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La passion pour la vérité

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De l'abbé Stéphane Seminckx (source) :

« Pilate lui dit : "Qu’est-ce que la vérité ?" Ayant dit cela, il sortit de nouveau pour aller vers les Juifs (…) » (Jn 18, 38).

Pilate a posé la bonne question à Jésus, mais il n’a pas pris la peine d’écouter la réponse. Cela nous arrive souvent : nous sommes trop affairés pour nous intéresser aux questions fondamentales. Le relativisme contemporain ajoute qu’il est illusoire de chercher la vérité.

Et pourtant, est-il vrai qu’il soit illusoire de chercher la vérité ? Et, plus fondamentalement encore, pouvons-nous vivre sans vérité, sans une perception authentique de la réalité des choses, et surtout sans savoir qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons ? Et si ces questions nous semblent vaines, parce que soi-disant sans réponse, est-il vrai qu’elles soient vaines ?

Il faut nous rendre à l’évidence : la question de la vérité est incontournable. Elle s’impose dans chacune de nos pensées, de nos paroles et de nos actions. S’il n’est pas vrai que le soleil se lève chaque matin, alors tout change. Et tout change également s’il est faux que les saisons se succèdent, que nous ne pouvons vivre sans manger, boire et dormir, qu’il faut s’arrêter devant un feu rouge, que Napoléon a existé, que 2+2=4, de ce que le tout est plus grand que sa partie, etc.

Sans vérité, tout acte humain est suspendu dans le vide. Sans vérité, nous allons à la ruine : est-il vrai que la valeur de l’or va monter en bourse ? Ou va-t-elle descendre ? Il se peut que la question vous indiffère … et que vous perdiez beaucoup d’argent. Pour tel poison, l’antidote est-il le produit X ou le produit Y ? Il se peut que cela ne vous intéresse pas, mais vous pouvez en mourir.

On peut aussi subir l’étouffement de l’âme, quand elle se voit privée de réponses aux questions essentielles. S’il n’y a plus de sens à la vie, il n’y a plus de norme à suivre. S’il n’y a plus de vérité qui sauve, il n’y a plus de salut. On assiste alors à la lente asphyxie de l’âme, plongée dans une ambiance raréfiée, privée de l’oxygène du vrai.

Or la foi dans le Christ, qui est la Vérité, prétend nous offrir le salut. Elle revendique le pouvoir de guérir notre raison et de sauver notre liberté : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 31-32).

S’il est vrai que la foi permet à notre raison d’être pleinement elle-même, alors peut s’instaurer un cercle vertueux, où la raison cherche sincèrement à comprendre la foi et la foi ouvre à son tour la raison aux vérités essentielles. Alors peut se raviver un feu qui couve au fond de chacun : la passion pour connaître la vérité, pour l’incarner et la proclamer.

Passion pour connaître la vérité

Au Moyen Age, l’université est née de la passion pour la vérité, stimulée par la foi. Les grands intellectuels ont toujours été des hommes et des femmes passionnés par une compréhension fidèle de la réalité des choses. Ils aspirent à l’adéquation parfaite entre le réel et la lumière de la raison, ce qui, dans le chef du sujet connaissant, constitue la définition classique de la vérité.

Il nous faut récupérer la confiance dans la possibilité de connaître le réel tel qu’il est, aussi l’être des choses, c'est-à-dire leur dimension métaphysique, qui dépasse les contours étroits des sciences exactes.

Concernant les vérités fondamentales, comme celles du salut, il nous faut redécouvrir une saine philosophie, où la raison est ouverte à ce qui la dépasse, et nous intéresser à l’apologétique, qui étudie scientifiquement les présupposés de la foi.

Il importe d’être ouverts au don de la foi, « une force purificatrice pour la raison elle-même, qu'elle aide à être toujours davantage elle-même » (Benoît XVI, Discours à l’Université La Sapienza, 17-1-08), et d’accueillir le don de l’Esprit, qui« vous guidera dans toute la vérité » (Jn 16, 13)Le don de sagesse, le plus grand des dons de l’Esprit-Saint, nous fait participer du regard de Dieu sur la réalité, le seul regard absolument vrai.

Passion pour incarner la vérité

L’ambition de connaître le vrai suppose le désir d’être vrai (et vice-versa…). A l’inverse, le menteur et l’hypocrite se ferment à la lumière de la vérité. Il en est ainsi parce que les vertus assurent le lien entre la raison et l’agir.

La vertu qui nous rend vrais s’appelle véracité, une vertu d’une grande exigence. En voici quelques manifestations :

  • avoir horreur de toute forme de mensonge, de toute tentative de travestir la vérité à mon avantage ou au détriment de l’autre
  • me montrer tel que je suis, en acceptant mes défauts, renonçant à paraître meilleur que je ne suis et à toute forme d’hypocrisie
  • reconnaître mes gaffes et mes erreurs : avouer sans détour que je me suis trompé ou accepter avec gratitude les indications et les corrections d’autrui. Les gens ne me reprocheront pas d’avoir commis une erreur, mais bien d’avoir voulu l’occulter
  • éviter la fausse charité — la lâcheté — de taire une vérité qui est importante pour autrui, même si elle est pénible à entendre ; apprendre à dire la vérité avec charité ; vivre la correction fraternelle (cf. Mt 18, 15)
  • éliminer de mon « arsenal de défense » toute forme de justification ou d’excuse : si je suis vrai, je n’ai pas d’« image » à défendre
  • ne rien affirmer dont je ne sois pas sûr et reconnaître sans ambages mon ignorance dans certains domaines, car je ne peux tout savoir (les personnes qui ont un avis sur tout jouissent de peu de crédit)
  • ne faire aucune promesse, si petite soit-elle, sans la ferme intention de la tenir, comme il sied à une personne loyale, fiable, crédible ; si je n’ai pas tenu ma promesse, m’en excuser
  • proscrire les jugements téméraires, qui, fondés sur des données fragmentaires, font injure à la vérité et blessent la charité ; dans un conflit, ne jamais juger sans avoir entendu les deux parties
  • ne prendre aucune décision sans disposer des éléments d’appréciation pour trancher : la précipitation heurte l’exigence d’agir en connaissance de cause
  • tenir un langage clair et simple : « (…) que votre parole soit : Oui, oui, non, non. Ce qui est en plus de cela vient du Malin » (Mt 5, 37)
  • être décidé à ne jamais rougir de mes convictions ; chercher la vérité en tout et ne pas en craindre les conséquences, même si elles sont pénibles (« Je n’ai pas péché contre la lumière », disait Newman)
  • invoquer l’Esprit-Saint, à l’heure de scruter ma conscience, car j’ai besoin de sa force et de sa lumière pour me connaître.

Pour le chrétien, « être vrai », c’est aussi penser et agir depuis la foi, depuis la conviction d’être enfant de Dieu, promis à une éternité d’Amour au ciel, depuis la prière et l’Eucharistie, depuis le sacrement qui restaure la vérité au plus intime de nous-mêmes, le sacrement de la Pénitence. Chez le chrétien, l’action surgit de la contemplation.

Passion pour proclamer la vérité

Dans la culture relativiste, proclamer des vérités fondamentales — comme celles de la foi — est perçu comme une attitude arrogante, irrationnelle et intolérante.

Alors, dans ce contexte, comment faire de l’apostolat ? Comment transmettre la foi aujourd’hui ? Nous avons déjà traité de ces questions dans un article précédent de cette même série. Qu’il nous suffise de rappeler ici quelques considérations.

Il nous faut tout d’abord lever un malentendu, et ensuite apporter une précision. Le malentendu : la vérité que nous transmettons n’est pas le fruit d’une élaboration humaine. C’est une révélation de Dieu reçue avec gratitude, et un don à partager (on ne peut garder pour soi la vérité qui sauve). La précision : la vérité que nous proclamons est une personne, la Personne de Jésus-Christ, et cette Personne est l’Amour. Il n’y a pas de Vérité plus aimable.

Pour témoigner du Christ, il n’y a qu’une méthode : être saint, être pleinement identifié au Christ, être le Christ qui passe au milieu des hommes, pouvoir dire comme saint Paul : « si je vis, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi »(Ga 2, 20). Les saints sont les premiers évangélisateurs, car ils ne révèlent ni leurs idées ni leur personne, mais le visage du Christ.

Une dernière remarque : la « passion pour la vérité » est une expression à double sens. Cette passion est un enthousiasme, une ferveur, mais aussi un combat, une souffrance pour la vérité. Le « martyr », selon l’étymologie grecque, est le témoin, mais il est aussi celui qui souffre pour son témoignage. Le pape Benoît XVI nous le rappelle dansSpe Salvi (n. 38) : (…) la capacité d'accepter la souffrance par amour du bien, de la vérité et de la justice est constitutive de la mesure de l'humanité, parce que si, en définitive, mon bien-être, mon intégrité sont plus importants que la vérité et la justice, alors la domination du plus fort l'emporte ; alors règnent la violence et le mensonge ».

Allons-nous avoir peur de combattre et de souffrir pour la vérité ? Ce serait d’abord ignorer l’avertissement de Jésus :« (…) celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est dans les cieux » (Mt 10, 33). Craindre de suivre les pas du Christ, c’est aussi manquer la joie de nous identifier pleinement à Lui : « Heureux serez-vous, lorsqu'on vous insultera, qu'on vous persécutera, et qu'on dira faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi »(Mt 5, 11). La passion pour la Vérité, c’est la passion pour le Christ.

Stéphane Seminckx est prêtre, Docteur en Médecine et en Théologie

Commentaires

  • Les vérités connues par tous peuvent malheureusement nous faire croire que toute vérité nous est accessible, y compris la Vérité de ce monde. C'est ainsi depuis que l'homme est homme, depuis Adam et Ève. Tout progrès dans la connaissance du monde a pu faire croire à l'homme qu'il détenait enfin la Vérité sur ce monde, qu'il était donc comme Dieu et n'avait plus besoin de Dieu. Le premier homme qui a pu parler et nommer les choses, le premier homme qui a maîtrisé le feu, a pu croire qu'il détenait la Vérité de ce monde. Combien d'hommes, ces derniers siècles, à chaque avancée de la connaissance du monde n'ont-ils pas eu le même réflexe d'orgueil ?
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    Or nous ne connaissons pas et ne connaîtrons jamais la Vérité de ce monde. Seul Dieu, comme Créateur de ce monde, peut prétendre la connaître, ou plutôt être Lui-même cette Vérité. Nous-mêmes ne la connaissons pas, et nous ignorons donc de combien nous en sommes éloignés. Comme catholiques, nous ne pouvons que montrer Jésus aux autres et leur dire : « Voici la Vérité ».
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    Pilate avait sans doute raison de poser cette question à Jésus. Il aurait en effet eu raison de ne pas croire détenir lui-même la Vérité de ce monde. Mais il n'a malheureusement pas vu ou pas cru qu'il avait cette Vérité en face de lui.
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    Et même si sa question était plus banale, sur l'impossibilité de trouver une vérité humaine, notamment judiciaire, il aurait eu aussi raison. Dans toutes nos relations avec les autres, nous ne détenons jamais la vérité, seulement notre point de vue sur cette vérité. Nous avons déjà toutes les peines du monde à nous approcher d'une forme de vérité sur nous-mêmes.

  • En lisant cette réflexion profonde de l'abbé Semminckx, je ne peux m'empêcher de penser à ce commentaire publié récemment sur La Libre, écrit par le Père Delhez, SJ:

    "Qu’il me soit permis d’interpeller les musulmans. Je voudrais les appeler à soutenir davantage et publiquement une lecture plus symbolique et plus moderne de leur Livre, à risquer d’ouvrir à nouveau les portes de son interprétation. Hélas, en effet, les textes coraniques permettent des lectures plus que contradictoires. Certains versets ne sont plus acceptables dans la culture mondiale actuelle. Puissent-ils ne pas faire la sourde oreille à l’islam des Lumières, à une démarche critique attentive à l’histoire de la rédaction du Livre et qui permet de contextualiser. Elle conduit à une approche moins absolutiste et moins fondamentaliste. Rien en ce monde, en effet, n’est définitif."

    Ce que le Père Delhez devrait préciser (mais ceci invaliderait alors cette partie de sa réflexion) c'est que le Coran n'est pas une construction qui permet d'écarter tel ou tel passage dérangeant pour tel ou tel groupe partageant d'autres valeurs dans le temps ou dans l'espace et où par dessus le marché ceux qui souhaiteraient une autre interprétation (alors même que le texte est clair et qu'il correspond aux biographies du prophète telles que rapportées par des musulmans eux-mêmes, un siècle après la mort de celui-ci) ne sont pas musulmans.

    Il est par ailleurs piquant d'évoquer le siècle des lumières, dans une sorte de parallèle non dit avec la prise en compte des idées révolutionnaires, orientées par les loges, et qui aurait finalement conduit à une sorte de libération des oripeaux de l'obscurantisme à l'intérieur de l'Église.

    Qu'est-ce que la vérité ? question qui m'en rappelle une autre: et pour vous, qui suis-je ? La réponse, proclamée plusieurs fois par le pape dimanche dernier, qui est celle de Pierre, est-elle compatible avec des propos et des actes relativistes, même accompagnés des meilleures intentions?

    J'en arrive à une réflexion particulièrement bien connaître, reprise ce jour sur Benoît et moi:


    "Force est de constater que le pontificat du Pape François se caractérise pour une volonté de plaire à une certaine opinion publique laïque et progressiste, alors que le christianisme devrait être « signe de contradiction » devant le monde.
    Pour s’en convaincre, il suffit de comparer la timidité des déclarations sur la persécution des chrétiens avec l’énergie des appels à l’aide humanitaire lors de la mort des migrants au large de Lampedusa.
    Le mot d’ordre de ce pontificat, avec toute évidence, c’est bien le « dialogue », qui ressemble toutefois à une conversation incessante où les parleurs causent à l’infini sans jamais s’entendre. Le juste refus de la violence contre les innocents se transforme ainsi en un pacifisme lâche que le christianisme apostolique (catholique et orthodoxe) n’a jamais prêché."

    Limpide.
    Et ce n'est pas un match de foot qui, dans un aberrant esprit de "dialogue", pourra jamais reléguer on ne sait où la place qui revient au Christ, dans concession: la première.

    En annonçant "Je suis la vérité", le Christ nous a aussi prévenu que la mort et le mensonge rôdaient sur la terre.

    Comment ne pas penser à ce stade à ce passage de l'Apocalypse, lu le 15 août:
    "Un signe grandiose apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, LA LUNE SOUS LES PIEDS"...

  • La déclaration( 12/08/2014)percutante et courageuse du Saint-siège contre les exactions de l'EI provenait exactement du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (Cardinal Tauran); ce qui n'équivaut PAS DU TOUT à une déclaration du Pape lui-même.( Après Ratisbonne, on a bien vu qu'une phrase du Pape non politiquement correcte peut enflammer la terre).
    Croyez-vous que les barbares écoutent les Conseils pontificaux?
    Même la majorité des catholiques, semble-t-il, ignore cette déclaration...
    On peut dire que , pour le moment, le Pape François semble légèrement inhibé par rapport à ce drame et qu'il fait preuve d'une prudence extrême.

  • @ monique t ... Dire qu'une déclaration officielle du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, présidé par le cardinal français Jean-Louis Tauran, n'équivaut « pas du tout » à une déclaration du Pape lui-même, me semble témoigner de peu de passion pour la vérité.
    .
    En outre, cette déclaration ne s'adresse évidemment pas aux barbares eux-mêmes, elle s'adresse tous les responsables et entités musulmanes du monde. Voir l'article ci-après :
    http://www.lefigaro.fr/international/2014/08/12/01003-20140812ARTFIG00283-le-vatican-demande-aux-leaders-musulmans-de-condamner-la-barbarie-en-irak.php
    .
    Enfin, si vous pensez que la majorité des catholiques ignorent cette déclaration, pourtant publiée dans la Presse, c'est bien triste. Cela montrerait qu'ils ne sont pas motivés non plus par la recherche de la vérité. Je n'en crois rien.
    .
    Voici d'ailleurs le texte officiel de cette déclaration, dans lequel le pape François est cité deux fois comme référence directe :
    http://press.vatican.va/content/salastampa/fr/bollettino/pubblico/2014/08/12/0567/01287.html

  • A Monsieur Job.Vous n'arrivez pas à me convaincre.Il est bien que les Conseils pontificaux s'expriment à l'intention des diplomates concernés mais la parole directe d'un Pape a cent fois plus de valeur et d'impact que celle d'un Conseil pontifical. C'est une évidence.
    Croyez-vous que les paroles de Benoît XVI à Ratisbonne auraient provoqué un tel incendie si elles avaient figuré dans un quelconque communiqué d'un Conseil pontifical?
    Quant à la vérité, je la cherche comme vous, je suppose, mais à tâtons, car le réel est difficile à déchiffrer.

  • @ monique t ... Que des catholiques se livrent à une critique publique de notre Pape, et cela par rapport à une situation aussi dramatique que celle que subissent nos frères d'Irak et de Syrie, j'avoue que cela me laisse pantois et très triste. D'autant plus que j'ai le sentiment que, pour une fois, tous les adversaires traditionnels de l'Église sont restés eux plutôt respectueux des appels pressants de notre Pape, aussi bien auprès des leaders musulmans que des leaders de la communauté internationale.

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