Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Histoire : à propos de la « condamnation » des prêtres-ouvriers

IMPRIMER

L’intitulé de notre « post » sur Madeleine Debrêl n’a pas plu à tout le monde, dès lors qu’il différenciait son apostolat en milieu ouvrier de celui des prêtres du même nom. C’est pourtant un fait. L’aventure des prêtres-ouvriers c’est autre chose. Voici soixante ans (1954), Pie XII décida d’y mettre fin, sans trop y réussir d’ailleurs. Mais tout cela, qui a frappé notre jeunesse est devenu étranger au monde d’aujourd’hui : nous ne savons plus trop ce qu’est un « ouvrier » ni, parallèlement, ce qu’est « un prêtre ». Il y a des identités qui se perdent. Reste l’éclairage des historiens. Voici quelques considérations à ce sujet,  extraites d’un article déjà ancien paru sous le titre  «Nouvelles perspectives historiographiques sur les prêtres-ouvriers (1943-1954) » . 

JPSC

« (…) Rarement on aura observé un tel contraste entre le retentissement de cette affaire en 1953-1954 et l’oubli dans lequel elle a sombré depuis. Qui peut croire aujourd’hui qu’un esprit aussi attentif aux « signes des temps » que le dominicain Marie-Dominique Chenu a pu y voir à l’époque « l’événement religieux le plus important depuis la Révolution française » ?

Au point de départ, un livre célèbre, « La France, pays de mission ? »  des abbés Daniel et Godin, dont la sortie en librairie le 12 septembre 1943 a, au dire des contemporains, éclaté comme une « bombe » dans le milieu catholique. 100 000 exemplaires sont vendus en quatre ans et l’ouvrage quadrille d’emblée, et pour plusieurs années, le débat apostolique  (…).

« La France, pays de mission ? « » est directement à l’origine de la Mission de Paris qui va jouer un rôle matriciel dans l’histoire des prêtres-ouvriers. Le cardinal Suhard, archevêque de Paris depuis 1940, était depuis longtemps préoccupé par le problème de la déchristianisation. Il a fondé la Mission de France le 24 juillet 1941, dans le but de fournir des prêtres aux diocèses les plus dépourvus et de les former pour ce genre d’apostolat (…).  

Ils prennent rapidement la mesure de l’incroyance du milieu ouvrier, qui se révèle très différente, par-delà les analogies superficielles, du paganisme des hommes de l’antiquité ou des indigènes des colonies. L’anticléricalisme, qui fait partie de la culture du mouvement ouvrier, fait barrage à la réception du message religieux des nouveaux missionnaires. Du reste, sous la direction du parti communiste et de ses organisations satellites, jamais la classe ouvrière n’a été plus nombreuse, plus organisée et plus cohérente qu’au moment où ils entreprennent d’en faire la conquête. Enfin, ils découvrent la réalité de la lutte des classes, subie au quotidien avant d’être une notion sociologique ou un outil politique, et face à laquelle la doctrine sociale de l’Église, qui la récuse, leur paraît inadaptée.(…) 

D’où le passage progressif d’une perspective de « conquête », proche encore de l’esprit de l’Action catholique des années 1930, à celle, plus modeste mais plus réaliste, de la « présence » et du « témoignage ». Parallèlement, l’image du prolétariat se transforme, passant du monde évangélique des pauvres à celle de la classe la plus active et la plus représentative du monde moderne.

Le choix de « l’incarnation » (un des maître-mots de la théologie de l’époque) ou de la « communauté de destin » (son pendant sociologique) va les conduire de plus en plus loin, d’autant qu’il leur faut, au moins au début, désarmer les suspicions et faire la preuve de leur sincérité. En règle générale, leur naturalisation se fait plutôt bien, parfois après un temps d’anonymat ou de probation, mais leurs camarades font bien la distinction entre eux et l’Église institutionnelle. L’intégration passe par le travail, souvent dans l’industrie lourde ou les docks des grands ports ; la découverte de la condition ouvrière, avec ses difficultés (niveau des salaires, cadences, accidents, licenciements, amendes) et sa camaraderie ; la communauté d’habitat et de quartier mais aussi la participation au « mouvement ouvrier », aux manifestations, aux grèves, au Secours populaire, à la vie syndicale, le plus souvent dans les rangs de la CGT parce que la CFTC paraît trop marginale, cléricale et réformiste. Dans ces conditions, ils sont amenés à participer, à partir de novembre-décembre 1947, aux grandes grèves sur fond de guerre froide. il s’agissait-là d’un tournant dans l’histoire des prêtres-ouvriers. Comme ils sont disponibles et éduqués, qu’ils savent rédiger ou parler en public, ils ne tardent pas à prendre des responsabilités au sein du syndicat et parfois montent assez haut  (…).

Il était inévitable que l’expérience des prêtres-ouvriers suscitât les critiques des milieux dont elle bouleversait la culture, les habitudes et parfois les intérêts. Le clergé d’esprit plus traditionnel, une partie de l’épiscopat, le gros de la bourgeoisie catholique, des milieux patronaux de province, mais aussi certains militants CFTC ou d’Action catholique ouvrière (ACO) sont réticents, ou franchement hostiles. De là des protestations et dénonciations auprès des évêques ou de Rome. Les prêtres-ouvriers eux-mêmes ne réagissent pas à l’unisson face aux problèmes rencontrés, qu’il s’agisse de la vie sacerdotale (prière personnelle, célébration de la messe, célibat, argent), des rapports avec l’Église (évêques, supérieurs religieux, paroisses, mouvements d’Action catholique), du besoin de mettre en doctrine leur expérience, ou du communisme (…).

Rome n’a pas été d’emblée hostile au mouvement. Dans les premières années, elle a globalement soutenu l’expérience, même si les milieux les plus conservateurs de la Curie ne cachaient pas leurs inquiétudes (…). Mais à partir de 1949, il est clair que Rome est de plus en plus hostile à ce qu’elle considère pragmatiquement comme une « expérience », qu’on peut interrompre si elle ne donne pas satisfaction. Cette année-là, deux événements majeurs se produisent. D’abord la disparition le 30 mai du protecteur par excellence des prêtres-ouvriers, le cardinal Suhard, auquel ses trois grandes lettres pastorales des années 1947-1949 ont donné une stature internationale. Ensuite le décret du Saint-Office du 1er juillet qui interdit aux catholiques la collaboration avec les partis communistes (…).

Deux problèmes, l’un religieux et l’autre politique, sont en cause sans qu’on sache très bien, tant que les sources romaines n’auront pas été consultées, lequel des deux a prévalu : 

L’immersion dans la masse de prêtres sans communautés chrétiennes constituées autour d’eux, leur participation aux luttes de la classe ouvrière, les libertés prises avec les prescriptions canoniques, une tendance ouvriériste qui menace l’« universalité du sacerdoce » (lors même qu’il existe de fait un clergé bourgeois et un clergé rural), des cas de concubinage, quelques sorties retentissantes (…). Le second problème est lié à l’attitude des prêtres-ouvriers face au communisme dans le contexte de la guerre froide. De façon significative, la condamnation romaine intervient un an après la mort de Staline, au terme de la période de fascination maximale du marxisme sur les esprits (grosso modo 1936-1953). Pie XII campe ici sur des positions d’autant plus fermes qu’il évalue les risques à l’aune de la situation italienne (plus ou moins fantasmée) et des persécutions contre l’« Église du silence » dans les démocraties populaires d’Europe centrale et orientale. (…). Dans ce contexte, les autorités ecclésiastiques romaines, et pour partie française, s’alarment de l’« imprégnation marxiste » de prêtres qui militent au sein de la CGT ou du Mouvement de la Paix.

On a souligné avec raison qu’aucun prêtre-ouvrier n’avait adhéré au PCF avant 1954, même si un certain nombre des « restés au travail » franchiront le pas après la condamnation. Pour autant, l’« imprégnation marxiste » dénoncée à l’époque n’était pas, ou pas seulement, un mythe romain. Un bon nombre d’entre eux ont adopté tout ou partie du vocabulaire, des analyses et des grandes causes du Parti  (…).

L’évolution de l’expérience et le durcissement des autorités romaines vont amener celles-ci à considérer que l’entreprise est finalement plus dangereuse qu’utile. Les résultats, en termes de « comptabilité des âmes » (baptême d’adultes, régularisations de mariages), ne sont pas au rendez-vous. D’où l’idée à la fois de limiter le recrutement – le 20 juin 1951, le Saint-Siège défend d’accroître leur nombre mais ne sera pas vraiment entendu – et de recadrer les hommes et les méthodes (…). La décision de mettre un terme à l’expérience suivra et sa mise en œuvre, qu’on aurait voulu discrète, est confiée au nouveau nonce à Paris, Mgr Marella, arrivé le 1er juin 1953, qui succède au prudent Mgr Roncalli, futur Jean XXIII (…).  Le 27 juillet, Rome interdit aux séminaristes les stages en usine. Le 29 août, la décision de rappeler les prêtres-ouvriers religieux est prise et les jésuites seront les premiers à obtempérer le 28 décembre. Le 6 septembre, le cardinal Liénart annonce la fermeture du séminaire de la Mission de France. Surtout, le 23 septembre 1953, Mgr Marella réunit à l’archevêché de Paris les responsables de prêtres-ouvriers et leur communique les instructions du Saint-Siège qui scellent, en pratique, la fin de l’expérience. « C’est une catastrophe pour l’Église de France » déclare à chaud le cardinal Liénart. C’est alors, les fuites aidant, que commence véritablement l’« affaire des prêtres-ouvriers ». Trois des cinq cardinaux français (Liénart, Feltin et Gerlier, Saliège et Grente étant défavorables aux prêtres-ouvriers) vont à Rome plaider leur cause : ils sont reçus fraîchement par Pie XII le 5 novembre, sans rien obtenir. « S’il faut choisir entre l’efficacité apostolique et l’intégrité sacerdotale, leur déclare le pape, je choisis l’intégrité sacerdotale. » Bon gré mal gré, la Hiérarchie française se rallie dès lors aux vues romaines et publie, le 19 janvier 1954, une lettre-circulaire aux prêtres-ouvriers fixant le 1er mars comme ultime délai pour accepter les conditions posées, en particulier l’interdiction de travailler plus de trois heures par jour, d’adhérer à quelque organisation que ce soit et d’y accepter des responsabilités (…).

Reste pour les intéressés eux-mêmes un « choix impossible » entre deux fidélités, qui les brise individuellement et qui aura raison de leur unité (…)."

Commentaires

  • Que d'erreurs dans votre article ! Erreurs qui deviennent des malveillances gratuites.

    Pas un mot non plus pour dire que l'expérience des "prêtres ouvriers " (ou " au travail ") pourra se poursuivre en 1965 grâce au Bienheureux pape Paul VI !

    Notre pape François ne dit-il pas : "Allez sur les parvis" ?

  • Le peu de réactions à ce genre de "post" concernant l’évangélisation de la « condition ouvrière » ne prouve qu’une chose : cette problématique et les réponses ambiguës qu’elle suscita sont datées, « dépassées », tout comme celles de la « théologie de la libération » dans l’hémisphère sud des Amériques.

    L’esprit du monde est aujourd’hui passé à d'autres choses. Relisons à ce sujet, en anglais ou en italien (puisque la version française est toujours indisponible), la « relatio » du récent synode extraordinaire de l’Eglise romaine: un texte qui passera comme bien d’autres.

    Mais réjouissons-nous du témoignage authentique d’une âme comme celle de Madeleine Debrêl qui appartient au vrai trésor de l’Eglise, qui lui ne passera pas.

Les commentaires sont fermés.