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"Dieu n'existe probablement pas. Cessez de vous inquiéter et profitez de la vie!"

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m_597775_0vkAR5OaAteB.jpgAvec beaucoup d'à-propos, en ce début de Semaine Sainte, un chroniqueur - et non des moindres - manifestait hier dans la Libre son incompréhension (et son rejet) du mystère de la Croix; dans une homélie prononcée à Rome le Vendredi Saint en 2009, le Père Cantalamessa éclaire ce point central de la foi chrétienne : 

"... Un des défis actuels de la foi, le plus ouvert peut-être jamais encore lancé, s'est traduit  dans un slogan publicitaire écrit sur les bus de Londres et d'autres capitales européennes:  "Dieu n'existe probablement pas. Cessez donc de vous inquiéter et profitez de la vie":  "There's probably no God. Now stop worrying and enjoy your life".

L'élément le plus accrocheur de cette publicité n'est pas tant la prémisse "Dieu n'existe pas", que la conclusion:  "Profitez de la vie!" Le message sous-jacent est que la foi en Dieu empêche de profiter de la vie, qu'elle est ennemie de la joie. Sans la foi, il y aurait davantage de bonheur dans le monde! Paul nous aide à apporter une réponse à ce défi, en nous expliquant l'origine et le sens de toute souffrance, à partir de celle du Christ.

Pourquoi "fallait-il que le Christ endurât ces souffrances pour entrer dans sa gloire"? (Lc 24, 26). Une question, à laquelle on apporte parfois une réponse "faible" et, en un certain sens, rassurante. Le Christ, en révélant la vérité de Dieu, suscite nécessairement l'opposition des forces du mal et des ténèbres et celles-ci, comme cela s'était produit avec les prophètes, conduiront à son refus et à son élimination. "Il fallait que le Christ endurât ces souffrances" aurait donc été compris dans le sens qu'"il était inévitable que le Christ endurât ces souffrances".

Paul donne une réponse "forte" à cette question. La nécessité n'est pas d'ordre naturel, mais surnaturel. Dans les pays qui ont conservé une foi chrétienne ancienne, on associe presque toujours l'idée de souffrance et de croix à celle de sacrifice et d'expiation:  la souffrance, pense-t-on, est nécessaire pour expier le péché et apaiser la justice de Dieu. C'est ce qui a provoqué, à l'époque moderne, le rejet de toute idée de sacrifice offert à Dieu et, pour finir, l'idée même de Dieu.

Il est indéniable que nous, les chrétiens, avons parfois prêté le flanc à cette accusation. Mais il s'agit d'un malentendu qu'une meilleure connaissance de la pensée de Paul a désormais définitivement clarifié. Dieu, écrit-il, a exposé le Christ "comme instrument de propitiation" (Rm 3, 25), mais cette propitiation n'agit pas sur Dieu pour l'apaiser, mais sur le péché pour l'éliminer. "On peut dire que Dieu lui-même, pas l'homme, expie le péché... L'image est davantage celle d'une tache corrosive que l'on enlève, ou la neutralisation d'un virus mortel, que celle d'une colère apaisée par la punition". (J. Dunn, La teologia dell'apostolo Paolo, Paideia, Brescia 1999, p. 227.)

Le Christ a donné un contenu radicalement nouveau à l'idée de sacrifice. "Ce n'est plus l'homme qui exerce une influence sur Dieu pour l'apaiser. C'est plutôt Dieu qui agit pour que l'homme renonce à son inimitié contre lui et envers le prochain. Le salut ne commence pas avec la demande de réconciliation de la part de l'homme, mais avec l'exhortation de Dieu lui-même:  "Laissez-vous réconcilier avec Dieu" (2 Co 5, 20)".

Le fait est que Paul prend le péché au sérieux, il ne le banalise pas. Le péché est, pour lui, la cause principale du malheur des hommes, c'est-à-dire le refus de Dieu, pas Dieu! Le péché enferme la créature humaine dans le "mensonge" et dans l'"injustice" (Rm 1, 18 ss.; 3, 23), condamne le cosmos matériel lui-même à la "vanité" et à la "corruption" (Rm 8, 19 ss.); il est aussi la cause ultime des maux sociaux qui affligent l'humanité. (...)

 

Par sa mort, le Christ n'a pas seulement dénoncé et vaincu le péché, il a aussi donné un sens nouveau à la souffrance, y compris à la souffrance qui ne dépend du péché de personne (...). Il en a fait un instrument de salut, un chemin vers la résurrection et la vie. Son sacrifice agit non pas à travers la mort, mais à travers le dépassement de la mort, c'est-à-dire la résurrection. Il a été "livré pour nos fautes" et il est "ressuscité pour notre justification" (Rm 4, 25):  les deux événements sont  inséparables dans la pensée de Paul et de l'Eglise.

Il s'agit d'une expérience humaine universelle:  dans cette vie, le plaisir et la douleur se succèdent avec la même régularité que l'affaissement et le creux qui avale le naufragé, suit la vague de la mer qui se soulève. "Un je-ne-sais-quoi d'amer - a écrit le poète païen Lucrèce - jaillit du plus profond de chaque plaisir et nous angoisse au cœur des délices". Le recours à la drogue, l'abus du sexe, la violence homicide, procurent l'ébriété du plaisir sur le moment, mais conduisent à la dissolution morale, et souvent aussi physique, de la personne.

Par sa passion et sa mort, le Christ a renversé le rapport entre plaisir et douleur. "Au lieu de la joie qui lui était proposée, [il] endura une croix" (He 12, 2). Ce n'est plus un plaisir qui se termine dans la souffrance, mais une souffrance qui conduit à la vie et à la joie. Il ne s'agit pas seulement d'une manière différente de se suivre des deux choses; c'est la joie qui, de cette manière a le dernier mot, non la souffrance, et une joie qui durera éternellement. "Le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus", "la mort n'exerce plus de pouvoir sur lui" (Rm 6, 9). Et elle n'exercera plus de pouvoir sur nous non plus.

Ce nouveau rapport entre souffrance et plaisir se reflète dans la manière dont la Bible marque le temps. Dans le calcul humain, le jour commence avec le matin et se termine avec la nuit; pour la Bible, il commence avec la nuit et se termine avec le jour:  "Il y eut un soir et il y eut un matin:  premier jour", dit le récit de la création (Gn 1, 5). Le fait que Jésus soit mort le soir et ressuscité le matin a une  signification. Sans Dieu, la vie est un jour qui se termine par la nuit; avec Dieu, c'est une nuit qui se termine par le jour, et un jour sans coucher du soleil.

Le Christ n'est donc pas venu augmenter la souffrance humaine ou prêcher la résignation à la souffrance; il est venu lui donner un sens et en annoncer la fin et le dépassement. Le slogan sur les bus de Londres et d'autres villes est lu également par des parents qui ont un enfant malade, par des personnes seules, ou qui ont perdu leur travail, par des exilés qui ont fui les horreurs de la guerre, par des personnes qui ont subi de graves injustices dans la vie... J'essaie d'imaginer leur réaction en lisant ces paroles:  "Dieu n'existe probablement pas:  profite donc de la vie!" Et avec quoi?

La souffrance reste certes un mystère pour tous, spécialement la souffrance des innocents, mais sans la foi en Dieu celle-ci devient immensément plus absurde. On lui enlève même son ultime espérance de rachat. L'athéisme est un luxe que seuls les privilégiés de la vie peuvent se permettre, ceux qui ont tout eu, y compris la possibilité de se consacrer aux études et à la recherche.

Ce n'est pas la seule incohérence de cette trouvaille publicitaire. "Dieu n'existe probablement pas":  il pourrait donc exister, on ne peut pas exclure totalement le fait qu'il existe. Mais cher frère non croyant, si Dieu n'existe pas, moi je n'ai rien perdu; si en revanche il existe, tu as tout perdu! On devrait presque remercier ceux qui ont promu cette campagne publicitaire; elle a servi davantage la cause de Dieu que tant de nos arguments apologétiques. Elle a montré la pauvreté de ses raisons et a contribué à réveiller de nombreuses consciences endormies.

Mais Dieu a une mesure de jugement différente de la nôtre et s'il voit de la bonne foi ou une ignorance non coupable, il sauve aussi celui qui l'a combattu avec acharnement au cours de sa vie. Nous les croyants devons nous préparer à des surprises dans ce domaine. "Combien de brebis il y a à l'extérieur de la bergerie, s'exclame saint Augustin, et combien de loups à l'intérieur!" "Quam multae oves foris, quam multi lupi intus!".

Dieu est capable de faire de ceux qui le nient de la manière la plus acharnée, ses apôtres les plus passionnés. Paul en est la preuve. Qu'avait fait Saul de Tarse pour mériter cette rencontre extraordinaire avec le Christ? Qu'avait-il cru, espéré, souffert? A lui s'applique ce que saint Augustin disait de tout choix divin:  "Cherche le mérite, cherche la justice, réfléchis et vois si tu trouves autre chose que de la grâce". C'est ainsi qu'il explique son propre appel:  "Je ne mérite pas d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis" (1 Co 15, 9-10).

La croix du Christ est motif d'espérance pour tous et l'année paulinienne une occasion de grâce aussi pour celui qui ne croit pas et est en recherche. Il y a une chose qui parle en leur faveur devant Dieu:  la souffrance! Comme le reste de l'humanité, les athées souffrent aussi dans la vie, et depuis que le Fils de Dieu l'a prise sur soi, la souffrance a un pouvoir de rédemption presque sacramentel. C'est un canal, écrivait Jean-Paul II dans la lettre apostolique "Salvifici doloris", à travers lequel les énergies salvifiques de la croix du Christ sont offertes à l'humanité.

L'invitation à prier "pour ceux qui ne croient pas en Dieu" sera suivie tout à l'heure par une prière touchante, en latin, qui dit:  "Dieu éternel et tout puissant, tu as mis dans le cœur des hommes une nostalgie de toi tellement profonde, qu'ils ne sont en paix que lorsqu'ils te trouvent:  fais qu'au-delà de tout obstacle, tous reconnaissent les signes de ta bonté et, encouragés par le témoignage de notre vie, qu'ils aient la joie de croire en toi, unique vrai Dieu et Père de tous les hommes. Par le Christ notre Seigneur".

(Homélie du Vendredi Saint du père Cantalamessa en la basilique Saint-Pierre, le 10 avril 2009)

Commentaires

  • ... "On peut dire que Dieu lui-même, pas l'homme, expie le péché ... L'image est davantage celle d'une tache corrosive que l'on enlève ou la neutralisation d'un virus mortel, que celle d'une colère apaisée par la punition."

    Que nous démontre l'expérience de nos contemporains ?
    Par exemple cet entrepreneur codirigeant d'une entreprise en Asie pendant 8 ans, eh bien, 'il médite quotidiennement depuis 14 ans. Il a d'ailleurs écrit un livre sur les décideurs et les moines : "Quand les décideurs s'inspirent des moines." Ed. Dunod 2012.

    -"J'ai découvert depuis la parution du livre qu'il y avait beaucoup de gens qui pratiquaient la Méditation, mais n'osaient pas en parler. Il y a tout de même de plus en plus de gens qui osent en témoigner. Des décideurs de haut niveau notamment". écrit-il. (La Libre entreprise 28 mars 2015.)

    La grande Ste Thérèse d'Avila a expérimenté cette présence de Dieu Trinité Sainte au fond de notre être et elle a tout transcrit au sujet de cette pratique qu'est l'oraison, la méditation, et encore la contemplation ... Il y a plus de 450 ans de cela. A son actif, elle a construit plus de 17 monastères... Seul Dieu sait ce qu'Il pu réaliser en elle ... et elle avec Lui.
    Avec l'Eglise, la prière, la méditation, l' étude de la vie du Christ, la prise de conscience de notre qualité de Fils ou Fille de Dieu, la pratique avec les Sacrements institués par le Christ nous pourrons être utiles sur cette terre, y poser notre petite brique et exercer nos charismes, ceux voulus par Dieu notre Père Créateur dès l'origine de notre vie et pour lesquels nous aurons sans doute des comptes à rendre.
    C'est la Sagesse, l'harmonie du monde ... que d'aucuns ont perçu. Nous la recherchons, et de plus en plus, mais il faut consacrer du temps à Dieu, c'est ce qu'il nous demande ... je crois.

  • L’article publié hier (à titre personnel) dans la Libre Belgique, par un membre de la famille du fondateur de ce journal autrefois chrétien, pour rejeter la croix comme instrument de salut vient évidemment à son heure : celle de la semaine sainte.

    Rien, en effet, ne fâche plus la société apostate d’aujourd’hui que la conception chrétienne de la souffrance.

    Compatir et soulager la peine font, certes, partie du message de l’Evangile mais, comme le dit si bien l’ « Imitation de Jésus-Christ» (XVe s.) : « disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous le vouliez ou non ; et ainsi vous trouverez toujours la Croix. ».

    Au coeur du mystère de l’homme, la Croix de Jésus nous montre que l’amour est, en lui-même, une passion.

    Comme l’a remarqué un jour Benoît XVI, en disant que la souffrance est une face intérieure de
    l’amour, nous comprenons pourquoi il est si important d’apprendre à souffrir et, inversément, pourquoi éviter à tout prix la souffrance rend l’homme inapte à la vie : il connaîtrait le vide de l’existence qui ne peut entraîner qu’amertume et refus, et non acceptation et maturation : celui qui a intérieurement accepté la souffrance, mûrit et devient compréhensif envers les autres et plus humain. Celui qui a toujours évité la souffrance ne comprend pas les autres ; il devient dur et égoïste.

    En ce sens, nous pouvons alors répéter cette parole si mal comprise du fondateur de l’Opus Dei, saint Josémaria : « bénie soit la douleur, aimée soit la douleur, sanctifiée soit la douleur » (Chemin, n° 208) qui accomplit l’Homme nouveau. Car, depuis le matin de Pâques, nous le savons : sa croix et ses plaies sont devenues glorieuses :"Christus resurgens ex mortuis, jam non moritur : mors illi ultra non dominabitur (Rom., 6,9). Alleluia".

    En l'honneur de la croix de Jésus, les chrétiens chantent dans le Vexilla Regis: " Ô Crux, ave spes unica" : voilà notre seule Espérance en ce monde transitoire, étrange et blessé, auquel l’homme cherche un sens depuis ses origines.

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