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Liturgie : célébrer la messe face au peuple ? une idée sans lien avec la tradition

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Lu sur le site « pro liturgia » :

louisbouyer1.jpgDans une église, l’autel est le centre de gravité. L’architecture chrétienne a constamment essayé de mettre cette réalité en relief. Or on ne peut pas séparer l’autel de sa finalité propre : la célébration liturgique du sacrifice de la croix, comme le précisent les textes de la liturgie eucharistique. Autel et sacrifice sont donc étroitement liés. 
Or, depuis le Concile, un changement s’est opéré : ce n’est plus tant l’autel que le célébrant qui est le centre de gravité. Et - c’est un fait incontestable - ce glissement de sens a été engendré par la généralisation de messes célébrées face au peuple. 
On est ainsi passé de la notion de “sacrifice” à la notion de “communauté rassemblée pour le repas eucharistique”.
La célébration face au peuple, aujourd’hui très largement généralisée, est une idée typiquement cléricale qui ne repose ni sur la tradition liturgique de l’Eglise ni sur des bases théologiques. Selon le P. Louis Bouyer, (photo) le face à face prêtre-fidèles est donc un complet contresens.
Le P. Joseph Gélineau, que personne ne saurait taxer d’intégrisme, écrit dans un numéro de “La Maison-Dieu” de 1960 : “Il est nécessaire d’observer que le problème de l’autel versus populum tel qu’il se pose aujourd’hui est relativement nouveau dans l’histoire de la liturgie. Durant une période assez longue et pour une bonne part de la chrétienté, la question dominante, au dire de plusieurs historiens, ne fut pas celle de la position réciproque du célébrant et des fidèles, mais celle de l’orientation au sens strict ; c’est-à-dire de se trouver face à l’Orient pour la prière. L’Orient symbolisait alors la direction de l’ascension et du retour du Christ.”
D’où est venue l’idée d’un face à face entre le célébrant et l’assemblée ? La réponse est simple : elle nous est venue de Martin Luther qui notait dans son livre “Deutsche Messe und Ordnung des Gottesdienstes” de 1526 : “Nous conserverons les ornements sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe et entre vrais chrétiens (sic), il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple, comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre.” On sait que tous les luthériens n’adopteront pas ce face à face. Aujourd’hui encore, dans beaucoup de communautés issues de la Réforme, les services religieux sont célébrés versus orientem.
Toutefois, l’idée de Martin Luther avait pour fondements le rejet de la messe comme sacrifice afin de ne plus y voir que la Cène comme repas fraternel soudant la communauté locale. C’est la communauté qui devait valider la célébration de la Cène, le pasteur n’étant en quelque sorte que le porte-parole ou le délégué de cette communauté.
Chez de nombreux prêtres catholiques de l’après-concile, le retournement des autels a donc été la conséquence d’une volonté d’insister sur le sacerdoce commun des fidèles devant déboucher sur une participation “active”, c’est-à-dire “activiste” qui contredit la participation “effective” - la ”participation actuosa” - souhaitée par Vatican II. Cette participation “active” devant instiller dans l’esprit des fidèles l’idée que c’est à la communauté paroissiale, avec “sa” sensibilité, d’organiser la liturgie en ne respectant plus que un schéma de base établi autour de quatre pôles : “pénitence - Parole - Eucharistie - repas convivial”.

Ainsi, avec la généralisation de la célébration face au peuple dans les paroisses, c’est non seulement l’aspect sacrificiel de l’Eucharistie qui a été gommé, mais aussi la valeur de la Communion eucharistique et la différence entre le sacerdoce ministériel du prêtre et ce sacerdoce commun à tous baptisé.

C’est toute une conception de l’Eucharistie et du sacerdoce qui a été profondément remise en cause, comme l’a reconnu le professeur W. Siebel. Selon lui, le prêtre tourné vers le peuple peut être considéré comme “le plus parfait symbole du nouvel esprit de la liturgie.” Un esprit qui perturbe la foi catholique et qui explique qu’au dernier synode sur la famille tant de questions aient pu être soulevées au sujet de la possibilité de donner la communion aux “divorcés-remariés” tandis que rien n’a été dit au sujet de l’Eucharistie. 
Toujours à propos de la célébration face au peuple, Mgr Gamber faisait remarquer qu’ “il est très net que l’on voudrait aujourd’hui éviter de donner l’impression que la ‘sainte table’ (comme on appelle l’autel en Orient) puisse être un autel du sacrifice.” Et il ajoutait : “C’est sans doute aussi la raison pour laquelle presque partout on y pose, comme sur la table d’un repas de fête de famille, un bouquet de fleurs (un seul), ainsi que deux ou trois cierges. On place ceux-ci la plupart du temps du côté gauche de la table, tandis que le vase de fleurs occupe l’autre côté. L’absence de symétrie est voulue : il ne faut pas créer de point de référence central tel qu’il existait jusqu’ici par la croix avec les chandeliers à droite et à gauche ; cela doit rester la table du repas.”
On chercherait en vain dans la Constitution sur la liturgie de Vatican II ou dans l’actuel Missel romain, une prescription exigeant que le prêtre soit tourné vers les fidèles pour célébrer la messe. 
C’est en Allemagne que la nouvelle position du prêtre “face au peuple” fit son apparition avec la Jugendbewegung (mouvement de la jeunesse) des années vingt et les Eucharisties célébrées en petits groupes. Le mouvement liturgique qui devait suivre diffusa cet usage : Dom Pius Parsch alla jusqu’à transformer une petite église romane Sainte-Gertrude de Klosterneuburg, près de Vienne.
Presque à la même époque, le monde orthodoxe devait connaître des tentatives semblables consistant à placer l’autel devant l’iconostase. Mais dès 1921, le Patriarche Tikhon de Moscou avait vu les risques d’une telle pratique. Dans une lettre qu’il adressa aux évêques, il écrivit : “Tout cela se fait sous prétexte d’adapter la liturgie aux exigences des temps nouveaux, d’apporter au culte divin l’animation nécessaire pour inciter les fidèles à se rendre à l’église. Nous ne bénissons aucune de ces violations, aucune de ces actions arbitraires individuelles lors de la célébration liturgique, parce que nous ne pouvons le faire. La divine beauté de notre liturgie, telle qu’elle a été fixée dans les livres rituels, les rubriques et les prescriptions, doit rester intangible dans l’Eglise orthodoxe russe, parce que c’est là son bien suprême le plus sacré.”
La suite de l’Histoire devait donner raison au Patriarche : c’est parce qu’elle a fidèlement conservé et cultivé sa liturgie traditionnelle que l’Eglise orthodoxe russe est aujourd’hui encore vivante et prospère. Et ce, après plus de 70 années d’un socialo-communisme dévastateur.
Pendant ce temps-là, en Occident, la Congrégation des Rites précisait, en 1964, qu’ “il est bien de construire l’autel majeur séparé du mur pour qu’on puisse en faire facilement le tour et qu’on puisse y célébrer vers le peuple. Il sera placé dans l’édifice sacré de façon à être véritablement le centre vers lequel l’attention de l’assemblée des fidèles se tourne spontanément.”
Si des autels “face au peuple” - d’un goût parfois plus que douteux - ont été installés presque partout, il ne demeure pas moins vrai que nulle part il n’ est exigé du prêtre qu’il célèbre exclusivement en se tenant face à l’assemblée des fidèles. Ce point vient d’ailleurs d’être rappelé par le Cardinal Sarah nommé à la tête de la Congrégation pour le Culte divin par le Pape François. Et, comme tout le monde peut le constater, le fait de célébrer “face au peuple” n’a pas permis au fidèles d’avoir un sens plus aigu de l’Eucharistie. En effet : outre la perte du sens du mystère, du sacerdoce ministériel et de la fin sacrificielle de la messe, il n’est pas sûr que le but de mettre l’accent sur le repas communautaire ait été atteint. Voici à ce sujet ce qu’en disent des spécialistes de la question :
Dans un ouvrage abordant le problème des “manifestation pubertaire dans l’Eglise”, K.G. Rey déclare : “Alors que jusqu’ici le prêtre offrait le sacrifice en tant qu’intermédiaire anonyme, en tant que tête de la communauté, tourné vers Dieu et non pas vers le peuple, au nom de tous et avec tous, alors que les prières à prononcer […] lui étaient prescrites, ce prêtre vient aujourd’hui à notre rencontre en tant qu’homme, avec ses particularités humaines, son style de vie personnel, le visage tourné vers nous. Pour beaucoup de prêtres, c’est une tentation, contre laquelle ils ne sont pas de taille à lutter, de prostituer leur personne. Certains savent astucieusement - et d’autres avec moins d’astuce - exploiter la situation à leur profit. Leurs attitudes, leurs mimiques, leurs gestes, tout leur comportement accrochent les regards fixés sur eux par leurs observations répétées, leurs directives et, depuis peu, par des paroles d’accueil ou d’adieu. […] Le succès de ce qu’ils suggèrent ainsi constitue pour eux la mesure de leur pouvoir et, en conséquence, la norme de leur sécurité.”
Dans “L’esprit de la liturgie”, le Cardinal Ratzinger écrit : “On a pu voir se développer une cléricalisation comme jamais il n'en a existé auparavant. Le prêtre, ou plutôt l’animateur liturgique, comme on préfère l'appeler maintenant, est devenu le véritable point de référence de la célébration liturgique. Tout se rapporte à lui. Il faut le regarder, suivre ses gestes, lui répondre ; c’est sa personnalité qui porte toute l’action. Pour encadrer ce ‘one man show’, on a confié à des ‘équipes liturgiques’ l’organisation créative de la liturgie ; on a ainsi distribué des fonctions liturgiques à des laïcs dont le désir et le rôle sont souvent de se faire valoir eux-mêmes. Dieu - cela va sans dire - est de plus en plus absent de la scène. L'important c’est d’être ensemble, de faire quelque chose qui échappe à un schéma préétabli.”
Pour le P. Louis Bouyer, “il en résulte que la messe dite face au peuple n’est qu’un total contresens, ou plutôt un pur non-sens ! Le prêtre n’est pas une espèce de sorcier ou de prestidigitateur produisant ses tours devant une assistance de gobeurs : c’est le guide d’une action commune, nous entraînant dans la participation à ce qu’a fait une fois pour toutes Celui qu’il représente simplement, et devant la personnalité duquel la sienne propre doit s’effacer !”
Wiegand Siebel constate que “le prêtre qui joue son rôle tourné vers le peuple, peut difficilement éviter de donner l’impression de représenter un personnage qui, plein d’obligeance, aurait quelque chose à vous proposer. Pour affaiblir cette impression on a essayé de placer l’autel au milieu de l’assemblée. On n’est alors plus obligé de ne voir que le prêtre, on peut aussi regarder les assistants assis à côté ou en face de soi. Mais, en plaçant l’autel au milieu des fidèles, on fait disparaître la distance entre l’espace sacré et l’assemblée. Le saisissement que faisait naître autrefois la présence de Dieu dans l’église se mue en un pâle sentiment qui se distingue à peine du quotidien.”
En 1992, le cardinal Decourtray, Archevêque de Lyon, écrivait : “Nous nous sommes tellement tournés vers l’assemblée que nous avons souvent oublié de nous tourner ensemble, peuples et ministres, vers Dieu ! Or, sans cette orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens chrétien. Elevons notre cœur ! Nous le tournons vers le Seigneur ! La Constitution conciliaire sur la Sainte Liturgie le dit admirablement. Avons-nous été assez fidèles à son enseignement ?”
En septembre 2015, Mgr de Germay, évêque d’Ajaccio écrit dans son bulletin diocésain que “la possibilité pour le prêtre de célébrer face au peuple a été selon moi mal accompagnée. On a alors progressivement perdu le sens de cette orientation fondamentale [vers l’Orient] et perçu la messe uniquement comme un dialogue entre l’assemblée et le prêtre. Celui-ci s’est ainsi parfois considéré comme un animateur, se sentant la mission de rendre la messe accessible, compréhensible, animée, sympathique même, faisant des commentaires, se permettant d’adapter les formules liturgiques, etc. Du coup, l’attention des fidèles était de plus en plus captivée par la prestation du prêtre et/ou celle de l’animateur de chants.
En voulant expliquer les rites, on leur interdit de remplir leur fonction qui est de suggérer le mystère. Cette dérive n’a pas favorisé la participation des fidèles souhaitée par le Concile. (...) Bien célébrée, la liturgie de l’Eglise peut orienter les cœurs vers Dieu, manifester sa présence et aider les fidèles à se laisser toucher par l’œuvre de la rédemption qui s’accomplit. Elle est le fruit de 2000 ans de tradition. Tout y est pensé pour être au service d’un événement dont l’acteur principal est Dieu lui-même et auquel nous sommes invités à participer, d’une participation non pas d’abord extérieure mais intérieure.”
Il y a donc urgence de célébrer de telle sorte à ce que la messe apparaisse aux yeux des fidèles comme étant plus qu’une communauté se rassemblant autour d’un repas symbolique permettant de faire mémoire de Jésus de Nazareth. Car l’important n’est pas la constitution d’une communauté et ce qu’elle vit, mais bien le culte rendu à Dieu. Sur ce point, le P. Louis Bouyer est très clair : “Dans la plupart des cas, surtout dans la moyenne des églises paroissiales, du point de vue même de la restauration d’une vraie célébration communautaire, il faut donc dire franchement que placer le prêtre du même côté que les fidèles pour la prière eucharistique, en tant que chef visible de leur groupe tout entier, reste la meilleure solution.”

Ref. http://www.proliturgia.org/

 JPSC

Commentaires

  • Je crois que pour améliorer l'état de la liturgie, il faudrait au moins commencer par ceci. Si le prêtre célèbre versus populum, qu'il veuille s'effacer devant le mystère et qu'il soit impitoyable avec lui-même en ne transformant pas la messe en un one man show. Cela implique le respect scrupuleux des rubriques, d'être bref dans les commentaires, de soigner la position des mains (mains jointes, pas d'ouverture trop ample pour les oraisons) et le regard (regarder les saintes espèces ou la croix d'autel) de manière qu'en étant lui-même tourné vers la Sainte Trinité, le prêtre entraîne l'assemblée vers l'intériorité.
    Je me souviens d'avoir assisté à une messe matinale dans un église new yorkaise où l'autel était orné d'une croix assez grande, de 6 chandeliers et était surmonté d'un ciborium. Même célébrée versus populum, la messe avait une atmosphère complètement transformée.
    Je conseille aux prêtres aussi de redire les prières qui accompagnent la vêture dans l'ancien missel (amict, aube, cordon, étole et chasuble). Ils entreront ainsi dans un autre monde et seront mieux disposés à célébrer dignement le saint sacrifice. En mettant l'amict: impone capiti meo galeam salutis ad expugnandos diabolicos incursus!

  • Dans notre église à Liège, se passe aussi ce que décrit-là le P. Simon Noël et je puis témoigner de la même expérience : plus de recueillement, fidèles spontanément à genoux pour la consécration et, sans aucune espèce d’instruction venant du prêtre, presque tous communiant à genoux et sur la langue. C’est étonnant…

  • D'accord avec Simon Noël. Il est possible d'habiter spirituellement le rite de Paul VI, de célébrer face au peuple, tout en conservant le sens du Mystère. On peut vivre cela le dimanche à 11h15, à l'église du Saint Sacrement à Liège (abbé Claude Germeau).
    Au Vénézuela, (en 1984) j'ai assisté aux messes d'un prêtre belge (fidei donum) qui célébrait face au peuple, mais disait les "prières au bas de l'autel" tourné vers l'orient, comme les fidèlles, car il se mettait au niveau des pécheurs et se comptait parmi eux. Après le Kyrie, il remontait à l'autel. Voilà une "invention" personnelle qui avait du sens. (C'est malheureusement rare).

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