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Est du Congo : les violeurs s'en donnent à coeur joie dans l'indifférence générale

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Lu sur LeSoir.be (Philippe De Boeck) :

A l’est du Congo, des viols massifs dans l’indifférence

A l’est du Congo, la guerre est en cours depuis près de 20 ans, loin des caméras et des réseaux sociaux. Un phénomène qui s’explique par différents facteurs.

Le 16 octobre prochain, l'hôpital Saint Pierre, associé à l'ONG Médecins du Monde, décernera pour la première fois le Prix Solidarité. Il sera attribué au Dr Denis Mukwege, chirurgien congolais qui pratique des opérations à l'hôpital de Panzi, au Sud-Kivu, afin de réparer les femmes qui ont été mutilées par des viols. Chaque mardi, pendant cinq semaines, « Le Soir » consacre une série de reportages à l'action du Dr Mukwege.

Si les projecteurs sont braqués sur l’Etat islamique et les réfugiés qui affluent à la frontière turque, les exactions de groupes armés contre les populations dans les deux Kivu se déroulent loin des caméras. Pourquoi une telle indifférence alors que le nombre de victimes est nettement plus important dans un cas que dans l’autre ?

«  On en parle peu dans la grande presse, mais on en a beaucoup parlé à une certaine époque, explique Jean-Paul Marthoz, directeur du bureau européen du Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Il faut tenir compte du fait que les infos sur les violences sexuelles circulent beaucoup sur les réseaux sociaux et dans la sphère médiatique spécialisée en droits de l’homme, de développement et de résolution des conflits. La question est de savoir ce qui peut être le plus efficace pour changer les choses dans la région.  »

Pourquoi n’en parle-t-on plus aujourd’hui dans les médias occidentaux, si ce n’est occasionnellement ? Par exemple quand le Dr Mukwege reçoit un prix… «  Il y a dans les médias classiques un mode de sélection de l’information qui fait qu’un certain nombre de sujets affleurent pendant un certain temps puis disparaissent, poursuit Jean-Paul Marthoz. On a beaucoup parlé des violences sexuelles au Congo quand le conflit était plus apparent et interétatique (entre 1996 et 2005, NDLR). En général, la presse s’intéresse à des conflits quand il y a une dimension internationale ; comme la présence du Rwanda à l’est du Congo. Puis le sujet peut disparaître après un certain temps. C’est surtout problématique pour la presse audiovisuelle. La presse écrite de qualité a moins de problèmes. La presse papier régionale, par contre, propose très peu de sujets d’actualité internationale ; sauf quand une grande puissance est impliquée ou qu’il y a un lien de proximité.  » Avec le conflit en Irak et en Syrie, tous les ingrédients sont réunis. «  Des images, de l’action, des peurs, des doutes, de la proximité, des problèmes civilisationnels, etc. C’est typiquement le sujet qui va intéresser les gens et balayer les autres sujets », précise Jean-Paul Marthoz.

La « compassion fatigue »

Autre phénomène qui explique l’indifférence actuelle des médias occidentaux pour les viols massifs qui continuent au Congo malgré la présence de forces de maintien de la paix des Nations unies (Monusco) : la lassitude. «  Il est difficile de mobiliser l’attention des gens sur des sujets dont a l’impression qu’ils n’évoluent pas, sur lesquels on a l’impression qu’on ne peut pas faire quelque chose. A un moment, les gens décrochent. On parle souvent de «compassion fatigue», de la lassitude de la compassion. Alors on zappe, explique Jean-Paul Marthoz. Au Soir, vous avez la chance d’avoir quelques journalistes fortement intéressés par la RDC qui maintiennent la pression.  »

Parmi les autres explications, il faut aussi savoir que l’est du Congo est une zone très difficile pour y travailler en tant que journaliste. Qu’il soit congolais ou étranger. Les journalistes y sont rares et les images encore plus. Comme on dit souvent dans le milieu : « Pas de photo, pas d’info ! »

«  C’est un élément crucial, poursuit Jean-Paul Marthoz. Je suis d’ailleurs assez étonné de ne trouver aucune vidéo de ce genre d’actes sur internet. Sans doute parce que la terreur qui règne sur place dans ce genre de situation fait que personne n’ose sortir une caméra. Sauf peut-être ceux qui commettent ces crimes justement… Ce qui est assez fréquent dans pas mal de cas, mais pas ici. Lors de la guerre du Kosovo, par exemple, les paramilitaires se filmaient dans l’acte de commission d’un crime. A Srebrenica aussi. »

Et puis, on y revient, l’est du Congo est dangereux et beaucoup de journalistes n’y vont plus. «  C’est un phénomène qui se généralise dans beaucoup de pays. Les journalistes n’y vont plus parce que c’est beaucoup trop dangereux. C’est le cas au Mexique, par exemple, à cause des narcotrafiquants, raconte Jean-Paul Marthoz. Et c’est le cas aussi en Syrie et en Irak où des journalistes ont été pris en otage et certains exécutés ou décapités, tout simplement parce qu’ils faisaient leur métier de journaliste. »

Sans oublier que de plus en plus de médias renoncent à envoyer des journalistes en reportage pour des raisons de coûts et d’assurance. « Exception faite de quelques très grands médias qui ne souffrent pas de la crise ou de grandes agences, de moins en moins de médias ont de l’argent pour couvrir des sujets qui ne sont plus considérés comme évidents ou essentiels selon les critères conventionnels de l’information. Quand on y ajoute les conditions de sécurité de plus en plus délicates, le risque est énorme. L’industrie des otages pourrait très bien exister un jour dans ces zones-là aussi, analyse Jean-Paul Marthoz. En dehors de cet aspect sécuritaire, on voit bien que les délais de reportage sont de plus en plus courts. Et plus c’est court, moins on peut se rendre compte de la situation réelle sur le terrain. En 1990, on partait deux semaines. Aujourd’hui, c’est trois jours. Comment, dans ces conditions, pouvoir réaliser un bon reportage sur les violences sexuelles au Kivu ?  », conclut Jean-Paul Marthoz.

Si Le Soir consacre plusieurs articles et reportages à l’action du Dr Mukwege à l’hôpital de Panzi, c’est justement pour que cette sale guerre ne passe pas aux oubliettes.

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