comme la Belgique a tout à coup jeté les populations d’Afrique centrale dans le bain de l’indépendance, un peu comme on jette les jeunes chiens à l’eau. L’idéologie « tiers-mondiste » était à la mode. Mais voilà, les hommes ne sont pas des chiens. Ils ont besoin d’apprendre. Après un demi-siècle de déconvenues et de régression sociale, le spectacle est désolant, de part et d’autre de l’Oubangui et de l’Uélé. L’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga (photo), fait actuellement le tour des capitales européennes pour plaider la cause de la Centrafrique, en proie aux violences tribales sur fond de guerre de religions. Pour l’hebdomadaire « Famille Chrétienne », Jean-Claude Bésida l’a interviewé sur le présent chaotique de son pays  :

Qu’êtes-vous venus demander aux Européens ?

Je suis en Europe avec l’imam de Bangui pour demander l’intervention des Casques bleus. Et demander de l’aide humanitaire pour la République Centrafricaine. C’est ce que j’ai dit à tous mes interlocuteurs, que ce soit à Paris, Bruxelles, Londres, Rome ou La Haye. Tous m’ont écouté avec beaucoup d’attention. L’intérêt est là, indéniablement. Maintenant, nous avons besoin d’une aide au plan militaire, mais aussi aux plans financier et humanitaire.

Comment jugez-vous l’opération Sangaris ?

Sangaris, avec la Misca (mission africaine) a stabilisé la situation. Sans Sangaris, on aurait basculé dans le pire, c’est-à-dire le génocide. On sentait les cœurs des uns et des autres gorgés de vengeance et de haine. Au départ, la mission était de désarmer les ex-Séléka. Or, avec le 5 décembre, les données ont changé rapidement. Il y a eu en effet ce jour-là l’attaque coordonnée des anti-balakas, qui sont arrivés de partout avec machettes et couteaux sur Bangui. Tous ces jeunes ont commencé à pourchasser les ex-Séléka. Puis très vite, ils s’en sont pris à des familles musulmanes dans un élan de vengeance difficile à arrêter. Du coup, aujourd’hui, il faut beaucoup plus que 6 000 ou 7 000 hommes pour restaurer l’ordre dans le pays.

Quelle est en ce moment la situation sur place ?

La situation est préoccupante et volatile. Beaucoup d’ex-Sélékas sont en train de se replier vers le nord. Leur retraite s’accompagne de pillages et d’exactions. Il y a aussi la question dangereuse d’une éventuelle sécession du nord du pays. À Bangui, nous bénéficions de la protection qu’apportent Sangaris et la Misca. Mais dans tout le reste du pays, à part quelques points comme Bossangoa et Bambari, c’est l’anarchie. Les Sélékas se comportent comme des seigneurs de guerre et règnent en maître. Ils continuent à piller et à décider de la vie ou de la mort des gens. Ceux qui sont accusés de complicité avec les anti-balakas sont exécutés sur-le-champ et sans procès. Nous demandons qu’il y ait plus d’hommes redéployés à l’intérieur du pays, pour mettre fin à cette anarchie et au règne du non-droit. L’impunité qui règne nous a conduits à une réaction de vindicte populaire. Il s’agit de jeunes désœuvrés qui ont vécu des mois et des mois en brousse. Maintenant, ils sortent comme des rats et avec un désir de vengeance à la fois compréhensible et inacceptable : ils pensent que les musulmans sont restés en vie parce qu’ils ont été complices et protégés par les ex-Séléka. Nous refusons cet esprit de vengeance.

Quel rôle joue l’Église dans ce chaos ?

 Les prêtres nous disent que beaucoup de villages sont brûlés. Les gens se terrent par peur. Ils ne veulent pas rester en ville. Dans certains endroits, le prêtre est le dernier rempart. On en a vu l’exemple à Boali où un jeune prêtre courageux a empêché un bain de sang en mettant à l’abri toute une communauté musulmane. Les prêtres et les sœurs sont les derniers repères et les derniers remparts.

Et quelle est votre ligne pour le bien du pays ?

J’insiste sur une ligne très simple : la violence entraîne toujours la violence. Les représailles ne font jamais de vainqueurs. Il va falloir s’arrêter. Nous demandons aux uns et aux autres de se calmer. Avec l’imam de Bangui, j’appelle tous ceux qui sont en position d’autorité à cesser. La nouvelle présidente, qui a fait ses preuves comme maire de Bangui, est sur cette ligne. Ce n’est pas en tuant un adversaire que je vais ressusciter mon frère qui a été tué. Il faut casser cette logique-là. Il faut bien sûr que justice soit faite. Pour le moment, les gens sont abandonnés ; ils ont l’impression que personne ne s’occupe d’eux. C’est pour cela que l’objectif est le rétablissement rapide d’un État de droit et que ceux qui ont tué des gens ou brûlé des maisons puissent être envoyés en prison comme le prévoit la loi. Il faut très vite qu’un message très fort passe : lorsqu’on tue, on est puni. Sur ce plan-là nous sommes parfaitement d’accord avec l’imam de Bangui.

Et comme pasteur, à quoi appelez-vous les chrétiens ?

Comme chrétien, il faut faire encore un pas de plus. C’est l’appel au pardon. Si le mal reste en moi, il va bouillonner et me gangréner. Et il risque de me faire du mal. La seule manière de sortir de la spirale du mal, c’est d’accueillir le pardon, qui vient après le temps de réparation et de justice. Il faut que justice soit rendue. Mais ensuite, il n’y a pas d’autre solution que le pardon. Je demande aux chrétiens de fixer la croix : le Christ mort sur la croix a traversé la souffrance. Il a pris ma souffrance. Et comme lui en est sorti vainqueur, moi aussi je dois sortir vainqueur de ma souffrance. Et là, il y a un saut qualitatif, dans la foi. »

 

L’an passé, La France a cru pouvoir s’en sortir en dépêchant 1.500 parachutistes à Bangui. Nous avions déjà fait observer alors que cette réponse n’était pas à la dimension du problème. JPSC

Commentaires

  • D'après certains témoignages, la plupart des Belges présents au Congo, et dont beaucoup en avaient fait leur patrie, n'ont pas eu le choix : Tous ceux qui avaient la peau blanche devaient déguerpir en vitesse pour sauver leur peau. Beaucoup ont perdu tout ce qu'ils avaient. Certains missionnaires courageux ont bien tenté de rester, mais beaucoup d'entre eux ont payé cet acte de courage de leur vie (notamment à Kongolo).
    Je trouve que c'est un peu facile de dire que c'est la faute de la Belgique d'avoir "jeté les populations" dans le bain de l'indépendance. Les cadres belges qui ont voulu offrir leurs services au jeune état ont été rapidement expulsés comme des malpropres.

  • @ JLC

    Je ne mets évidemment pas en cause les résidents coloniaux de l’époque : ils n’avaient aucune maîtrise politique de la situation. Mais, ayant moi-même vécu au Congo en ce temps là -qui est celui de ma jeunesse- je suis bien payé pour savoir que l’indépendance a été jetée à la tête des autochtones dans une précipitation funeste (18 mois à l’aveuglette : 5 janvier 1959-30 juin 1960) et une impréparation totale, dont la responsabilité majeure incombe au gouvernement métropolitain: d'où le drame pour toute la population, quelle que soit la couleur de sa peau.On pourrait continuer à écrire beaucoup de choses à ce sujet mais bon, comme dirait Kipling, ceci est une autre histoire...

Les commentaires sont fermés.