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Une nouvelle guerre de religion ?

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monseigneur-luc-ravel-eveque-aux-armees-hommage-ITELE-930620_scalewidth_300 (1).jpgConférence de Carême de Mgr Luc Ravel, évêque aux armées françaises, le 9 mars 2015, en la chapelle Notre Dame du Bon Secours à Paris : ce qui se passe actuellement, affirme-t-il, « ce n’est pas un choc de civilisations mais une nouvelle guerre de religion. Ce qui a pu laisser croire à un « choc des civilisations » tient à ce qu’il y a un choc idéologique inouï, un affrontement non pas entre l’Occident et l’Islam mais entre deux idéologies, l’une islamiste, religieusement dévoyée et l’autre laïciste, occidentalement détournée. Il se fait que la première est née en Islam et que la seconde provient de l’Occident ». Lu sur le site « Riposte catholique » :

« Une nouvelle guerre de religion ? Quel drôle de titre pour une conférence de carême !

Je ne suis ni sociologue, ni politologue, ni polémologue. La conférence de carême de ce soir participe néanmoins totalement de ma mission d’évêque. Un évêque ne parle pas que de Dieu et de l’Eglise mais aussi du monde.

Le concile Vatican II l’explique très clairement et donne la méthode pour comprendre le monde : « Pour mener à bien cette tâche, l’Eglise a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Evangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. » (Gaudium et Spes, 4) Un peu plus loin, il ajoute : « … La foi, en effet, éclaire toutes choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines. » (Gaudium et Spes, 11)

La conférence de ce soir voudrait nous aider à remplir cette mission de l’Eglise aujourd’hui en France : scruter puis interpréter en vue de répondre aux questions éternelles de l’homme par des solutions pleinement humaines.

1. Scruter : une nouvelle guerre de religion

Observons attentivement le monde pour ne pas nous emballer sur des tigres de papiers ou des sous-évaluations d’événements pourtant considérables. Or, non seulement le monde est compliqué mais on redouble sa complexité par un langage déraisonnablement incorrect. Ainsi on nous retient de parler d’ « Islamisme » au motif que nous ferions des amalgames. Le français, jugé incapable de réfléchir par lui-même, ne serait-il plus capable que de faire des distinctions évidentes ! C’est irritant pour notre amour-propre. Mais ce qui est outrageant pour la raison, c’est que le discours, dans le même temps, nous explique que la laïcité est menacée. L’homme que je suis s’interroge : pourquoi la laïcité est-elle menacée si aucune religion n’est impliquée dans les attentats ?

Regardons les faits, examinons-les de près en toute objectivité.

Au cours de ces cinq dernières années, dans le monde s’allument des foyers nouveaux de guerres nouvelles. Les révolutions arabes, la persécution des chrétiens en Inde ou au Sri Lanka, les horreurs de Boko Haram au Nigéria, la guerre sans nom de Daesh en Irak et en Syrie et tant d’autres brasiers de violence et d’horreurs comportent tous une question religieuse à un titre ou à un autre. La religion fait systématiquement son apparition comme cause explicite de ces nouvelles guerres. Subitement des millions de chrétiens découvrent qu’ils ne peuvent pas être indiens s’ils ne sont pas hindous. Des millions de coptes découvrent qu’ils ne sont pas de vrais égyptiens parce qu’ils sont chrétiens etc. La liste est longue : le Vatican connaît aujourd’hui 139 pays où les chrétiens subissent des persécutions ! Comme l’écrit Timothy Radcliffe dans « Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde » : « La religion fait un retour spectaculaire au centre de la scène qu’aucun politicien ne peut plus se permettre d’ignorer. » (p. 809)

Une nouvelle guerre de religion se déplie autour de nous et chez nous.

C’est une guerre parce que ses buts sont politiques : si les motivations sont religieuses et si les moyens sont terroristes, les buts sont politiques. Que nous le voulions ou pas, c’est bien une guerre car ce qui est visé n’est peut être pas immédiatement l’occupation d’une terre mais certainement la déstabilisation ou la réorganisation de la Cité. Il ne s’agit pas d’un terrorisme de gang aux visées financières mais d’un terrorisme à buts politiques : certains hommes, groupes ou Etats veulent s’assurer que leur religion dicte intégralement la forme de la société, la forme de vie personnelle ou sociale, vestimentaire ou sociétale, économique et politique. C’est le caractère totalitaire d’une religion qui investit aujourd’hui le champ de la guerre à titre de source première et de but ultime. Par totalitaire, j’entends un mouvement, au final politique, s’imposant contre la responsabilité humaine. Il veut l’attaquer puis la submerger par l’infantilisation, par la force ou par la séduction. Nous prêchons, nous chrétiens, une religion « totalisante », ce n’est pas du tout la même chose : dans le respect et dans le salut de la liberté responsable de chacun, elle investit tout l’homme par des vertus qui ne se juxtaposent pas aux autres vertus humaines mais qui les soulèvent et les complètent : la foi, l’espérance et la charité.

Cette guerre est partiellement nouvelle par les moyens mis en œuvre. C’est une lutte essentiellement conduite par le terrorisme : si les motivations sont explicitement religieuses, les moyens sont efficacement terroristes. Le terrorisme se définit par les moyens utilisés : tuer directement des innocents pour faire peur, privilégier les cibles non combattantes mais significatives etc. Mais ces moyens ne sont ni exclusifs ni vraiment nouveaux: Daesh combine ce terrorisme avec des moyens tactiques plus classiques en Irak et en Syrie (chars, conquêtes etc.). Et le terrorisme n’a pas attendu la religion pour noircir nos sociétés : IRA en Irlande, ETA en pays basque etc.

Cette guerre est vraiment nouvelle par son aspect transnational ou globalisé.

Non pas mondial, comme nous l’avons vécu deux fois en trente ans lors de 14-18 puis 39-45. Non pas international comme un ensemble de nations contre une nation ou contre une force de déstabilisation. Pensons à nos interventions sous casques bleus au nom de l’ONU dans les Balkans. Mais un conflit qui se moque des frontières. Le nouveau rapport de force s’établit de façon transnationale : avant-hier au Canada ou aux Etats unis, hier à Paris, aujourd’hui à Copenhague… A peu près tous les continents ont été touchés ou sont susceptibles de l’être par l’Islamisme : Océanie avec l’Australie, Afrique, Amérique (le 11 septembre 2001), Europe et bien entendu Asie avec le Pakistan etc. A regarder les points touchés, il en ressortirait une impression de « désordre » si on les analyse avec la grille habituelle, celle de conquêtes territoriales. En réalité, cette guerre se fiche du terrain : elle peut même frapper « chez elle » broyant les populations mêmes où ces leaders vivent et naissent (Pakistan, Afghanistan par exemple).

Nous gagnerions à nommer cette guerre « guerre globalisée », de ce nom qui fait froid dans le dos, « la globalisation ». La globalisation, c’est à dire la marche triomphale, accélérée par le numérique (Internet), d’une économie à taille terrestre, d’une promotion scientifique et technologique à l’échelle mondiale, mais surtout d’une uniformisation de la pensée par la diffusion universelle des mêmes codes mentaux. Cette globalisation me paraît être le terrain propice pour cette guerre naissante. Il ne s’agit pas ici de thèse altermondialiste ou écologique encore moins nationaliste. Il s’agit de prendre conscience de cet effritement des frontières, politiques ou mentales qui autorise toutes les circulations : des biens, des maux et des idées.

Mais cette lutte est surtout nouvelle par l’implication explicite de la religion qui la fait naître et qui l’achève. La religion, qu’on le veuille ou non, est mêlée à cette violence armée parce qu’elle est nommément la motivation de ces guerres. Là réside la vraie nouveauté de ce qui nous advient. Et la méconnaissance volontaire de la vie religieuse par nos élites rend sa perception difficile. Et il va de soi que l’on combat mal l’ennemi qu’on a mal identifié.

 

On a parlé de « choc de civilisations » : avec raison, beaucoup s’opposent à cette expression. En réalité, les civilisations ne sont pas impliquées comme telles : la preuve en est que cette « guerre de religion » s’étend sans merci à des hommes de même civilisation, de même race ou de même langue (arabe par exemple ou indienne). La destruction d’œuvres d’art de civilisations disparues en Afghanistan ou en Irak montre clairement que la lutte est avant tout idéologiquement religieuse et religieusement idéologique. Ce n’est donc pas un choc de civilisations mais une nouvelle guerre de religion. Ce qui a pu laisser croire à un « choc des civilisations » tient à ce qu’il y a un choc idéologique inouï, nous l’analyserons dans la deuxième partie, un affrontement non pas entre l’Occident et l’Islam mais entre deux idéologies, l’une islamiste, religieusement dévoyée et l’autre laïciste, occidentalement détournée. Il se fait que la première est née en Islam et que la seconde provient de l’Occident.

La guerre de religion que nous nommons ne se revendique pas comme visant d’autres religions en tant que telles. Il ne s’agit pas d’un affrontement de dogmes. En ce sens, ce n’est pas une guerre des religions entre elles comme si l’une s’opposait symétriquement à l’autre. Ici, des croyants d’autres religions ou des croyants de la même religion sont visés non à cause de leur dogme mais à cause de leur existence même. Leur existence de citoyen contredit la religion des agresseurs. Ces nationalismes religieux d’un genre nouveau trient la population en fonction de leur religion, gardent ceux qui en sont dignes et éliminent les autres : derrière la prétendue sauvegarde d’une culture, se met en œuvre des racismes religieux. Ces racismes s’exercent aussi entre croyants: l’islamisme a fait plus de victimes musulmanes qu’occidentales (par exemple en Afghanistan).

Dans tous ces cas, il y a une constante : la juste relation entre le politique et le religieux est attaquée. Sur ce point nous sommes d’accord avec les discours ambiants : la laïcité est en péril dans cette guerre nouvelle à flambée religieuse.

2. Interpréter : un conflit entre deux idéologies

L’établissement des faits ne suffit pas : il nous faut aussi les interpréter, essayer d’en voir les tenants et les aboutissants à la lumière de la foi. L’apparition de cette nouvelle guerre ne serait-elle qu’une naissance spontanée ou, au contraire, ne serait-elle pas née comme opposition (terrible) à une idéologie pernicieuse contre laquelle elle se dresserait ? Il s’agit maintenant non plus de décrire mais de voir quelles forces invisibles traversent la réalité scrutée…

Comme dans toute guerre, on doit chercher les deux camps. Dans toute guerre, il y a au moins deux camps. Ou, pour le dire autrement, deux champs de force traversent cette lutte et va la rendre de plus en plus vive. Qui affrontent qui ? Nous l’avons dit plus haut, deux idéologies s’affrontent dont l’une est souvent assimilée à l’Occident et l’autre à l’Islam. Cette vision est courte. Donc fausse.

Regardons les choses plutôt à partir de l’évangile selon saint Mattieu au chapitre 8. A ce moment-là de l’histoire de Jésus, il a autour de lui ses premiers disciples mais aussi ses adversaires, encore masqués mais déjà agissants dans l’ombre. La situation est grave. Il décide alors de changer de rive au bord du lac de Galilée. Jésus souhaite ainsi se mettre au calme pour analyser la situation avec ses disciples : il cherche à leur donner une interprétation évangélique des faits. Or que se passe-t-il ?

« Les disciples avaient oublié de prendre des pains et ils n’avaient qu’un pain avec eux dans la barque. Or Jésus leur faisait cette recommandation : « Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode ! » Et eux, de faire entre eux cette réflexion, qu’ils n’ont pas de pain. » (Mt 8, 14 à 16)

Une remarque d’abord. Obsédés par leur mauvaise préparation logistique, les disciples n’écoutent plus le Christ. L’effet de ce passage est saisissant : obnubilés par leur faim future, les hommes ne prennent pas au sérieux ceux qui tentent de leur décrire les vraies forces qui traversent aujourd’hui leur société et qui conduiront à la catastrophe si on les laisse agir ! Et nous en sommes là en France : nous mangeons à notre faim mais les préoccupations de l’immédiat nous interdisent d’écouter au-delà des promesses d’un « point de croissance » économique. Or écouter le Christ n’était pas si compliqué que cela dès que nous nous intéressons au présent. Le Christ veut qu’ils écoutent sa lecture du monde au présent en laissant le souci du lendemain.

Que dit-il ? En face de l’homme et agissantes contre lui, il y a deux forces nommées « levain » car elles agissent de façon cachée et intérieure : la force du religieux durci, les Pharisiens, et la force du politique raidi, Hérode. Entrons maintenant en matière. Déclinons cette analyse dans ces temps qui sont les nôtres. Qui sont les pharisiens d’aujourd’hui ? Qui est Hérode aujourd’hui ? Quels sont les adversaires en présence ?

Je complète dès maintenant la thèse énoncée plus haut :

a. Des idéologies traversent le monde global.

Ne pensons pas à des pays qui se combattent. Ni même à des factions qui s’opposeraient pour des religions ou des cultures. Les deux adversaires qui s’affrontent sur notre sol et de partout dans le monde s’incarnent dans des hommes voire des clans, c’est certain : il y a bien des frères Quouachi, des réseaux al Quaïda. Mais en réalité, en eux, derrière eux, œuvrent des esprits mauvais, purs esprits séparés des réalités et de l’expérience ; ce sont des idéologies malignes toutes les deux, entre lesquelles nous nous situons.

Dans la Bible, ces idéologies et leur mode de transformation du monde par influence secrète sont nommés « levain ». « Ouvrez l’œil et gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain d’Hérode ! » (Mc 8, 15) prévient Jésus.

Par idéologie, j’entends bien désigner une façon de penser qui induit une manière d’agir déconnectée de l’expérience et de l’histoire. Elle naît hors de la réalité et elle veut faire rentrer cette réalité dans ses cadres préconstruits. C’est en quoi elle est terrifiante : le bon sens lui est totalement étranger et quand la réalité la dérange, elle la change. Ainsi cette propension qu’a l’idéologie de transformer l’histoire, lieu privilégié de la propagande, et de ne jamais regarder la réalité en face. Il n’y a pas d’honnêteté dans l’idéologie. Voilà le fond du problème : elle nie les faits quand ils ne rentrent pas dans ses cases. Elle coupe les têtes ; elle déteste les hommes de terrain qui osent dire ce qu’ils voient et ce qu’ils sentent et ce qu’ils vivent.

Comme un levain travaille et transforme de l’intérieur, de façon cachée, l’idéologie ne suppose pas nécessairement au départ une force politique. Elle n’a pas besoin de forces étatiques. C’est d’abord une force s’exerçant sur les esprits. Voilà pourquoi la violence qu’elle génère pour gagner les esprits prend la forme du terrorisme. Terrorisme de la poudre ou terrorisme de la pensée. Sous le régime soviétique, les deux formes étaient utilisées avec un grand bonheur. Pourquoi le terrorisme ? Parce que l’idéologie vise à plier les esprits par influence. Par exemple, rien n’est aussi contagieux que la peur. L’idéologie veut gagner les esprits par la peur. La peur corrode les cœurs ; la terreur tue quelques personnes certes, mais l’important est ailleurs : l’important ce sont les millions de vivants non pas touchés par les balles mais couchés par la peur. La peur inhibe l’intelligence ; la peur déstabilise nos raisons et nos confiances. La peur déséquilibre l’homme et le soumet mieux que la violence corporelle.

Par peur nous devenons capable de faire n’importe quoi. De renoncer à notre dignité d’homme.

b. Le premier camp : l’idéologie religieuse ou le levain des pharisiens.

Le Christ nomme ce camp : le levain des pharisiens. Les pharisiens représentent en son temps, les hommes d’une religion durcie. C’est bien ainsi que les évangiles nous les montrent. Applicateurs rigoureux d’une loi détachée du bon sens, ils ne craignent pas de manquer à l’humanité simple de leur prochain. Au nom de Dieu, ils négligent leurs propres pères et tueront un innocent. Au premier siècle, les zélotes et les sicaires représentent la frange politique armée de ce durcissement. Mais la partie strictement religieuse n’est pas moins corrosive.

Cette première idéologie saute aux yeux immédiatement parce qu’elle s’exprime par une violence meurtrière. Il s’agit du terrorisme à revendication religieuse, chez nous un islamisme. En Inde, l’hindouisme fournit la matrice d’une éradication de toutes autres formes religieuses sur la terre indienne.

Le levain des pharisiens, c’est l’idéologie des purs et des durs, d’abord critiques puis sectaires enfin meurtriers. La volonté d’éradiquer les « méchants » au nom de Dieu avec les moyens du politique. Seuls les « bons » doivent survivre. Les autres on les tue ou on les expulse.

C’est l’idéologie de la caricature de Dieu au mépris de l’homme.

Derrière les meurtres au nom de Dieu se cache toujours la jalousie de Caïn : en fait, Caïn veut plaire à Dieu et n’y arrive pas car son cœur est trouble. Et sa colère contre un Dieu qui lui apparaît comme un juge inique, il la retourne contre son frère. En se méprenant sur Dieu, il tue son frère. La violence fuse en face de Dieu mais elle déborde sur l’homme. A la base, il y a donc la colère, la colère devant le sentiment d’une injustice, la grande colère qui tourne à la haine. Et la haine pousse au meurtre. Et le meurtre à la guerre.

L’esprit de Caïn est troublé par la colère et le meurtre. Quand Dieu l’interroge sur son frère, il répond : « suis-je le gardien de mon frère ? » Est-il frère ou gardien de son frère ? Pour lui, il ne pense même plus à être simplement le frère de son frère… C’est la religion de la colère contre Dieu qui s’achève en assassinat du frère.

c. Le deuxième camp : l’idéologie laïciste ou le levain d’Hérode.

Cette religion de la laïcité (car elle se définit elle-même ainsi) s’exerce rarement chez nous par des violences physiques ou des actes terroristes. Pour autant la manipulation des medias, le détournement des vertus éducatives, les relégations arbitraires sont ses armes habituelles. Hérode en est le symbole. Hérode, roi de Galilée, le politique que nous connaissons par l’Evangile, fait couper la tête à Jean-Baptiste à cause d’une promesse faite dans l’ivresse du plaisir.

Le récit de saint Marc au chapitre 6 est très clair :

« Car c’était lui, Hérode, qui avait donné l’ordre d’arrêter Jean et de l’enchaîner dans la prison, à cause d’Hérodiade, la femme de son frère Philippe, que lui-même avait prise pour épouse. En effet, Jean lui disait : « Tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère. » Hérodiade en voulait donc à Jean, et elle cherchait à le faire mourir. Mais elle n’y arrivait pas parce que Hérode avait peur de Jean : il savait que c’était un homme juste et saint, et il le protégeait ; quand il l’avait entendu, il était très embarrassé ; cependant il l’écoutait avec plaisir.

Or, une occasion favorable se présenta quand, le jour de son anniversaire, Hérode fit un dîner pour ses dignitaires, pour les chefs de l’armée et pour les notables de la Galilée. La fille d’Hérodiade fit son entrée et dansa. Elle plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu veux, et je te le donnerai. » Et il lui fit ce serment : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai, même si c’est la moitié de mon royaume. » Elle sortit alors pour dire à sa mère : « Qu’est-ce que je vais demander ? » Hérodiade répondit : « La tête de Jean, celui qui baptise. » Aussitôt la jeune fille s’empressa de retourner auprès du roi, et lui fit cette demande : « Je veux que, tout de suite, tu me donnes sur un plat la tête de Jean le Baptiste. » Le roi fut vivement attristé contrarié ; mais à cause du serment et des convives, il ne voulut pas lui opposer un refus. Aussitôt il envoya un garde avec l’ordre d’apporter la tête de Jean. Le garde s’en alla décapiter Jean dans la prison.»

Il s’agit bien d’une forme d’athéisme pratique qui se sent menacée dans sa renonciation à l’éthique. Un athéisme pratique qui joue son va-tout contre la morale et la religion représentée par Jean. Il est intéressant de noter que la problématique du mariage est au cœur de la réaction d’Hérode. De façon ramassée, cette scène évangélique dit tout de cette terrible posture idéologique : contre son sentiment, Hérode exécute Jean à cause d’un mécanisme qui promeut un humanisme caricatural. Même la fidélité à sa promesse est une imposture : elle tient de la logique du drogué ou de l’ivrogne : comment pourrait-il donner la moitié de son Royaume ?

Il s’agit bien d’un athéisme : Dieu est éliminé de toute conscience et réalisation publiques. Peu lui importe que Dieu subsiste dans quelque recoin individuel pourvu qu’il n’imprime aucune marque à l’action visible dans la rue, dans le métier, dans la vie civile… Hérode se moque de Dieu comme ce juge inique dont parle Jésus dans la parabole de la veuve importune : « J’ai beau ne pas craindre Dieu et n’avoir de considération pour personne… » (Luc 18, 4). Mais c’est un athéisme qui ne se dit pas et qui avance sous couvert de progrès alors qu’il n’est qu’une religion parmi les autres, la religion de la laïcité.

Ainsi l’Evangile éclaire cette guerre. Il s’agit bien d’une guerre de religion, entre deux idéologies religieuses : à l’idéologie religieuse de la caricature de Dieu au mépris de l’homme s’oppose l’idéologie religieuse de la caricature de l’homme au mépris de Dieu.

L’affrontement n’est donc pas entre chrétiens et musulmans ou entre bouddhistes et musulmans : mais entre une conception politique de la religion et une conception religieuse de la politique. Toutes les deux contredisent la belle et bonne laïcité, héritée de 20 siècles de christianisme, dégradée en laïcisme, érigée en religion ou niée par elle. Le mot laïcité répété comme un mantra ne dit plus une juste relation entre le politique et le religieux mais il désigne un rapport d’exclusion de tout religieux ou de tout politique. Pouvons-nous répondre à tout cela ?

3. Répondre : l’incarnation de Dieu

Et nous que devons-nous faire ? Il nous faudra peut-être prendre les armes si telle est notre mission. Mais soldats, citoyens, mères de famille, nous avons tous une autre lutte à conduire autre que la lutte politique, militaire ou sécuritaire qui traitent les symptômes mais pas les causes.

Il y a urgence : les juifs et les chrétiens sont et seront les premières victimes de ce terrible affrontement des deux idéologies. Pour une raison très simple : les deux camps assimilent les chrétiens à l’autre camp, aux ennemis à abattre. Mais, dans le même temps, les chrétiens se savent porteurs d’une étonnante bonne nouvelle, de la réponse adéquate à ces questions terrifiantes.

Que dire ? Que faire ? Quatre leçons pour notre Carême.

a. Refuser toute idéologie.

Ne tombons pas dans le panneau des idéologies désignées plus haut. Ne nous laissons pas prendre par une idéologie quelque proche de notre pensée soit-elle. Nos esprits aussi peuvent être brouillés car nous respirons l’air de notre temps. « Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle puisque vous êtes des azymes… Célébrons la fête non pas avec du vieux levain, ni un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de pureté et de vérité. » (1 Cor 5, 7-8) Précisons notre appartenance et nos solidarités humaines : une chose d’être et de se dire solidaire d’une nation, autre chose d’en partager tous les poisons. J’aime la France et je suis prêt à mourir pour elle. Pour autant je ne suis pas obligé d’adhérer à tous les vents empoisonnés qui la traversent. Saint Paul oppose même le levain de malice à l’azyme de pureté et de vérité. Il y a là une belle leçon : d’une façon générale et universelle, l’homme n’a pas à suivre une idéologie mais il doit s’attacher à la vérité fruit de l’expérience et de la raison. La foi n’est pas une idéologie parce qu’elle se trouve confirmée par la raison de l’homme et l’expérience de Dieu.

b. L’incarnation du Christ : une humanité concrète.

Pour résister à l’idéologie, rien de tel que l’enseignement du Christ : la vérité du Christ offre la vraie réponse à ce monde pénétré de guerres. Par son incarnation, il nous presse d’aller à l’homme concret, individuel et de ne jamais servir l’Humanité en général. Le bon sens de l’amour du prochain s’incarne dans la bonté. Or la bonté ne recherche pas à faire le bien en général ; elle regarde très précisément tel homme concret dont elle porte la blessure avec lui. Jésus parle de l’amour du prochain, celui dont on ignore la religion mais qui se trouve sur notre route. Tout le reste nous fait perdre notre temps. Etre bon avec l’homme avec qui nous partageons le chemin.

c. Tenir ensemble l’homme et Dieu

Vrai Dieu et vrai homme, le Christ valide la possibilité réelle de ne pas faire le choix entre l’homme et Dieu. Ni Dieu sans l’homme concret, ni l’homme sans Dieu transcendant. L’Esprit du Christ nous force à tenir ensemble deux réalités qui ne sont pas deux idées : l’homme et Dieu.

La connaissance et l’annonce du vrai Dieu coïncident avec la conna issance et la reconnaissance de l’homme. C’est un même mouvement, un même combat, une même confiance. Nous n’avons pas à choisir entre Dieu et l’homme, comme on cherche à nous le faire croire de tous bords. Nous n’avons pas à choisir Dieu aux dépends de l’homme. Ou choisir l’homme aux dépends de Dieu. Notre religion chrétienne nous propose les deux en même temps : le camp de Dieu, c’est aussi celui de l’homme. On ne paie pas sa foi en Dieu de la mort de l’homme. On ne paie pas sa foi en l’homme de la mort de Dieu. Toutes ces oppositions sont factices, récentes (nées au XIX siècle) et lorsqu’elles tournent à la caricature, elles deviennent féroces, terribles, mortifères.

d. Le choix du chrétien : entre la vie et la mort

Pour autant, il y a bien un choix à faire. Car il y a dans la Bible comme dans nos vies une autre alternative, un autre choix que celui que voudraient nous imposer les idéologies antagonistes. L’alternative est la suivante : « Choisis la vie ou la mort. Choisis l’amour ou la haine. Choisis le bien ou le mal. » Là est pour nous aujourd’hui, au cœur de la tourmente qui naît sous nos yeux, le vrai choix.

Dt 30, 15 à 20 : « Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. … Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui. »

Cf. Ps 33 ;

Les idéologies résistent aux idéologies. Mais elles succombent devant la vraie foi, science de la vie et de la vie éternelle. Entrons de plain-pied dans ce choix pour la vie et nous serons les pourfendeurs silencieux mais efficaces de cette guerre nouvelle de religion. »

Ref. Une nouvelle guerre de religion ?

JPSC

Commentaires

  • merci Luc; magnifique !

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