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"Transmettre, à quoi bon?"; la conférence de François-Xavier Bellamy à l'Institut Sophia

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Ce mardi 10 mars, François-Xavier Bellamy (*) était invité par l'Institut Sophia à donner une conférence à l'Institut Marie Haps sur le thème "Transmettre, à quoi bon?". En voici le compte-rendu redigé par un ami qui y était présent et que nous remercions pour son travail :

A quoi bon transmettre un savoir ?

Notre civilisation écrit son testament quand elle croit qu’elle n’a plus rien à transmettre. A quoi bon transmettre ? Un point fondamental de notre éducation (et de la formation des enseignants) est que « l’enseignant ne doit pas transmettre un savoir ! ». Selon ce principe, c’est à l’élève lui-même de construire son propre savoir et transmettre un savoir serait aliéner les élèves.

On ne parle jamais des institutions que quand elles posent problème, quand elles mettent en danger (Ex. : la fessée dans les familles). Par contre, on ne dira jamais qu’une institution sociale est un lieu de transmission. Ce qui hérisse dans les institution, c’est le rapport d’autorité : autorité parentale, autorité éducative, etc.

Cette autorité était le rapport du passé, mais est aujourd’hui perçue comme un obstacle à la liberté. La liberté individuelle est censée s’accomplir en se détachant du rapport d’autorité.

Petite remarque sur « l’Esprit du 11 janvier » : le gouvernement français a décrété que désormais « L’école de la République doit transmettre les valeurs de la République ». Soit une transmission assumée… mais aussi une coercition assumée : brider la liberté pour permettre la liberté. Le paradoxe complet !

L’Occident traverse actuellement une crise de l’éducation. D’où vient-elle ? C’est une crise du sens : nous ne savons plus pourquoi transmettre. Trois étapes très anciennes marquent cette crise : les réflexions de Descartes, Rousseau et Bourdieu.

1) René Descartes : marque la première rupture appelée « Modernité ». Son idée principale est le « Cogito ergo sum » : l’importance de la pensée propre de l’individu. René Descartes explique qu’il n’est en fait certain de rien de tout, c’est la « déception cartésienne ». Mais Descartes est néanmoins certain d’une seule chose : sa pensée. Il peut douter d’exister, il peut douter de l’existence des autres, mais pas du fait qu’il y pense. Métaphysiquement, il s’agit de déconstruire tout ce qui n’est pas notre pensée propre.

Cela se voit encore aujourd’hui dans l’enseignement : au lieu de faire un cours magistral, on met les tables en carré et les élèves doivent faire des chansons de rap, ensuite le prof se fait le porte-parole des élèves.

2) Jean-Jacques Rousseau : il vient accomplir le rêve cartésien d’un Homme qui serait directement lui-même, sans devoir se retourner sur ce qu’il a appris. Ce que Rousseau estime vraiment mauvais, c’est la rencontre avec les autres, avec la culture (au sens large, pas juste les musées). Rousseau estime que l’Homme seul est bon, mais que c’est la rencontre avec les autres qui le pervertit. C’est une vision béate de l’enfant, considéré comme le plus pur des Hommes. C’est une vision très négative de la culture.

 

Aujourd’hui encore, l’enfant ou le jeune non-influencé par la société est hérigé en état de pureté originelle. Toute médiation, tout intermédiaire, envers l’enfant reviendrait à le piéger. Rousseau explique cette conception de l’éducation dans L’Emile : introduire une médiation, un intermédiaire, dans l’éducation revient à piéger l’enfant ! Par médiation, on entend les précepteurs de l’enfant, mais aussi ses parents ! Il faut donc arracher l’enfant à ses parents. Rousseau supprime d’ailleurs la figure du « père » pour la remplacer par le « pair », l’égal de l’enfant.

C’est exactement la vision actuelle de l’éducation : il faut laisser l’enfant faire son expérience, ne rien lui imposer. Un passage de L’Emile illustre très bien cette conception rousseauiste : Emile et son précepteur découvrent un bâton à moitié immergé dans l’eau ; à cause du phénomène de réfraction de l’eau, le bâton semble courbé dans l’eau ; l’enfant exprime son étonnement et son incompréhension du phénomène. Au lieu de lui expliquer, son précepteur lui dit : « Je ne comprends pas non plus ; découvrons ensemble et réinventons l’optique ! ».

3) Pierre Bourdieu : il écrit « Les Héritiers » en 1964. [F-X Bellamy présente ses excuses de ne pas pouvoir développer Bourdieu, mais est pris par le temps imparti] Selon Bourdieu, l’éducation est juste un moyen de reproduction sociale : elle permet aux élites de former de nouvelles élites et aux prolétaires de former de nouveaux prolétaires. Bourdieu va reprendre la notion marxiste de « capital culturel ». Le capital culturel est tout ce qui s’ajoute à ce que nous avons déjà (c-à-d la nature). Ex. : la langue. Comme la langue nous a été imposée (c’est celle de nos parents) et est strictement réglementée (par l’orthographe, la grammaire, la syntaxe, etc.), Bourdieu estime que la langue est fasciste ! Selon lui, la langue nous empêche de nous exprimer librement… mais, pourtant, sans la langue nous ne serions pas libres car nous serions incapables de nous exprimer tout court !

En effet, nous ne nous suffisons pas à nous-mêmes, nous avons besoin d’une médiation. Si l’animal a une connaissance innée, sans que personne ne le lui apprenne (Ex. : le petit Coucou sait dès son éclosion qu’il doit casser les œufs des autres du nid, sans que cela le lui ait été transmis par l’éducation), il en va différemment pour l’Homme. L’Homme a naturellement la capacité de manger, d’aimer, d’entrer en relation avec son milieux… mais il a besoin qu’on lui transmette la manière de le faire. Avec les mots que l’on lui donne, on lui permet de construire une pensée libre… et peut-être même de renverser ce qu’on lui dit !

Conclusion :

C’est par la culture que nous devenons ce qu’on nous sommes, que nous pouvons coïncider avec notre nature. Plutôt que d’opposer liberté et autorité, nous devons comprendre que cette autorité nous permet de grandir, de devenir humains et de devenir nous-mêmes.

Un air de petit garçon sage, une certaine timidité qui s’efface devant une incroyable culture littéraire, F-X Bellamy n’est pas seulement un philosophe de bibliothèque capable de réciter par cœur la « Chanson du mal-aimé » d’Apollinaire. C’est aussi un enseignant qui s’est relevé renforcé du lavage de cerveau de ses maîtres.

Glaçant l’auditoire, il décrit les recettes soviétiques avec lesquelles l’Institut Universitaire de Formation des Maitres apprenait aux futurs professeurs à détester leur métier et à déconstruire tout ce qu’ils avaient appris sur les bancs de l’université. Celui qui a eu 13 inspections ministérielles durant sa formation (et trois depuis la sortie de son livre) est bien placé pour décrire la chute irrépressible de l’Education Nationale française.

Pourtant, il a une vision très optimiste de l’avenir. Délire de philosophe ? Non, expérience de cours dans les quartiers « sensibles », où les jeunes d’origine Maghrébine (et illettrés à 50% en Terminale) lui ont fait comprendre qu’ils étaient en demande de savoir. Point de paternalisme, mais une belle révélation de la vocation d’enseignant : « élever » ses élèves.

(*) François-Xavier Bellamy est né en 1985. Après des études littéraires, il s'oriente vers la philosophie. Il intègre l'Ecole Normale Supérieure en 2005, et est reçu à l'agrégation de philosophie en 2008. Après deux passages en cabinets ministériels, il quitte ses fonctions pour enseigner dans le secondaire. Ses premiers postes de professeur le conduisent dans plusieurs établissements de banlieue parisienne. Il enseigne actuellement en classes préparatoires littéraires. Parallèlement, il est depuis 2008 maire adjoint (sans étiquette) à Versailles, chargé de la jeunesse, de l'enseignement secondaire et supérieur, et de l'emploi.Il est l'auteur de nombreuses publications dans la presse, et intervient régulièrement pour des conférences auprès de publics variés.

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