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Remettre Dieu à sa place

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Le mensuel « La Nef » a rencontré le Cardinal africain Robert Sarah à Paris : un entretien sur la foi à lire d’urgence. JPSC : 

Source : La Nef N°269 d'avril 2015. Photo: Mgr Sarah avec des séminaristes de la Communauté Saint-Martin


IMG_9057.jpgLa Nef – Le sous-titre de votre livre, « Entretien sur la foi », fait écho au célèbre livre du cardinal Ratzinger qui portait ce même titre en 1985 ; j’imagine que ce n’est pas un hasard : vous considérez-vous comme un « ratzingerien » ?

Cardinal Robert Sarah – Le cardinal Ratzinger, devenu Benoît XVI, est pour moi un modèle, un maître, un exemple, une référence spirituelle. C’est un homme qui a toujours cherché à être fidèle au message de Jésus et de l’Église. Malgré son pontificat bref, il a marqué profondément l’Église, en orientant sa réflexion vers les vraies questions d’aujourd’hui. 
D’abord, il a vu la crise de la foi, et nous a ainsi invités à vivre une année de la foi. Nos sociétés occidentales vivent comme si Dieu n’existait pas, et les chrétiens vivent une « apostasie silencieuse ». Benoît XVI à Subiaco, avant son élection, avait dit qu’aucune crise semblable n’avait touché l’Occident auparavant. Il avait raison d’attirer là-dessus notre attention et nous pousser à crier vers Dieu : « Seigneur, augmente notre foi ! » 
La crise sacerdotale ensuite : le problème n’est pas seulement le manque de prêtres, mais aussi le fait qu’ils soient moins zélés. D’où l’année sacerdotale qu’il a lancée, sous le patronage du saint curé d’Ars. 
Enfin, il a insisté sur la nécessité de l’évangélisation en proclamant notamment l’année saint Paul, pour nous rappeler que chacun d’entre nous doit annoncer le Christ, chacun dans notre vie, et chacun devant travailler radicalement à sa propre conversion pour transformer notre vie par une rencontre personnelle, intérieure avec le Christ.
Benoît XVI a également été un profond analyste de Vatican II, en montrant que le concile portait sur Dieu. L’ordonnancement des textes le prouve. Le premier, Sacrosanctum Concilium, porte sur la liturgie, comme adoration divine. Le second, Lumen Gentium, sur l’Église, qui sans Dieu n’existe pas. Le troisième texte, Dei verbum, évoque la parole de Dieu qui régénère l’Église, texte d’une grande importance pour aujourd’hui. Nietzsche croyait avoir tué Dieu. Mais l’Église doit porter le parfum de Dieu sur son passage. Benoît XVI a ainsi prolongé le souci du concile, afin que le monde connaisse plus de lumière et il l’a fait en montrant l’harmonie entre la foi et la raison. Je voudrais être comme un élève qui balbutie les leçons reçues de son maître, et Dieu, qu’il s’agit de remettre à sa place, est donc bien le cœur de mon livre, d’où le titre de Dieu ou rien.

Les passages émouvants de votre livre sur votre enfance heureuse en Guinée sont tout à l’honneur des missionnaires spiritains français, et vous fustigez bien davantage l’actuel « colonialisme occidental » que celui des siècles passés, ce colonialisme se manifestant « par l’imposition violente d’une fausse morale et de valeurs mensongères », écrivez-vous (p. 227) !

Oui ! Aujourd’hui, on veut imposer aux pays pauvres votre vision du monde, de l’économie, de la morale, etc. Parce que vous êtes puissants, vous avez la capacité d’influencer les autres, notamment par les pressions politiques et financières, mais cette puissance vous donne de l’arrogance. Vous croyez ainsi pouvoir imposer aux Africains comme aux Asiatiques une nouvelle vision de l’éthique, au sujet de la famille, du mariage, des droits de l’homme. Mais nous devons résister à cela, car cela est étranger à ce que nous sommes, nous devons manifester que nous avons des richesses à offrir à l’Occident, et notamment des ressources spirituelles. Les derniers papes ont fait confiance à l’Afrique. Paul VI disait en 1969 que l’Afrique était « la nouvelle patrie du christianisme ».  Il y a aujourd’hui un déplacement de l’Évangile : son annonce fait des progrès spectaculaires en Afrique ; en un siècle, les catholiques y sont passés de 2 à 180 millions et nous avons aujourd’hui de nombreuses vocations. L’Afrique est « le poumon spirituel de l’humanité », a dit aussi Benoît XVI. Jusque-là, jamais l’Afrique n’a abandonné Dieu ou la famille. La théorie du genre, par exemple, nous choque profondément, car la distinction homme-femme est essentielle pour nous. En Afrique, il y a une vision trinitaire de la famille, avec le père, la mère et l’enfant. Une vision néotestamentaire, qui prend sa source dans l’accueil de la Sainte Famille en Égypte, et qui se greffe aussi sur l’alliance nouée par Dieu avec Moïse en Égypte. N’oublions pas encore que c’est Simon de Cyrène, un Africain, qui a aidé Jésus à porter sa croix. Notre Dieu est celui qui confond les puissants, et en ce sens il est certain que l’Afrique a quelque chose à donner au monde.

 

Vous êtes très sévère sur la situation morale des pays occidentaux : exploitation sans précédent du corps de la femme, hyperérotisation de la société, perte de tous les repères qui structuraient la société… Comment voyez-vous le rôle de l’Église dans une telle une société qui a rejeté Dieu ?

Le rôle de l’Église, Mater et Magistra, est d’enseigner et de sanctifier, de rapprocher l’homme de Dieu. L’Église doit donc jouer vraiment son rôle aujourd’hui, non en employant un langage incompréhensible, mais en étant pédagogue, en se faisant comprendre, en trouvant la forme adaptée à l’époque sans bien sûr changer la doctrine. Le rôle de l’Église est de porter l’Évangile jusqu’aux extrémités de la terre. À temps et à contretemps. Dieu ne force personne, sa puissance est d’aimer et cela l’Église ne peut le taire, il lui revient d’annoncer Jésus et le salut, puisque Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Nous avons la douleur de voir qu’en Occident, chaque évêque ou chaque conférence épiscopale voudrait décider seul. Il est frappant de voir que des évêques se prononcent seuls sur des questions graves engageant la doctrine, sans que personne ne réagisse. Cela crée un désordre et un trouble qui nuisent à une foi déjà faible en Occident, si bien que les fidèles ne savent plus à qui se vouer.

Peut-être évoquez-vous là des propos en rapport avec le synode sur la famille qui a donné une image quelque peu cacophonique de l’Église avec des points de vue très différents qui se sont affrontés : comment voyez-vous la seconde partie de ce synode en octobre 2015 ?

J’espère que le synode rappellera l’aspect merveilleux, positif, de la famille et du mariage. En effet, le document de mi-parcours publié au dernier synode n’était pas représentatif et a causé de graves dégâts en semant le trouble. Des choses inacceptables ont été dites sur la communion des divorcés remariés, l’apport positif des unions homosexuelles, alors qu’aucune civilisation n’avait jusque-là légalisé de telles pratiques. J’espère que le prochain synode sera plus respectueux de ses statuts, car il n’a pas pouvoir de discuter les questions doctrinales comme un concile dont il n’a pas l’autorité : la communion et le mariage sont des sacrements, le remariage après un divorce est impossible, c’est assez clair dans l’Évangile !

Vous avez évoqué votre admiration pour les grandes Manif pour tous ?

Oui, en effet, cela m’est apparu comme un réveil des Français qui ont pacifiquement manifesté leur opposition à une mauvaise loi et j’invite les chrétiens notamment à continuer à lutter dans ce sens avec l’aide indispensable de la prière. La famille est absolument essentielle et j’aimerais qu’il y ait davantage d’évêques qui se joignent aux manifestants.

Vous êtes depuis peu préfet de la Congrégation pour le Culte divin : quels sont les chantiers liturgiques en cours ?

Le pape Benoît XVI a entamé un travail magnifique pour rendre à la liturgie sa beauté, sa sacralité. Nous devons continuer ce travail de restauration de la liturgie, sans négliger de suivre Vatican II. Le concile voulait une réforme pour que le peuple soit davantage associé. Mais l’association ne veut pas dire l’implication dans des rôles physiques, théâtraux. Il faut entrer dans la prière de Jésus, dans le mystère que nous célébrons. Comment équilibrer, harmoniser les deux formes du rite romain ? Ils doivent s’enrichir mutuellement. Le concile, rappelons-le, n’a jamais interdit la forme de saint Pie V, ni le latin. On voulait que le peuple comprenne ce qui est célébré. Le travail d’harmonisation, d’enrichissement mutuel, est très important. Il est en chantier : le missel romain doit rester fidèle au texte latin. C’est pourquoi nous poursuivons les révisions des traductions. Le seul missel qui ait obtenu la recognitio aujourd’hui est l’anglais. La commission se réunit ce mois-ci pour se prononcer sur d’autres traductions révisées.

Quel bilan tirez-vous du motu proprio Summorum Pontificum, les buts de Benoît XVI vous semblent-ils atteints ? 

J’ai pris mes fonctions trop récemment pour pouvoir établir un bilan. Ce qui est clair, c’est la volonté de Benoît XVI de pacifier la situation liturgique, ce qui signifie le respect mutuel de part et d’autre : comment se tenir devant l’autel du Seigneur en étant rempli de mépris et de suspicion contre ceux qui célèbrent selon l’autre forme du même rite romain ? J’ai été blessé d’entendre des prêtres me dire qu’ils avaient peur de perdre la foi en célébrant la forme ordinaire du missel de Paul VI : cela témoigne d’une maladie profonde de la foi ! 

Propos recueillis par Christophe Geffroy et Jacques de Guillebon
(1) Cardinal Robert Sarah, Dieu ou rien. Entretien sur la foi, avec Nicolas Diat, Fayard, 2015, 420 pages, 21,90 e. 

Ref. Remettre Dieu à sa place

 JPSC

 

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