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Face aux migrants, quelle doit être l’attitude des chrétiens ? Dialogue entre Mgr Rey et Rémi Brague

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monseigneur-rey-eveque-de-frejus-toulon-et-remi-brague_article.jpgLa crise des migrants que connaît l’Europe renvoie les chrétiens aux racines bibliques de leur foi et à la construction même de l’Occident. Pour sortir du débat actuel par le haut, la foi et l’annonce leur seront d’une précieuse aide. Regards croisés de Mgr Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, et du philosophe Rémi Brague. Un article de Samuel Pruvot dans « Famille chrétienne » :

Mgr Dominique Rey : Quand on voit ces barques fragiles ballottées par les vagues de la Méditerranée, comment ne pas penser aux origines du peuple de Dieu ? L’histoire du salut est façonnée par l’exil. Adam et Ève ont été chassés de l’Éden. Abraham quitta Ur pour se rendre à Canaan sur une route semée d’arrêts, d’embûches et d’épreuves. Le destin d’Israël est marqué par l’exil de tout un peuple à Babylone et en Égypte. Dans la douleur, les Juifs entretiennent le souvenir heureux de Jérusalem : « Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, en nous souvenant de Sion » (ps 137). C’est la Terre promise qui met en marche le peuple d’Israël.

À nous chrétiens, il rappelle qu’à l’image de Jésus-Christ qui prêchait la Bonne Nouvelle de ville en ville, nous cheminons sur terre vers le Ciel. Notre vie nomade est un pèlerinage terrestre qui s’achèvera pour retrouver le Créateur. En marchant, nous nous déracinons pour mieux nous enraciner en Dieu. Nous marchons avec Dieu, vers Dieu. C’est à tout cela que font écho les cohortes de réfugiés qui quittent le Proche-Orient pour gagner l’Europe.

Rémi Brague : La Bible rappelle effectivement au peuple installé sur sa terre qu’il fut lui aussi nomade. En conséquence, il devra comprendre ce qu’éprouve un étranger coupé de son sol et forcé à vivre dans un milieu nouveau. C’est pourquoi le souvenir de la captivité en Égypte est sans cesse ravivé.

Ceci dit, la Bible éclaire notre expérience actuelle, mais c’est indirectement. Ne faisons pas comme les fondamentalistes musulmans ou protestants du « Bible Belt » américain. On ne peut pas appliquer tels quels aux Français les préceptes de la Bible. Nous ne sommes pas le peuple élu. Nous ne sommes rien de plus qu’une « nation du monde », dont certains membres sont baptisés, et de la sorte greffés sur Israël, qui est et reste le seul peuple élu. Parmi les baptisés, un certain nombre prend au sérieux les conséquences de son baptême. Cette nation s’est formée en une entité politique sous l’autorité d’un État qui prend en charge tous les citoyens, chrétiens ou non.

La naissance de l’Occident chrétien n’est-elle pas le fruit de vagues successives de migrants qui ont trouvé une nouvelle identité via l’Église ?

Rémi Brague : À partir du IIIe siècle, l’Empire romain a laissé entrer, d’abord avec l’accord des autorités, puis malgré elles, des populations venues de l’Est, de ce qu’on appelait alors la Germanie. C’est ce qu’on appelle, d’un terme péjoratif, les « invasions barbares ». Les historiens ont actuellement tendance à réviser à la baisse les estimations sur le nombre de ces nouveaux venus. Il n’y a jamais eu de submersion.

Quoi qu’il en soit, l’osmose de ces immigrants avec les populations déjà romanisées a été facilitée par leur entrée dans l’Église. Celle-ci resta la seule institution un peu solide, alors que le système municipal romain s’était délité. Il faut remarquer en tout cas que les peuplades qui entraient n’avaient nullement l’intention de détruire l’Empire romain. Tous voulaient profiter des bienfaits d’une civilisation plus avancée. Leurs chefs rêvaient d’intégrer la noblesse romaine.

Mgr Dominique Rey : L’Occident a des racines judéo-chrétiennes. Ce continent est ouvert à tous les horizons culturels. Non pour se soumettre à une culture étrangère qui lui ferait « perdre son âme », mais pour en retirer ce qui est enrichissant.

Dans l’histoire de l’Europe antique, il est frappant de voir comment le monde romain s’est imprégné du monde grec, vaincu par les armes, mais vainqueur par les arts et la philosophie. Chaque renaissance est marquée par un retour sur nos origines, une réappropriation des sources de notre civilisation. Le christianisme a eu pour terreau le monde occidental et s’est développé en symbiose avec lui.

Qu’est-ce que les Français enracinés dans leur foi et leur histoire peuvent apporter à ces déracinés qui viennent frapper aux portes de l’Europe ?

Rémi Brague : Je n’aime pas trop parler de racines, image statique ; je préfère parler de sources. On ne choisit pas ses racines, alors qu’on doit aller puiser à la source. Mais admettons…

Les racines historiques ne se partagent pas. Et encore : apprendre « nos ancêtres les Gaulois » comme, selon la légende reçue, on le faisait réciter aux petits Africains, permettait, pour rester dans les images horticoles, une greffe qui faisait partager aux colonisés un passé commun fictif (guère plus fictif, d’ailleurs, pour ceux-ci que pour les hexagonaux…) qui leur donnait l’impression rassurante d’une appartenance commune.

La foi, c’est autre chose. Elle est communicative, comme la joie. Et notre foi, c’est justement ce que nous pouvons proposer aux nouveaux venus, et même ce que nous avons de mieux à leur proposer.

Mgr Dominique Rey : Je suis allé à la rencontre des chrétiens de Syrie du 22 au 26 août, à l’invitation du patriarche grec catholique Grégoire III. Les familles de ces hommes et ces femmes ont vécu un terrible martyre qui les a contraints à prendre le chemin de l’exil. D’autres encore, dont le courage force l’admiration, ont choisi de rester malgré la violence qui se déchaîne contre eux. Ce courage, ils le puisent dans leur foi.

Mais le déracinement vécu par ceux qui implorent notre secours oblige à se recentrer sur les essentiels. En premier lieu, la solidarité avec ceux qui nous sont proches nous aide à retrouver le sens et la valeur d’une vie : « La vie ne vaut-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que les vêtements ? » (Luc 6 ; 25)

Le monde actuel est captivé par la mode et le superficiel qui accaparent l’existence sans vraiment la nourrir. Les déracinés de Syrie et d’Irak, mobilisent notre charité. Ils nous invitent à entrer dans le don de soi.

Dans le diocèse de Fréjus-Toulon, j’ai rencontré de nombreuses familles qui hébergent des chrétiens d’Orient. Malgré les difficultés de ces derniers et l’éloignement de leur terre natale, la profondeur et la vitalité de leur foi interpellent ma propre foi. Alors que toutes leurs amarres terrestres ont cédé, ils demeurent ancrés dans le Seigneur. Leur foi stimule la nôtre.

Peut-on dire que la peur du migrant d’aujourd’hui (et du « barbare » d’hier) est proportionnelle au manque de foi des Occidentaux ?

Mgr Dominique Rey : Notre société postmoderne est narcissique. Elle est gangrenée par le repli sur soi. Aveugle sur le monde qui l’entoure, elle se contemple, s’ausculte, s’introspecte. Elle est hypocondriaque. Elle a perdu le sens de l’inattendu. Elle cherche la sécurité à tout prix. Mais c’est un leurre de croire qu’elle peut vivre en vase clos.

L’arrivée des migrants qui ont pris le chemin de l’exil pour fuir la guerre et le chaos, nous déstabilise. Ils prennent en défaut notre capacité à faire face à l’imprévu, à « sortir d’elle-même », à ouvrir son cœur.

Dieu se sert des événements qu’on ne voyait pas venir, pour éclairer notre propre route d’un jour nouveau. Il faut accepter que notre foi soit aussi mise en mouvement par ces hommes et ces femmes venus d’ailleurs, que nous avons le devoir d’accueillir dans un esprit de fraternité. J’ai reçu les témoignages de ces familles qui, en hébergeant des réfugiés, ont vécu une vraie conversion à leur contact. Leur rapport à Dieu et aux autres a complètement changé. La charité fraternelle nous transforme.

Rémi Brague : C’est d’abord le manque de foi des Occidentaux qui entraîne, à travers toute une cascade de médiations, la faiblesse démographique de l’Occident, qui ne remplace plus ses générations.

Et, le vide aspirant, il ne faut pas s’étonner de ce que l’on cherche à le remplir. Il ne s’agit pas seulement de foi religieuse, mais de toutes ces formes de confiance qui en découlent plus ou moins directement, plus ou moins consciemment : une prise en charge critique, mais paisible de son passé, l’acceptation de son identité présente, l’espoir en l’avenir. Or, nous passons notre temps à battre notre coulpe – sur la poitrine de nos ancêtres, c’est plus commode.

En face, on peint son histoire en rose, même s’il s’agit d’un mensonge officiel, et on se perçoit comme ayant à la fois tout inventé et ayant toujours été les victimes. C’est ce que j’appelle « les enfants du génial Popov et de la petite marchande d’allumettes ».

Face à la présence incontournable de l’islam, l’affirmation de notre identité catholique n’est-elle pas la condition de notre avenir et d’un dialogue authentique ?

Rémi Brague : Ce qui est incontournable, c’est la présence de populations venues de pays sous domination islamique et de leurs descendants. Ce n’est pas l’islam comme système de normes supposées d’origine divine et encadrant toute la vie quotidienne – ce que nous appelons un peu vite une « religion ».

Affirmer notre identité ? Mieux vaudrait affirmer notre foi. Elle est entièrement partageable et, à supposer qu’on accepte d’entendre ce qu’elle a à dire, elle peut attirer. En tout cas, une foi sans complexe est la condition indispensable pour, à tout le moins, se faire respecter.

Bien des musulmans n’ont que du mépris pour la façon dont l’Europe renie son passé et a honte d’elle-même : « un pays de soumis », entend-on. Ils sont en particulier tout simplement dégoûtés par les lois « sociétales » que les classes dirigeantes voient comme des « avancées » dont il faudrait faire profiter le monde entier, au besoin en les lui imposant.

En revanche, bon nombre de musulmans respectent les croyants, les gens pieux et courageux d’autres religions. C’est bien de parler de « dialogue », mais encore faut-il avoir quelque chose à dire.

Mgr Dominique Rey : Le monde devient de plus en plus pluraliste. Que cela nous plaise ou nous inquiète, nous vivons dans un monde globalisé où les échanges sont démultipliés. Les statistiques démographiques ne laissent pas place au doute. Parmi les jeunes générations, la population de confession musulmane augmente. On peut penser que demain, si ce n’est déjà le cas, certaines villes de France et d’Europe seront majoritairement musulmanes. Cela souligne le besoin de cohésion pour la société. Certaines fractures socioculturelles au sein de notre pays augmentent les risques de dérives communautaristes et de fragmentation sociale.

Si la société veut continuer à bien vivre ensemble, elle doit redécouvrir la valeur du Décalogue et des repères fondateurs du « vivre-ensemble ». L’Église est universelle : sa vocation est d’accueillir chacun avec sa personnalité propre, en accompagnant son insertion dans un lien social.

Angela Merkel estime que la crise migratoire est une occasion, pour les musulmans reçus en Allemagne, de « découvrir les valeurs du christianisme ». Une affirmation impensable en France ?

Rémi Brague : Beaucoup de choses sont impensables en France, à cause d’une interdiction générale de penser, et en particulier de penser à certains sujets, soigneusement déclarés tabous. En parler est aussitôt qualifié de « dérapage », et les médias ont vite fait de vous clouer au pilori.

En Allemagne, et d’ailleurs dans la plupart des pays européens, on est moins coincé, on hésite moins à appeler un chat un chat. Je ne connaissais pas cette déclaration de Mme Merkel, mais elle me semble très juste, même si je n’aime pas parler de « valeurs », encore moins de « valeurs chrétiennes ».

Ceci dit, je ne suis pas sûr que cette chance pour la mission soit le seul but de ceux qui applaudissent l’entrée en Europe d’immigrants. Certains peuvent y voir, à tort ou à raison, une bonne affaire. Ceux qui ont pu se payer la traversée de la Méditerranée ou quelque autre long voyage sont souvent des gens qualifiés, dont la formation professionnelle n’aura rien coûté aux pays d’accueil…

Mgr Dominique Rey : Les flux doivent être régulés parce que nous ne pouvons pas accueillir des migrants à n’importe quel prix, dans n’importe quelles conditions. La « confrontation » à d’autres univers culturels doit également nous inviter à nous réapproprier notre propre identité chrétienne et notre identité nationale. C’est l’héritage commun que nous avons en partage et qui fonde notre « vivre-ensemble ». Nous ne devons pas hésiter à affirmer notre identité, même auprès des cultures étrangères ou des personnes de confession musulmanes. La « crise migratoire » nous oblige à nous « retrouver » nous-mêmes dans nos racines et à sortir de soi.

Elle nous pousse en même temps à la mission. Elle nous force à évangéliser, aussi bien les musulmans qui arrivent, que tant de nos contemporains frappés par l’indifférence ou le relativisme. Cette crise humanitaire est l’occasion de comprendre que la foi chrétienne nous met en contact avec la dimension universelle de l’évangélisation.

L’Église peut-elle accepter, dans la crise actuelle, de « trier » les migrants ?

Mgr Dominique Rey : Pour nous chrétiens, c’est un devoir d’accueillir sans choisir. Dans la parabole du bon Samaritain, le Christ nous montre que notre prochain est présent derrière tous les regards que nous croisons. Il n’est pas question de trier les « bons » des « mauvais ». Cela ne nous appartient pas.

Comme membre de l’Église universelle, les chrétiens nous sont proches dans leur humanité persécutée au nom de l’Évangile. Je me souviens de cette famille syrienne réfugiée dans une cave. Croyant à la promesse de vie sauve donnée par des soldats de Daech, elle accepte de sortir. L’un des fils, connu dans la ville pour sa foi et sa piété, est pris à partie : « Es-tu chrétien ? Pourquoi n’es-tu pas musulman ? » Confessant sa foi chrétienne jusqu’au bout, il sera amené dans la cour de la maison, accompagné par le regard douloureux de ses parents, et sommairement fusillé. L’Église a le désir moral de ne pas les abandonner.

Rémi Brague : Ce n’est pas à l’Église de décider s’il faut accueillir les migrants, et lesquels, mais aux autorités civiles. L’Église peut et doit aider à soulager la misère. L’asile doit s’appliquer d’autant plus largement que les groupes qui le demandent sont menacés dans leur pays d’origine. C’est le cas des Yézidis d’Irak, et aussi des chrétiens. Les Kurdes ont au moins un réduit dans le Nord de l’Irak, et ils sont armés. Les gens de l’État Islamique, conformément aux versets les plus récents du Coran, qui seuls ont encore force de loi, conformément aux Hadiths, et selon l’exemple de Mahomet et de ses compagnons, se sentent en droit de tuer, de violer et de vendre comme esclaves tous les non-musulmans. On se souvient que leurs assassins, en Libye, ont trié les musulmans et les Coptes pour n’égorger que vingt-et-un de ces derniers.

Donc, cela ne me gênerait nullement que l’on mette en tête des listes d’attente les populations qui risquent le plus gros.

 Ref: Face aux migrants, quelle doit être l’attitude des chrétiens ? 

JPSC

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