Lu sur FIGARO VOX :
Jean-Marie Guénois : de Benoit XVI à François, les mystères d'une succession par Vincent Tremolet de Villers
Quelques mois après son élection, le pape François bénéficie toujours d'une popularité extraordinaire. Jean-Marie Guénois revient sur le style et les idées du nouveau souverain pontife, et sur ses différences avec son prédécesseur.
Jean-Marie Guénois est rédacteur en chef adjoint du Figaro chargé des religions. Il vient de publier Jusqu'ou ira François chez JC Lattes.
FigaroVox: Votre livre revient sur le conclave qui a élu le pape François. Etait-ce réellement une surprise? Que sait-on aujourd'hui de cette élection?
Jean-Marie GUÉNOIS: L'élection de François fut une surprise totale. Dès que Benoît XVI annonça sa démission le 11 février 2013 l'ensemble des observateurs l'ont exclu de leur liste des «papabile», ces cardinaux susceptibles d'être élus comme trop vieux, parce qu'il avait raté son tour en 2005 contre Ratzinger et… qu'il était malade d'un poumon. Nous avons été une poignée seulement à le replacer dans le trio de tête le jour de l'entrée des hommes en rouges dans la chapelle Sixtine parce que bien informés, nous avions su l'impact de son discours devant ses pairs cardinaux. Et nous savions que son nom circulait à nouveau parmi ceux qui allaient voter comme étant peut-être l'homme providentiel qu'ils recherchaient. Avec le recul on s'aperçoit aujourd'hui que cette «remontée» du cardinal Bergoglio dans les sondages cardinalices, si l'on peut dire, n'a pas été un hasard. Certes il a fait une forte impression sur ses confrères lors des séances préparatoires du vote mais il apparait qu'un groupe de cardinaux idéologiquement opposé à Benoît XVI, en particulier ceux qui avaient soutenu le cardinal Argentin lors du conclave de 2005, le considéraient depuis longtemps et toujours comme un recours possible. De ce point de vue la renonciation de Benoît XVI a été pour eux une divine surprise. Ils étaient prêts. Les Italiens et les candidats de curie étant trop divisés, le pape sortant ne voulant peser en rien sur la suite, ce groupe décidé sur le nom de Bergoglio l'a porté suffisamment haut dès le premier suffrage pour mener le conclave car il est apparu à la majorité comme l'homme de caractère, libre des intrigues romaines, âgé donc n'ayant rien à perdre, avec une vision clair et apte à réformer la curie.
Comment expliquer la différence de vision entre Benoit XVI et François. Qu'est-ce qui les distingue. Est-on passé d'un pape traditionnaliste à un pape progressiste?
La rupture ecclésiale est totale. Le Vatican et l'Eglise en générale, minimise ce basculement mais c'est une autre vision de l'Eglise que porte le cardinal Bergoglio. Ratzinger et lui ne se connaissaient pas ou presque pas, ne se fréquentaient pas et n'appartenaient encore moins aux mêmes cercles. On sait aujourd'hui que le cardinal Bergoglio, pour être un homme d'Eglise, ne partageait pas les orientations du pontificat de Benoît XVI et évitait de venir à Rome. Mais à simplifier l'opposition entre les deux hommes aux catégories réductrices «progressiste» «conservateur» on resterait à la surface des choses. Je dirais que tout les sépare sauf leur foi catholique profonde ancrée et la même volonté d'évangéliser à tout prix un monde désenchanté. Et c'est sur ce dernier point que les progressistes, ceux que j'appelle dans mon livre «les nouveaux papistes» qui croient détenir enfin «leur» pape et qui imaginent que l'Eglise catholique, cette fois, deux millénaires plus tard va devenir enfin «l'Eglise du Christ», se trompent lourdement. François est loin d'être un protestant qui dépouillerait l'Eglise catholique de sa dentelle. C'est un pape dépouillé ultra catholique, volontaire, à la latino américaine. Il n'a qu'une idée en tête: la nouvelle évangélisation! Il reprend et amplifie le programme de relance de l'Eglise catholique de Jean-Paul II par cette nouvelle évangélisation. François est le pape de la nouvelle-nouvelle évangélisation, un concept violemment combattu depuis trente ans par l'aile progressiste de l'Eglise.