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France: Que pèsent vraiment les réseaux de la Manif pour tous ?

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La percée de François Fillon au premier tour de la primaire de la droite a mis en lumière toute une génération de jeunes catholiques, « pas nécessairement plus nombreux qu'en 2013, mais plus formés politiquement ». Le magazine « La Vie » (filiale du groupe "Le Monde") sort ses pincettes pour saisir le phénomène avec une analyse signée Pascale Tournier :

« Difficile d’avoir une meilleure pub. En début de semaine, Alain Juppé a rappelé qu’il était plus proche du pape François que de la Manif pour tous. Sur les réseaux sociaux, on pouvait lire en cascade des tweets associant le « tsunami Fillon » à « la Manif pour tous ». Pas de doute, le mouvement qui a défilé en masse dans la rue en 2013 contre la loi Taubira s’est invité dans la primaire de la droite et du centre. Mais quelle est la réalité de cette mouvance que le politologue Gaël Brustier qualifiait de « mai 68 à l’envers » ?

 Plus qu’un bloc uniforme, se cachent derrière cette expression de nombreux jeunes chrétiens engagés tous azimuts dans le monde politique, associatif et médiatique, que leurs aînés avaient souvent déserté. « Si la Manif pour tous a réussi à montrer un visage uni, elle s’est ensuite développée de façon éparpillée. Chacun choisissant sa chapelle », souligne Guillaume Bernard, maître de conférences à l’Institut catholique d’études supérieures (ICES).

C’est le soutien à François Fillon de Sens Commun, issu des rangs de la Manif pour tous et arrimé au parti Les Républicains, qui a remis en septembre les projecteurs sur les tenants de cette France « réac » pour ses détracteurs. Présidé aujourd’hui par Christophe Billan, le mouvement a toujours voulu peser à l’intérieur des Républicains. Avec ses 9000 adhérents, c’est une vraie force militante réunissant aujourd’hui plus de 250 élus municipaux, 22 élus départementaux et régionaux et des secrétaires nationaux LR comme la normalienne Madeleine de Jessey, co-fondatrice des Veilleurs, qui a enflammé les meetings de François Fillon avec son charme évanescent. Contrairement au Parti chrétien démocrate (PCD), les militants ne mettent pas leur chrétienté en oriflamme. Mais ils promeuvent les valeurs de l’État fort, la famille, la dignité de la fonction politique et l’écologie intégrale. Avec pour mascottes le Général de Gaulle, Philippe Séguin et, donc, désormais François Fillon.

 

Mais la Manif pour tous renvoie aussi à l’association du même nom, qui était au centre de l’organisation des cortèges de 2013. Revendiquant plus de 400.000 sympathisants – et pas que des petits « bourgeois versaillais », insiste sa direction –, LMPT, assis sur de nombreux comités locaux, plaide pour l’abrogation de la loi Taubira, mais aussi l’interdiction de la GPA-PMA et la théorie du genre. Si la pasionaria Frigide Barjot a été remplacée par Ludovine de la Rochère, qui a fait ses armes au service de presse de la Conférence des évêques, l’équipe s’est professionnalisée. Ayant désormais pignon sur rue à Bruxelles et à l’ONU au titre d’organisme consultatif, LMPT édite des plaquettes d’argumentaires comme une vrai cabinet de lobbying et multiplie les rendez-vous avec les politiques pour qu’ils reprennent leurs points de vue. Dernière offensive : le site Boomerang2017.fr qui a repris les verbatims de François Fillon et d’Alain Juppé sur la famille, afin de d’aider les internautes à se forger leur avis.

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Si les jeunes de la Manif pour tous ont investi ces deux mouvements têtes de proue, ne pas oublier dans la mouvance, toute une série d’associations plus anciennes, comme les Associations familiales catholiques (AFC), Alliance Vita, la fondation Jérôme Lejeune, SOS Chrétiens d’Orient ou le think tank l’institut Molinari. « Chacun est animé par ses obsessions, comme la bioéthique ou l’économie », constate Guillaume Bernard. Dans les formations politiques, le PCD représenté à la primaire par le candidat Jean-Frédéric Poisson reste encore central. L’Avant-garde cofondée il y a plus d’un an par l’entrepreneur Charles Beigbeder, le « frère de », et l’ex-ministre Charles Million, proche de Philippe de Villiers, s'est aussi fait sa place. Cette « droite hors les murs », qui travaille autour des questions d’identité, de famille et de politique fiscale, veut faire revivre l’Union des droites et ne cache pas sa porosité avec le FN.

À ce tableau général, il faut ajouter la sphère médiatique. Des blogueurs, comme le plus connu, Erwan le Morhedec, alias Koz, investissent les réseaux sociaux. Des « réacs en vert contre tout », selon leurs contempteurs, comme la journaliste au Figaro Eugénie Bastie, ont trouvé un repère dans la revue Limite, qui reprend l’axe principal de l’écologie intégrale : au jouir sans entraves de mai 68, place à la limite dans nos désirs. À noter aussi l’influence grandissante de Saje, qui distribue les grosses machines hollywoodiennes, type Tu ne tueras point de Mel Gibson ou le biopic Le pape François.

Majoritairement pro-Fillon.

Que pèse vraiment toute cette galaxie ? Pour Yann Raison du Cleuziou, maître de conférence en sciences politiques à l'université de Bordeaux, « le mouvement n’est pas en expansion, mais est mieux formé aux enjeux politiques qu’en 2013 ». Comme le dit justement le député juppéiste Philippe Gosselin, « toute une génération s’est levée au moment de la Manif pour tous et n’a pas eu envie de se rasseoir. Elle est donc restée très politisée ». Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita et auteur de Le temps de l’homme (Plon) de confirmer : « Depuis les manifestations contre la loi Taubira, beaucoup de chrétiens ne veulent plus laisser passer le train de l’histoire. Porteurs d’un altruisme et soucieux des générations futures, ils ont décidé de s’engager. Or ce sont les citoyens conscientisés qui changent le monde. »

Patrick Buisson, le mauvais génie de Nicolas Sarkozy, avait rêvé d’une révolution culturelle. Est-elle en train de se matérialiser sous nos yeux ? Il est encore trop tôt pour le dire. En tout cas, opposé au Dieu-Argent, à la globalisation, à l’individualisme libertaire vanté par la gauche, cette génération décomplexée se donne les moyens pour jouer son rôle de minorité agissante. Alors que les organes de formation des partis traditionnels battent de l’aile, tout ce beau monde va réviser son Gramsci à l’Institut de formation politique (IFP), Ichtus ou au Thomas more Institute, qui depuis 2013 ont vu leur fréquentation doubler, voire tripler. « Face à la désolation ambiante, le chrétien a quelque chose de précieux, il est porteur d’espérance », fait remarquer un formateur catholique, autant inquiet du discrédit du politique que de la résurgence de la pensée maurassienne dans certaines franges de la cathosphère. Vu son succès, le droitier Institut de formation politique, qui forme notamment tous les « bébés » PCD et où interviennent les chantres de la droite transgressive comme le maire de Béziers Robert Ménard ou le sulfureux éditorialiste Éric Zemmour, a même dû changer de locaux.

Tous ces réseaux ont largement pesé dans la percée de François Fillon. Publiée avant le premier tour, une étude de l’IFOP/Atlantico montrait déjà que les très proches de la Manif pour tous apportaient majoritairement leur voix à François Fillon. Mais le favori de la primaire ne leur doit pas tout. « Au-delà du vote catho, François Fillon a fait un bon score car il renvoie à l’imaginaire de toutes les droites », note Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique de l’Ifop. « Attention à l’instrumentalisation, met en garde Yann Raison du Cleuziou. Ces milieux ont intérêt à faire croire que la droite ne peut plus se passer d’eux. »

Pourquoi la stratégie de François Fillon a payé auprès des catholiques

Il n’empêche, jamais une campagne électorale n’aura autant tourné autour des thèmes sociétaux. C’est le constat de Franck Margain, vice-président du PCD : « Alors qu’il était interdit de parler de la famille et des questions bioéthiques, nous avons amené à les politiques à se prononcer sur ces marqueurs. François Fillon n’est pas aussi ultra que nous, mais il a repris notre slogan : "Votez pour vos convictions". »

Ref. Que pèsent vraiment les réseaux de la Manif pour tous ?

JPSC

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