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D’où vient l’islamisme radical ?

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De Jacques Bichot sur magistro.fr :

Pourquoi Daech ?

La mutilation de Palmyre a conduit Paul Veyne, historien fin connaisseur de l’antiquité, à écrire et publier dans un délai record un petit livre (1) dont la lecture est du plus grand intérêt à bien des égards. Ce qui suit nous a été inspiré par deux pages de ce livre écrites pour répondre à la question : "Pourquoi, en août 2015, avoir détruit le temple de Baalshâmin ?" Ces deux pages amorcent en effet la réponse à une question beaucoup plus vaste : d’où vient l’islamisme radical, celui qui démolit, massacre, mais aussi restaure ou instaure des mœurs basées sur le machisme et l’intolérance ?

Pour Paul Veyne, c’est le désir d’un retour aux mœurs anciennes qui est le ressort de la violence djihadiste. "Partout dans le monde, les filles font des études, les femmes conduisent", constate-t-il, et pourquoi ? "Car la culture de l’Occident et ses mœurs s’étendent partout". Une forme de vie en société est menacée de disparition. Pour la préserver, une tentative de solution consiste à construire un État islamique là où ces règles de vie existent encore – un État coupant radicalement ses sujets de l’Occident tentateur.

La violence sert à opérer cette coupure. Elle est le refus du vivre-ensemble, et l’opération grâce à laquelle cette vie commune devient impossible. L’Occident possède une forte capacité d’absorption, d’assimilation des apports extérieurs, et aussi de conversion à ses manières d’être et de faire ; il faut donc se couper de lui en attaquant ce qui pour lui est sacré.

Les temples de Palmyre comme les Bouddhas afghans manifestaient la façon dont la culture occidentale parvient à faire sienne des chefs-d’œuvre qui ont une autre source que l’Europe. C’est notre ouverture d’esprit, notre aptitude à nous enrichir spirituellement, intellectuellement et économiquement de ce que d’autres ont découvert, qui fait de nous, aux yeux des intégristes musulmans, des hommes dangereux, qui doivent être dressés, soumis, ou éliminés.

 

Ce qui est en question n’est pas seulement le statut de la femme, si important soit-il pour ces intégristes. C’est aussi un ensemble de croyances liées à l’interprétation littérale de certains textes sacrés. C’est une manière d’être qui exclut le doute, la remise en question, cette curiosité intellectuelle qu’ont développé des civilisations comme celles de la Grèce antique et du peuple hébreux – deux des racines de l’Europe.

Le christianisme, à certaines périodes de son histoire, a été tenté de repousser cet esprit de recherche, la quête perpétuelle de progrès vers la vérité. L’Église a parfois cherché à stopper la marche, souvent laborieuse et difficile, vers une connaissance un peu moins imparfaite. La résistance aux travaux exégétiques et aux indications fournies par l’archéologie, au nom d’une lecture littérale des textes sacrés, a été forte. Ce fut en contradiction avec l’esprit non seulement du Nouveau Testament, mais aussi de l’Ancien, tous deux étant tournés vers l’évolution, la découverte, l’abandon de conceptions anciennes au profit d’une marche –souvent laborieuse et difficile– vers une connaissance un peu moins imparfaite.

Cet obscurantisme, toujours susceptible de renaître de ses cendres sous des formes nouvelles, ne triomphe pas, malgré la difficulté des remises en cause. La descendance d’Abraham continue à quitter, génération après génération, sa terre natale, c’est-à-dire le territoire confortable des certitudes figées.

L’islamisme est une des manifestations d’une volonté tournée vers la conservation de telles certitudes. Daech, c’est Abraham qui aurait décidé de rester à Ur, de refuser la vie d’errance qui est la condition humaine. Ce désir de sédentarisation est compréhensible : on sait ce que l’on a ici, on ignore ce que le voyage apportera. Il y aura d’ailleurs à coup sûr du mauvais comme du bon, donc des choix à faire.

L’Islam a, par rapport au christianisme, au judaïsme, au confucianisme, une difficulté supplémentaire à accompagner ses adeptes dans le pèlerinage de la connaissance et de la vie : l’idée selon laquelle le Coran aurait été dicté par Dieu lui—même. Cette idée ne dispose évidemment pas à chercher, à douter, à reconnaître ses erreurs. Des idées analogues ont existé à propos de la Thora chez les Juifs, et de l’ensemble de la Bible chez les Chrétiens, mais elles ont régulièrement été repoussées. L’Esprit est toujours à l’œuvre, la Résurrection ne met pas un point final à l’Histoire sainte : tel est le message de la Pentecôte, et il a toujours fini par l’emporter sur les différentes tentations intégristes.

Mais la marche est fatigante. La violence de Daech exprime la tentation de stopper le mouvement, de poser son baluchon. C’est pourquoi de jeunes Occidentaux s’y rallient : plus besoin de chercher, tout est là, révélé ! Une telle certitude promet un grand confort intellectuel et existentiel.

Il serait sot de croire à cette promesse. Car l’homme est fondamentalement un nomade, en route vers un avenir inconnu. Il est fait pour marcher. Or, même si l’État islamique conquérait la terre entière, il n’est pas en son pouvoir de changer la nature humaine. Chaque fois que l’humanité, ou une fraction de l’humanité, se laisse enfermer dans Ur, un Abraham surgit, prend son bâton et entraîne sa famille sur les chemins de la vie.


(1) Palmyre, l’irremplaçable trésor. Albin Michel, décembre 2015.

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