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Saint Augustin d'Hippone (28 août) : "Bien tard, je t'ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle..."

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Du site Pères de l'Eglise.free.fr :

On connaît bien la vie d'Augustin d'Hippone : très nombreuses sont les biographies qui ont été écrites de lui, facilitées - il faut bien le dire - par ce que lui-même nous a dit de lui à travers Les Confessions, rédigées vraisemblablement entre 397 et 400, oeuvre universellement connue :

Bien tard, je t'ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard, je t'ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors, et c'est là que je te cherchais, et sur la grâce de ces choses que tu as faites, pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi ;
elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant,
si elles n'existaient pas en toi, n'existeraient pas ! Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as embaumé, j'ai respiré et haletant j'aspire à toi ;
j'ai goûté, et j'ai faim et j'ai soif ;
tu m'as touché et je me suis enflammé pour ta paix.[...]
(Conf. X, xxvii, 38)

Effectivement, Augustin connaît d'abord une jeunesse dissipée, dispersée entre toutes sortes de plaisirs (Augustin rappellera à maintes reprises son attrait pour les femmes, les honneurs...). Toutefois, il est animé par une grande inquiétude intellectuelle et psychologique, a de nombreuses curiosités philosophiques et linguistiques (il a embrassé la profession de "rhéteur"). Augustin verra dans toute cette période de sa vie en germe déjà une recherche de Dieu qui va d'ailleurs se préciser à travers la lecture des philosophes et son grand intérêt pour les philosophies (Augustin est un grand lecteur de Cicéron, puis il découvre Plotin et les néo-platoniciens...), son souci et son attrait pour la religion et les croyances (comme par exemple le manichéisme qui le tenta un certain temps). Finalement, après avoir rejoint l'Italie, Rome en 383 puis surtout Milan où il va s'installer plus durablement pour des raisons professionnelles (découragement face aux étudiants de Carthage qu'il juge peu intéressants), Augustin découvre la prédication de l'évêque du lieu, Ambroise, qui accepte de répondre à toutes les interrogations d'Augustin au cours de longs entretiens. Bien des événements personnels sont relatés également par Augustin dans les Confessions qui ont certainement contribué à son "retournement". Augustin, catéchumène depuis son enfance (1) va finalement se convertir radicalement et demander le baptême en 387(2).

Prière :

"ô douceur qui ne trompe pas,
ô douceur de bonheur et de sécurité,
toi qui me rassembles de la dispersion,
où sans fruit je me suis éparpillé,
quand je me suis détourné de toi, l'Unique,
pour me perdre dans le multiple."
(Conf., II, i, 1, BA t. 13, p. 333). 
"... ballotté, dispersé, je me dissolvais, je bouillonnais à travers mes fornications et tu te taisais.
O ma joie lente à venir ! Tu te taisais alors, et moi je m'en allais, loin de toi, vers encore et encore d'autres stériles semailles de douleur, dans une orgueilleuse abjection et une inquiète lassitude." (Conf., II, ii, 2, id. p. 335).

Augustin comprend que si l'homme désire les créatures, c'est le créateur qui s'offre à son désir :

"... Dieu vous disant : Demandez ce que vous désirez, qu'allez-vous lui demander ? Faites effort de tout votre esprit, lâchez la bride à votre avarice, étendez, élargissez votre convoitise, autant que vous le pourrez ; car ce n'est pas le premier venu, c'est le Dieu Tout-Puissant qui vous dit : demandez ce que vous désirez. Si vous aimez des propriétés, vous désirerez toute la terre, de sorte que tous ceux qui naîtront soient vos fermiers ou vos serviteurs. Et que ferez-vous, lorsque vous posséderez toute la terre ? Vous demanderez la mer, bien que vous ne puissiez y vivre. Dans ce genre d'avarice, les poissons seront mieux partagés que vous ; à moins que vous ne possédiez aussi les îles de la mer. Mais passez outre, demandez encore le domaine des airs, quoique vous ne puissiez pas voler. Etendez vos désirs jusqu'au ciel ; dites que le soleil, la lune et les étoiles vous appartiennent, parce que celui qui a fait toutes ces choses vous a dit : demandez ce que vous désirez. Cependant, vous ne trouverez rien qui ait plus de prix, vous ne trouverez rien qui soit meilleur que celui qui a fait toutes ces choses. Demandez donc celui qui les a faites, et en lui et par lui vous posséderez tout ce qu'il a fait. Toutes ces choses sont d'un haut prix, parce que toutes sont belles, mais qu'y a-t-il de plus beau que lui ? Elles sont fortes, mais qu'y a-t-il de plus fort que lui ? Et il n'est rien qu'il donne plus volontiers que lui-même. Si vous trouvez quelque chose de meilleur, demandez-le. Si vous demandez autre chose, vous lui ferez injure, et vous vous ferez tort à vous-même, en lui préférant sa créature, alors que le créateur aspire à se donner lui-même à vous." (Enarr. Ps. 34, 12 (premier discours)).

Beaucoup d'événements ont préparé la conversion d'Augustin : notamment sa rencontre, déjà signalée, avec Ambroise (Evêque de Milan) dont il va suivre les enseignements, découvrant ainsi comment on doit lire la Bible : non pas de façon littérale, mais en dégageant le sens qui permet de s'approcher de Dieu à travers sa Parole.

Mais des amis vont aussi jouer un rôle important dans cette conversion (on pense à Alypius) ; certains vont lui faire découvrir le choix radical de St Antoine et sa vocation de moine au désert... Augustin va découvrir comment Dieu le cherchait, au sein même de son péché :

"Sans doute ne savent-ils pas que tu es partout,
toi qu'aucun lieu ne circonscrit,
et que seul tu es présent
même à ceux qui se mettent loin de toi.
Qu'ils se convertissent donc et qu'ils te cherchent !
Tu n'es pas comme eux : ils ont abandonné leur créateur,
mais toi tu n'as pas ainsi abandonné ta créature.
Qu'eux-mêmes se convertissent, et voici que tu es là
dans leur coeur, dans le coeur de ceux qui te confessent
et se jettent en toi et pleurent dans ton sein
au bout de leurs routes inclémentes.Et toi, dans ta clémence, tu essuies leurs larmes ;
ils pleurent davantage et se réjouissent dans leurs pleurs
puisque toi, Seigneur, non quelque homme, chair et sang,
mais toi, Seigneur, qui les as faits, 
tu les refais et les consoles.
Où étais-je, moi, quand je te cherchais ?
Toi, tu étais devant moi ; mais moi,
j'étais parti loin de moi, et ne trouvais plus moi-même,
moins encore, oh combien ! toi-même."
(Conf. V, ii, 2)

Augustin nous rapporte l'épisode décisif, alors qu'il médite sur la continence, et ce choix de vie qui lui apparaît comme si difficile :

... dès que ma profonde méditation eut tiré du fond de ses retraites toute ma misère, et l'eut entassée sous les regards de mon coeur, il se leva une grosse tempête, chargée d'une grosse pluie de larmes. Et pour laisser crever l'orage tout entier avec ses fracas, je me levai et m'écartai d'Alypius. La solitude s'offrait à moi comme un endroit plus propice au travail des larmes. Je me retirai assez loin ; ainsi même la présence d'Alypius ne pourrait pas m'être à charge.

Tel était alors mon état. Il le comprit : oui, sans doute, j'avais dit je ne sais quoi d'un ton de voix qui paraissait déjà gros de larmes, et c'est alors que je m'étais levé. Lui demeura donc à l'endroit où nous étions assis ; il était au comble de la stupeur.

Moi je m'abattis, je ne sais comment, sous un figuier ; je lâchai les rênes à mes larmes, et elles jaillirent à grands flots de mes yeux, sacrifice qui te fut agréable [Augustin, dans les Confessions s'adresse à Dieu] ; et - je ne garantis pas les termes mais c'est le sens - je te dis sans retenue : Et toi, Seigneur, jusques à quand ? Jusques à quand, Seigneur, iras-tu au bout de ta colère ? Ne garde pas mémoire de nos vieilles iniquités. De fait, je sentais que c'étaient elles qui me retenaient. Je jetais des cris pitoyables : "Dans combien de temps ? Dans combien de temps ? Demain, toujours demain. Pourquoi pas tout de suite ? Pourquoi pas, sur l'heure, en finir avec mes turpitudes ?"Je disais cela, et je pleurais dans la profonde amertume de mon coeur brisé.

Et voici que j'entends une voix, venant d'une maison voisine ; on disait en chantant et l'on répétait fréquemment avec une voix comme celle d'un garçon ou d'une fille, je ne sais : "Prends, lis ! Prends lis !" ["tolle lege" en latin - ce qui fait que l'on désigne souvent ce passage de la conversion d'Augustin en référence au "tolle lege"]. A l'instant, j'ai changé de visage et, l'esprit tendu, je me suis mis à rechercher si les enfants utilisaient d'habitude dans tel ou tel genre de jeu une ritournelle semblable ; non, aucun souvenir ne me revenait d'avoir entendu cela quelque part. J'ai refoulé l'assaut de mes larmes et me suis levé, ne voyant plus là qu'un ordre divin qui m'enjoignait d'ouvrir le livre, et de lire ce que je trouverais au premier chapitre venu.

J'avais entendu dire en effet à propos d'Antoine [St Antoine, considéré comme l'un des Pères du monachisme, monachisme qu'il pratiquait dans le désert] qu'il avait tiré de la lecture de l'Evangile, pendant laquelle il était survenu par hasard, un avertissement personnel, comme si on disait pour lui ce qu'on lisait : Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; et viens, suis-moi. Un tel oracle l'avait aussitôt amené vers toi, converti.Aussi, en toute hâte, je revins à l'endroit où Alypius était assis ; oui, c'était là que j'avais posé le livre de l'Apôtre [Paul] tout à l'heure, en me levant. Je le saisis, l'ouvris et lus en silence le premier chapitre où se jetèrent mes yeux : Non, pas de ripailles et de soûleries ; non, pas de coucheries et d'impudicités ; non, pas de disputes et de jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair dans les convoitises. [Rm 13, 13 et sq]. Je ne voulus pas en lire plus, ce n'était pas nécessaire. A l'instant même, en effet, avec les derniers mots de cette pensée, ce fut comme une lumière de sécurité déversée dans mon coeur, et toutes les ténèbres de l'hésitation se dissipèrent.Alors, j'intercalai le doigt, ou je ne sais quel autre signe, dans le livre que je fermai ; puis le visage désormais paisible, je mis Alypius au courant. Mais lui, révélant ce qui se passait en lui-même et que j'ignorais, me l'indiqua ainsi. Il demanda à voir ce que j'avais lu ; je le lui montrai ; et il porta son attention au-delà même de ce que moi j'avais lu. J'ignorais la suite du texte ; or la suite disait : Mais celui qui est faible dans la foi, accueillez-le. Alypius se l'appliqua à lui-même et me le fit savoir. En tout cas, un tel avertissement l'affermit et, adoptant un dessein et une résolution de vertu tout à fait conformes à ses moeurs par lesquelles dans la voie du bien, il me distançait déjà depuis longtemps et de fort loin, sans un trouble, sans une hésitation, il se joignit à moi.

De là, nous allons chez ma mère, nous entrons, nous l'informons : elle est en joie. Nous lui racontons comment cela s'est passé ; elle exulte et triomphe. Et elle te bénissait, toi qui possèdes la puissance de réaliser au-delà de ce que nous demandons et pouvons comprendre, car elle se voyait accorder, à elle, par toi, en moi, bien plus que ce qu'elle demandait dans ses prières habituelles par des larmes et des gémissements pitoyables.
Tu me convertis, en effet, si bien à toi, que je ne recherchais plus ni épouse, ni rien de ce qu'on espère dans ce siècle ; j'étais debout sur la règle de la foi, comme tu le lui avais révélé tant d'années auparavant. Et tu convertis son deuil en joie, une joie beaucoup plus abondante qu'elle ne l'avait désirée, beaucoup plus attachante et plus chaste que celle qu'elle attendait de petits enfants nés de ma chair." (Conf., VIII, xii 28-30)

Peu de temps après son baptême, reçu en même temps que son fils Adéodat et qu'Alypius, la nuit de Pâques 387, Augustin repart pour l'Afrique et Thagaste, sa ville natale (en 388) ; il groupe en une communauté de prière et d'étude ("communauté monastique" avant la lettre) quelques-uns de ses meilleurs amis (Evodius, Alypius, mais également son fils Adéodat...) pour marcher ensemble dans une voie de perfection. Or l'évêque de la région, Valère, était vieillissant, peu à l'aise avec le latin ; il ordonne Augustin prêtre en 391, presque malgré lui, et le charge de la prédication. Finalement Augustin succèdera à Valère peu après (si la date de l'ordination épiscopale d'Augustin n'est pas exactement connue, on sait qu'il est évêque en 397, puisqu'il signe comme tel les Actes du IIIe Concile de Carthage : il a donc dû succéder effectivement à Valère, dont il était le "coadjuteur", vers la fin de 396).


Notes :

(1) : Monique, la mère d'Augustin, n'a pas de plus grand désir que de lui voir demander le baptême. 

(2) : Dans l'introduction au De beata vita I, 4, Augustin donne des indications précieuses sur son itinéraire spirituel :
"Depuis l'âge de dix-neuf ans, après avoir étudié à l'école du rhéteur cet ouvrage de Cicéron que l'on appelle Hortensius, je fus enflammé d'un tel amour de la philosophie que je méditai de m'y adonner sans délai. Mais les brouillards ne firent pas défaut pour égarer ma course et longtemps, je l'avoue, je me suis guidé sur des astres qui glissaient dans l'océan et m'induisaient en erreur. En effet, une sorte de scrupule puéril me rendait craintif devant une recherche personnelle ; lorsque, devenu plus hardi, je dissipai ces ténèbres et me persuadai que je devais donner plus de créance à ceux qui enseignent qu'à ceux qui imposent, je tombai sur des hommes qui tenaient cette lumière que l'on voit avec les yeux digne du culte dû aux réalités suprêmes et divines. Je ne donnais pas mon assentiment, mais je pensais qu'ils cachaient sous des voiles quelque chose de grand qu'ils révéleraient un jour. Mais lorsque, les ayant percés à jour, je les quittai, surtout après avoir traversé la mer, ce furent les Académiciens qui retinrent longtemps en pleins flots ma barque ballottée à tout vent. Ensuite je vins en ces régions : ici j'ai appris à connaître le pôle d'après lequel je pouvais me diriger. J'ai pris garde en effet, souvent à l'occasion des entretiens de notre évêque et quelquefois à l'occasion des tiens [Augustin s'adresse à Mallius Theodorus], que pour concevoir Dieu il fallait éliminer tout ce qui est du corps ; de même pour concevoir l'âme, car elle seule est parmi les êtres toute proche de Dieu. Mais les attraits de la femme et des honneurs me retenaient alors, je l'avoue, de m'envoler rapidement dans le sein de la philosophie ; et je me proposais, après avoir satisfait ces attraits, de m'y élancer enfin à pleines voiles et, à toutes rames, et de m'y reposer, ce qui n'est donné qu'à une élite d'hommes."

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