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Cinquième dimanche de Pâques : "Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres."

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Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres; comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres.

(Jean 13,34. Commentaire d’Adrienne von Speyr, Jean, le discours d’adieu, I, Lethielleux, 1982, p. 85-89 - source)

Ce commandement est nouveau. C’est le commandement personnel du Seigneur. Il l’émet au moment même où il est trahi, et où il annonce qu’ils le chercheront, mais ne le trouveront pas. Par là, il ne se soustrait pas à leur amour, mais leur donne la possibilité de vivre en lui, sans le voir. Il leur offre en quelque sorte une compensation. Mais c’est davantage qu’une compensation, parce que ce commandement est son don et qu’il vit dans ce don, parce que cet amour des uns pour les autres jaillit de l’amour mutuel entre le Père et le Fils.

Pourquoi devons-nous nous aimer les uns les autres? Tout d’abord simplement du fait que le Fils de Dieu a séjourné parmi nous, comme un homme venu par amour et qui était l’amour. Parce que cela s’est passé une fois sur terre. Mais encore, parce que le Seigneur continue à vivre dans chaque individu. Si nous ne pouvions pas nous aimer les uns les autres à cause de nos péchés et parce que le péché de l’autre nous répugnait, maintenant il nous est possible de nous aimer quand même, grâce à la présence du Seigneur dans l’autre. Car il vit dans tout homme qu’il aime, et il les aime tous. Par son amour, il se fait place à lui-même dans chacun. Dans son amour, nous pouvons donc tous nous aimer les uns les autres. Il adresse ces paroles à ses disciples, à ce petit groupe déterminé et limité qu’il  aime. Mais le cercle des siens s’élargit à l’infini. Et pourtant cet élargissement ne doit pas rendre l’amour moins déterminé, mais plutôt en intensifier la détermination et la particularité, car l’exigence existe partout, de façon très concrète et immédiate.

La mesure de cet amour est son amour : comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. Son amour pour nous a jailli de son amour pour le Père. Et c’est précisément de ce même amour qu’il nous faut, nous aussi, nous aimer les uns les autres. D’un amour donc tout à fait pur, qui nous vient de Dieu par le Fils. D’un amour qui possède les mêmes qualités que l’amour du Fils pour le Père: qui par conséquent est surabondant. L’amour que le Fils reçoit du Père et qu’il lui rend, est un amour absolument brûlant, livré, versé, consumé. C’est exactement la même forme que doit avoir l’amour entre les enfants du Christ. Même si cet amour est parfaitement chaste, il ne doit pas pour autant brûler moins ardemment. Et il ne doit pas être non plus moins universel que l’amour du Seigneur pour les hommes.

L’amour du Seigneur vient du Père. Mais le Seigneur a aussi une mère. Cette mère, en acceptant le Fils et en considérant la volonté du Père comme l’essence même de sa vie, a témoigné d’un amour incroyable à l’égard de Dieu. Et cet amour a rejailli sur le Fils: tout petit enfant, il a appris à connaître l’amour sous cette forme. C’est pourquoi l’amour que le Seigneur lègue aux disciples est aussi tout imprégné de l’amour réciproque de la Mère et du Fils; il est donc aussi amour pour leur Mère, amour de la Mère pour eux, amour maternel des disciples entre eux, ouverture et abandon féminins dans leur amour de Dieu, et dévouement féminin dans leur amour mutuel. Dans l’amour que le Seigneur leur demande, les éléments divins et humains sont inséparablement entremêlés ; il est à la fois céleste et terrestre, viril et féminin, mais pleinement intégré dans la pureté du Seigneur, de sorte qu’il n’y a pas la moindre trace d’égoïsme en lui.

Cet amour du Seigneur pour les hommes, amour qu’il leur transmet à présent, il l’a reçu du Père et de la Mère; en outre, il porte ses propres traits filiaux, son caractère de Rédempteur; c’est un amour gratuit, désintéressé, durable, absolument immuable et permanent. Il aime, dans quelque état que l’homme puisse se trouver. Il est indépendant de tout agrément et de tout désagrément, de la bonté et de la méchanceté, de la beauté et de la laideur. Il faut que notre amour soit pareil. Il devrait toujours être au commencement, jaillissant de sa source, non pas à un stade ultérieur, dans une sorte d’évolution psychologique vers une fin naturelle, dans le refroidissement et l’indifférence. L’amour chrétien ne s’éloigne pas du commencement; il se trouve toujours dans l’origine, tout comme l’amour entre le Père et le Fils, entre le Fils et la Mère. Là, il n’y a pas d’écart, pas de différence entre donner et prendre, pas d’alternance de bons et de mauvais jours, pas de caprices, pas de malentendus, pas d’aliénation. C’est bien cet amour-là que le Seigneur offre comme cadeau à ses disciples et à tous les hommes.

C’est un amour qui est prêt à tout assumer, même la croix. Il est parfait, non seulement dans son origine, mais encore dans ses effets. Il est si fort que dans sa prodigalité, il a tout porté et assumé. Par amour pour l’amour, tout peut être enduré. Pour l’amour, une seule chose existe: l’amour. Il lui est si précieux que pour lui n’importe quel prix doit être payé et qu’il paie pour lui-même n’importe quel prix. Si le Seigneur interrompait le chemin de sa Passion à l’une des stations, l’amour ne serait plus illimité, il ne serait plus le suprême, l’ultime, l’absolu. Or, parce que l’amour est illimité, il est impossible de fixer des limites à la souffrance.

C’est un amour qui se renonce totalement soi-même et par conséquent supporte tout. Il porte tout le péché du monde. L’amour que le Fils connaît par le Père est un amour qui ne connaît que l’amour, qui naît de l’amour et retourne à l’amour et sur ce chemin, en se réalisant, compte finalement et malgré tout sur l’amour. L’amour infini du Fils s’accomplit en venant de l’amour infini du Père et en s’y versant à nouveau. Il n’est pas un amour solitaire, mais un amour qui ne vit que dans la réciprocité, pour établir la réciprocité sur la terre aussi. L’amour doit d’abord écarter l’obstacle qui lui barre la route en le prenant sur soi: il doit expier le péché par la solitude, la déréliction, l’angoisse, la honte et la mort. Pour l’amour, c’est la voie qui lui permet d’aboutir enfin à la réciprocité dans son rapport avec les hommes, de donner l’amour aux hommes, de telle façon qu’ils y répondent. Le Fils vient dans le monde sans avoir fait l’expérience du péché. Il ressemble à l’enfant qui met sa main dans le feu: il ignore ce qu’est le feu du péché. Il doit d’abord apprendre à connaître amèrement ce qu’il est pour go11ter ce qui est le contraire de l’amour. Dans cette expérience, il apprendra ce que sont les doutes. Et il fera l’expérience de la trahison, d’une chose qu’il n’aurait jamais crue possible. Du ciel, il n’avait prévu que l’aspect grandiose et fascinant de l’amour; toute la mesquinerie et la bassesse du péché dressé contre son amour, il n’a pu les vivre que sur terre.

La mesure de l’amour, c’est qu’il prend tout sur soi. Il ne calcule pas, il prodigue seulement; tout ce qui peut être porté au nom de l’amour, il le porte. Aimer et souffrir ne connaissent pas de mesure, et il faut que pour les hommes cela soit pareil. Certes les hommes ne posséderont jamais l’amour dans sa véritable plénitude. L’amour reste un commandement, mais cette étoile doit briller au-dessus d’eux. Leur vie doit tendre vers cet amour et y pénétrer. Ils doivent se laisser entraîner progressivement par le Seigneur dans son amour incommensurable qui se prodigue totalement et supporte tout.

Le Seigneur livre son commandement comme un commandement infini. Personne n’a jamais eu le pouvoir de s’arrêter sur ce chemin et de dire: ça suffit. L’amour et la Passion du Seigneur étant infinis, toute mesure pour notre propre amour nous est enlevée. Jamais nous ne pouvons établir un rapport entre la mesure de son amour et de sa Passion, et la mesure d’amour et de souffrance que nous sommes prêts à fournir. Le modèle de l’amour est infini, aussi l’exigence demeure-t-elle également infinie. Puisque le Seigneur n’admet pas de limites pour lui-même, il n’en admet pas non plus pour nous. Il est toujours en droit d’attendre davantage, car il est lui-même éternellement davantage. Dans son commandement, il emploie un comparatif: comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres; c’est pourquoi on pourrait être tenté de prendre ça pour une mesure, pour sa mesure. Mais sa mesure est justement de ne pas en avoir. Les disciples, en entendant ce commandement, sont certainement fort troublés et étonnés par cette exigence du Seigneur. Une chose pareille, jamais ils n’auraient pu l’imaginer. Ils s’attendaient à ce qu’on utilise et exploite de quelque façon leurs talents, leurs qualités et leurs capacités d’hommes. Et voilà que le sens de toute leur vie ne doit être que l’amour. C’est inouï, c’est à peine possible. C’est vraiment un commandement nouveau, un commandement encore jamais entendu.

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