Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Paul VI béatifié

IMPRIMER

tumblr_lzd3pehKtc1qd5xrk.jpgLe 14 mai dernier, l'abbé Guillaume de Tanoüarn, sur metablog, commentait cette future béatification en ces termes :

Paul VI béatifié : quelle politique pour le pape François ?

On apprend par l'Agence I-médias, toujours à la pointe de l'actu quoi qu'il en coûte, que le pape Paul VI pourrait être béatifié en octobre prochain. Antoine-Marie Izoard, qui n'est pas le pape mais une bonne caisse de résonance de ce qui se passe à Rome, donne deux raisons à cette canonisation : la poursuite du concile Vatican II et l'encyclique Humanae vitae, héroïquement publiée malgré l'opposition d'une majorité de ses conseillers. La date ? On profitera de la fin du synode sur la famille pour faire cette béatification - en octobre prochain.

Là encore le geste du pape François est éminemment politique, et ce terme ne signifie pas pour moi qu'il est mauvais, au contraire. Mais on sent que tout est calculé, les raisons données, la date avancée. Il s'agit, comme je l'ai écrit sur ce blog de protéger l'institution dans celui qui en est sans doute un maillon faible.

Malgré son lyrisme rhétorique, malgré son volontarisme politique le pape Paul VI a rencontré de grandes difficultés dans le gouvernement de l'Eglise alors que s'ouvrait une "ère post-conciliaire" qui mettait l'Eglise, au moins dans certains pays, dont la France, dans les conditions concrètes d'une véritable révolution culturelle, avec autodafés organisés des fastes du passé, destruction de statues dans les paroisses et - plus grave - fermeture systématique au passé récent de l'Institution. J'ai moi même vécu dans cette atmosphère, puisque né en 1962 je suis un enfant du Concile. Je me souviens bien que ce qui évoquait le passé était forcément mauvais et que l'on devait d'ailleurs éviter d'en parler. Le latin ecclésiastique était un véritable tabou.

Dans ce contexte, Paul VI, naviguant entre les récifs, a tenté de sauver l'essentiel, malgré "les fumées de Satan" qui, de son propre aveu, s'infiltraient dans l'Eglise. A l'instigation de l'aile conservatrice au Concile, il a imposé la Nota praevia à la Constitution Lumen gentium, Nota qui rappelle les prérogatives personnelles du pape de Rome. Et en 1968, il a condamné et l'avortement et la contraception, cette dernière malgré le conseil contraire de hautes personnalités dans l'Eglise.

On va donc nous faire de ce pape féru de modernité, foncièrement démocrate chrétien, amoureux de la culture française jusque dans ses dimensions les plus "modernes", ouvert à toutes les remises en cause (comme le prouve les livres qu'il a lus et annotés dans sa bibliothèque, conservée à Milan)... un pape de droite, précurseur de l'Evangile de la vie et gardant héroïquement le cap au Centre alors que toutes les boussoles se sont affolées à gauche.

Il est vrai que l'affaire du Catéchisme hollandais l'avait beaucoup affecté. Il parlait à propos de la Hollande d'un "ferment schismatique dans l'Eglise" (1971). Par ailleurs, pendant les presque dix ans qui lui restaient à vivre, il ne rédigea plus aucune encyclique après l'accueil catastrophique qui fut réservé à Humanae vitae. Il était devenu, lui Giovanni Battista Montini, naguère le champion du progrès et de l'ouverture au monde, ce que le politologue Thomas Molnar appela "un contre-révolutionnaire par position. Pour Molnar, dans son livre sur La contre-révolution (10/18), ils étaient trois à l'époque dans le monde à pouvoir revendiquer le titre de contre révolutionnaire par position : De Gaulle face à Mai 68, Nixon face au communisme dans la Guerre du Viêt-Nam et... lui, Paul VI, pape libéral, obligé de jouer les pompiers conservateurs face aux incendies qui s'étaient déclaré un peu partout dans l'Eglise.

Quant à la nouvelle messe que Paul VI avait promulguée et rendue obligatoire en 1969, elle apparaissait comme rétrograde par rapport auxexpériences liturgiques qui, selon les merveilleuses instructions données dans Sacrosanctum concilium, la constitution liturgique du Concile, apparaissaient ici et là et s'imposaient. Et en même temps, Benoît XVI en témoigne dans son Autobiographie, cette nouvelle liturgie, au lieu de s'inscrire dans le mouvement liturgique qui avait pris son essor dans l'Eglise 30 ans auparavant, y avait mis brutalement fin, en imposant son minimalisme rituel. Pour se limiter à la France, la baisse spectaculaire de la pratique religieuse entre les années 70 et 75 (on est passé en France de 22 à 15 %) avait sans doute des origines dans l'hédonisme soixante-huitard. Mais qui fera croire que la réforme liturgique de Paul VI fut un succès ? Et à qui fera-t-on croire qu'elle est pour rien dans l'effondrement subit de la pratique religieuse ?

Aujourd'hui beaucoup de jeunes prêtres semblent renouer avec le mouvement liturgique. Ils ont un beau service de messe, un bel autel. Ils sont ouvert aux valeurs liturgiques traditionnelles, même s'ils connaissent peu la Tradition latine (révolution culturelle oblige). Mais que de temps perdu !

Pour cet homme de gauche qui se retrouva à droite par la dureté des temps et qui, rétrospectivement dut compatir profondément avec le pape Pie XII, dont il avait pourtant voulu compenser l'inaction, l'affaire Lefebvre, en 1974-75-76 fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. C'est face à l'évêque de fer qu'il eut cette phrase sur Vatican II "plus important sous certains aspect que le concile de Nicée" [Nicée définit la consubstantialité du Fils de Dieu à son Père divin]. Autant Paul VI était mal à l'aise face à la gauche hollandaise ou face à des théologiens comme Hans Küng qu'il avait lus mais qu'il ne voulut jamais condamner, autant face à un traditionaliste il se retrouvait dans les fondamentaux de son existence. Il se devait de rester fidèle à l'engagement d'ouverture qui fut celui de sa vie... Il condamna donc sans état d'âme (ce fut la condamnation la plus solennelle de ce pontificat) celui qui voulait rester fidèle au passé de l'Eglise et à sa liturgie, sans chercher à élaborer le moindre compromis, sans s'autoriser la moindre concession.

Le Père Viot me disait combien son maître Oscar Cullmann, grand théologien luthérien que le concile Vatican II avait beaucoup rapproché de Rome, était intervenu auprès de Paul VI pour lui demander de ne pas laisser s'installer ce déséquilibre trop apparent, entre une droite sanctionnée et une gauche jouissant de toute impunité... Paul VI est mort dans cette ultime contradiction : lui l'homme de gauche, devenu un pape de droite par nécessité, lui le confident de Jean Guitton, qui, expérience faite, voulait surtout être le champion d'une ouverture raisonnable en restant fidèle à la foi de l'Eglise (comme le marque son étonnante profession de foi de 1968, rédigée on le sait aujourd'hui par Jacques Maritain), il allait enlever à la droite catholique toute légitimité et renforcer la dictature des progressistes, dans une Eglise devenue un véritable bateau ivre. Il fallut le charisme de Jean-Paul II pour que la Barque de Pierre retrouve un cap. Encore ne s'est-elle pas encore entièrement remise (je parle en interne) de la manière dont Paul VI lui fit tirer des bords face aux vents contraires.

Pie XII appelait son "substitut" "notre cher Hamlet". Malgré lui, Paul VI avait ouvert une boîte de Pandore qu'il ne parvint pas à refermer de son vivant. Depuis quand Hamlet prend-il les bonnes décisions ? Mais pour le pape François cette dimension personnelle de la crise de l'Eglise n'a pas d'importance. C'est l'institution qu'il faut préserver, protéger, sanctifier. Vingt ans après la publication du Catéchisme catholique et de l'encyclique Veritatis splendor, le concile Vatican II a-t-il été digéré ? Les convulsions des années 70 appartiennent-elles au passé ? L'avenir le dira. Mais c'est évidemment le pari du pape François.

Les commentaires sont fermés.