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Robert Sarah, ce cardinal guinéen icône des catholiques conservateurs

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De Marie-Christine Tabet sur le site du Journal du Dimanche :

Robert Sarah, ce cardinal que La Manif pour tous adore

PORTRAIT - Proche des milieux conservateurs français, le Guinéen Robert Sarah est attendu en France en fin de semaine. Le JDD l’a rencontré.

Monseigneur Sarah, en mars 2015, à la nonciature de Paris. (Julien de Fontenay pour le JDD)

Au centre culturel Saint-Louis des Français à Rome, personne n'avait imaginé une telle affluence pour la présentation du livre d'un cardinal. L'auditorium, à deux pas de la Piazza Navonna, n'a pu accueillir les quelque 350 curieux qui se sont présentés pour assister à la conférence de Robert Sarah sur La Force du silence*, une méditation spirituelle sous forme d'entretiens avec le journaliste Nicolas Diat. Il a fallu mettre des chaises dans les couloirs. Les retardataires sont restés debout où ont rebroussé chemin. Seul l'écrivain Tahar Ben Jelloun avait fait aussi bien en 2015. Avec un public très différent. Ce jeudi 6 octobre, l'assistance comptait pas moins de quatre autres cardinaux, une brochette de diplomates européens et africains, des religieux, le redouté vaticaniste Sandro Magister… et des représentants de nombreuses communautés catholiques.

Converti au catholicisme à l'adolescence

Que se serait-il passé si - comme c'est l'usage - le nouvel ambassadeur près le Saint-Siège, Philippe Zeller, avait envoyé des invitations? Installé depuis quelques mois seulement à la villa Bonaparte, le diplomate avait opté pour la discrétion. Il sait déjà que les déclarations du prélat africain, défenseur de la famille et chef de file des "anti-gender", ne passent inaperçues ni à Rome… ni en France. A 71 ans, le cardinal guinéen est devenu une icône pour les catholiques conservateurs français. Un mariage inattendu.

«Il est très apprécié des jeunes tendance Versailles»

Né dans une famille coniagui du nord de la Guinée, le cardinal s'est converti au catholicisme à l'adolescence. Formé dans la rigueur des Spiritains, il a ensuite bravé le dictateur Sékou Touré, qui avait chassé tous les prêtres étrangers du pays. En 1979, son courage politique lui a valu d'être nommé évêque de Conakry - alors le plus jeune du monde - par Jean-Paul II. En 2010, Benoît XVI, dont il est très proche, l'a créé cardinal. Depuis vingt-deux ans à Rome, il ne semblait pas prédestiné à rencontrer le public français. "Il est très apprécié des jeunes tendance Versailles", décode un évêque. Sa popularité a grandi en France en 2012 avec l'émergencede La Manif pour tous, dont le noyau dur a défilé dimanche à Paris sur le thème de la filiation.

«L'Europe se suiciderait si elle abandonnait ses valeurs chrétiennes»

Son livre précédent Dieu ou rien, a d'ailleurs connu un succès de librairie inhabituel dans le registre religieux. Il a certes bénéficié du réseau efficace des monastères, mais l'a largement dépassé. L'ouvrage a fait l'objet de 14 traductions. Samedi, il commence une nouvelle tournée en France. Après Versailles, il se rendra à Bordeaux puis à Créteil et en début d'année à la basilique de Fourvière, à Lyon… Cet homme grand et fin à la voix monocorde, séduit des catholiques français en quête d'identité. Sans élever le ton, il leur assène ses "vérités" et elles les séduisent. "L'Église doit présenter le message du Christ, résume-t-il, il ne faut pas réduire l'Évangile pour séduire des partisans. Une Église qui dirait 'on accepte les gens comme ils sont' ne serait pas fidèle à elle-même. Quel est le bilan du concile Vatican II? Pas si important que cela, il me semble…" L'homme n'est pas adepte du compromis. "Il y a des chrétiens qui meurent pour leur foi au Pakistan et en Irak. Comment pourrions-nous ne pas être exigeants? Ce serait indécent. L'Europe se suiciderait si elle abandonnait ses valeurs chrétiennes."

Ses positions doctrinales l'opposent au pape

Alors qu'il dispose de l'un des plus beaux bureaux de la curie romaine avec une vue imprenable sur Saint-Pierre de Rome, il s'applique la frugalité qu'il professe. ll partage avec le pape François une détestation pour l'ostentatoire et les mondanités et affiche un goût pour la pastorale. Comme un curé de campagne, cet intellectuel appuie chacune de ses démonstrations d'une image explicite. "L'exigence? Mais que réussira un enfant qui n'est pas exigeant dans son travail?"

Paradoxalement, ce sont ses oppositions doctrinales avec l'actuel pape qui ont renforcé sa notoriété. Pendant le synode sur la famille, il a ferraillé contre les progressistes qui voulaient comme François trouver une place dans l'Église aux divorcés désireux de se remarier. Il a guidé d'une main de fer les évêques africains, dont la plupart ont été nommés grâce à lui. Plusieurs fois par semaine, il les réunissait dans ses appartements pour rappeler à l'ordre ceux qui étaient prêts à céder du terrain et à se laisser imposer "une vision occidentale de la famille". Pour lui, l'Occident "n'est plus un modèle". Et il est prêt à s'engager pour l'aider à reprendre sa place. "J'ai reçu la foi et l'instruction de l'Europe, explique-t-il, Dieu ne donne rien au hasard." Dans l'hémicycle, pendant le synode, il a été peu disert.

Il invite les prêtres à dire la messe dos aux fidèles

«On me qualifie de traditionaliste. Ce n'est pas vrai. Je suis radical»

Mais son intervention n'est pas passée inaperçue. Il avait mis sur le même plan la menace de la théorie du genre et celle de l'État islamique… En juillet, c'est son invitation faite aux prêtres de célébrer la messe dos aux fidèles qui a suscité une vive émotion. Préfet pour la célébration du culte divin et la discipline des sacrements, il est chargé de la liturgie… Le service de communication du Vatican a pris soin de préciser quelques jours plus tard que cette déclaration n'avait aucun caractère officiel… "ll est utile au pape, relève un fin connaisseur de la curie, il rassure tous ceux qui sont un peu déstabilisés par les positions trop audacieuses de François sur les homosexuels ou les migrants…" De son côté, le cardinal supporte pourtant mal l'étiquette d'"opposant au pape". "C'est faux et malhonnête, s'emporte-t-il, nous partageons la même foi et je me sens très proche de lui. Je suis souvent très maladroit. On me qualifie de traditionaliste. Ce n'est pas vrai. Je suis radical."

C'est dans le silence de la Grande Chartreuse, normalement interdite aux visiteurs, où il a été invité par les moines-ermites à séjourner trois jours avec Nicolas Diat, son coauteur, qu'il a retrouvé cette radicalité à laquelle il aspire. "Nous sommes arrivés de nuit, j'ai vu le prieur sortir en sandales dans la neige pour nous accueillir. Je me suis interrogé sur le sens de cette abnégation et de ce dénuement. Pourquoi un tel sacrifice?" Un monde très éloigné des préoccupations de l'Ouest parisien. 

* La Force du silence. Contre la dictature du bruit (Fayard).

Marie-Christine Tabet, envoyée spéciale à Rome (Italie) - Le Journal du Dimanche

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