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Joseph a-t-il douté de Marie? (une lecture de Mt. 1. 18-24 pour le 4e dimanche de l'Avent)

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Annonciation Joseph

En ce 4e dimanche de l’Avent, la liturgie nous donne d’entendre le récit de ce que l’on pourrait appeler l’Annonciation à Joseph : la péricope de l’Evangile selon Saint Matthieu au Chapitre 1er, versets 18 à 24. 

Dans ce passage, l’évangéliste nous raconte les « origines » de Jésus-Christ. 

Marie, la mère de Jésus, qui avait été accordée en mariage à Joseph, « fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint », « avant qu’ils aient habité ensemble » précise Saint Matthieu – pour exprimer combien Joseph est étranger à cette naissance ; pour nous signifier qu’il n’est pas lui-même le géniteur de cet enfant. 

Joseph, « qui était un homme juste » poursuit le texte, prit donc la décision de répudier Marie. 

Quoi de plus « normal » jusque là ? Voici une fiancée promise à son époux – au point que dans le judaïsme de l’époque, on les considérait déjà comme mariés – qui tombe enceinte avant d’avoir commencé une vie commune avec son époux… La conclusion s’impose comme une douloureuse évidence : Marie a trompé son époux ; elle a commis un péché d’adultère – du moins Joseph le croit-il – et il paraît juste à l'humble charpentier de Nazareth de s’en séparer légalement par un acte de répudiation... jusqu'à ce que l'Ange du Seigneur intervienne pour lui faire comprendre sa méprise et lui révéler l'origine divine de l'enfant de Marie. 

Cette lecture un peu rapide de l’Evangile de Saint Matthieu est encore celle pratiquée communément dans l’Eglise, ainsi qu’en témoigne l’enregistrement audio de ce jour du prédicateur de Radio Vatican, ou l’homélie entendue ce matin dans ma paroisse, dans laquelle le prêtre a longuement médité sur… la « peur du ridicule » (et d’être tourné en dérision) qui aurait inspiré à Saint Joseph la décision de se séparer de Marie ! 

Ridicule, Joseph l’est certainement dans l’esprit de beaucoup de gens. Il n’a d’ailleurs pas manqué d’être moqué au long des siècles, dans la littérature ou la chanson ; d’être un sujet de quolibet dans les casernes ou sur les chantiers. Pauvre Joseph, se dit-on parfois, ce benêt si naïf… 

Est-on sûr cependant de connaître vraiment l’histoire de Joseph ? Joseph a-t-il réellement douté de Marie ? 

On peut sans doute le penser et le croire. Mais une chose est sûre : cela ne ressort nullement du texte biblique lui-même. Jamais l'Evangéliste Saint Matthieu n’a voulu laisser entendre que Joseph ait pu douter de la fidélité de Marie, de sa virginité. Et il existe deux indices textuels en ce sens. 

Le premier est tiré du verset 19 : « Joseph, qui était un homme juste, nous dit Saint Matthieu, ne voulait pas la dénoncer publiquement : il résolut de la répudier en secret »

La clef de compréhension de ce passage réside dans ces mots : « Joseph, qui était un homme juste… »

Qu’est-ce qu’un homme juste en effet, dans la Bible ? 

Un homme juste, c’est un homme qui connaît Dieu, qui l’aime de tout son coeur, et qui s’applique à faire sa volonté ; c’est un homme « ajusté » à Dieu, à sa sainte Volonté, c’est-à-dire : qui règle son agir en référence à la Parole de Dieu, à ses commandements et à ses lois. 

Or, que commande la loi juive lorsqu’une jeune fille vierge fiancée à un homme couche avec un autre homme ? « Vous les conduirez tous deux à la porte de [la] ville et vous les lapiderez jusqu’à ce que mort s’ensuive… » (cf. Deut. 22. 23-24). 

Si Joseph était véritablement un « homme juste » au sens biblique, il aurait dû, en raison de l’adultère de son épouse, ordonner la lapidation de Marie. Ce qu’il n'a pas fait… 

On me répliquera que c'est sans doute parce qu’il aimait profondément Marie, en dépit de son infidélité. Et que c’est par délicatesse que Joseph a décidé de la répudier en secret : pour lui éviter un horrible supplice ; pour préserver sa vie – la vie de la femme qu’il aimait. 

Oui, mais quand on dit cela, on fait violence au texte. Car si tel avait été le propos de Matthieu, il aurait écrit : « Joseph, qui aimait tendrement Marie, ne voulait pas la dénoncer publiquement : il résolut de la répudier en secret ». Or, Saint Matthieu ne dit pas cela : il écrit « Joseph, QUI ETAIT UN HOMME JUSTE, ne voulait pas la dénoncer publiquement : il résolut de la répudier en secret ». La répudiation secrète se présente ici comme un acte de justice : ce qui nous révèle bien que Joseph avait l’intime conviction de la fidélité et de la virginité de son épouse – car s’il est juste, selon la loi juive, de lapider une femme adultère, il ne l’est absolument pas de lapider une femme innocente… 

Alors… pourquoi cette décision de rompre le lien avec Marie ? Pourquoi cette répudiation de la Vierge – si elle n’est pas coupable ? 

C’est là qu’il nous faut nous mettre un instant à la place de Joseph… 

Marie apprend à Joseph ce qu’il s’est passé. Elle lui raconte la visite de l’Ange Gabriel, et sa conception virginale annoncée (nous allons voir que ce n’est pas l’Ange qui apprend cela à Joseph). Joseph est un homme juste. Il connaît Dieu. Il sait quel est son mode d’agir. Il connaît sa puissance. Et comme tout bon juif, il attend le Messie – il sait que sa venue est certaine et qu’elle peut survenir d’un moment à l’autre. Ce que lui annonce Marie le bouleverse certainement – et profondément. Mais c’est une nouvelle qu’il accueille dans la foi. Car il sait bien que « rien n'est impossible à Dieu ». Il croit volontiers ce que lui dit son épouse. Il ne peut même pas imaginer qu’elle lui mente. Cela peut nous paraître incroyable à nous, contemporains d’un siècle livré aux démons de la luxure. Mais Joseph et Marie ne sont pas des païens débauchés vivant dans une société glorifiant la sexualité débridée et télévisée. Ce sont des Juifs pieux, vivant dans une culture marquée par un amour fervent de Dieu et de sa Loi. Ce sont des Saints – les deux plus grands Saints que l’humanité ait jamais connu. Pour comprendre un tant soit peu la réaction de Joseph, il faut le comparer, non pas aux jeunes occidentaux de notre époque, de la génération « préservatif », mais aux chrétiens qui vivent aujourd’hui leur foi avec ferveur – par exemple dans les communautés charismatiques. Dans ces communautés, il se passe des choses vraiment prodigieuses et extraordinaires : Dieu parle directement au cœur des gens, Il agit, Il convertit, Il fait des miracles… Dans certaines veillées de prière, il y a souvent beaucoup de guérisons. Sans doute ne sont-elles pas toutes authentiques. Mais certaines (et elles sont nombreuses) sont absolument réelles et authentifiables. 

Quoiqu’il en soit (et c’est là que je veux en venir), quand une grâce surnaturelle survient, elle est accueillie par la communauté dans la foi. C’est-à-dire que la personne qui témoigne est écoutée avec bienveillance – elle bénéficie d’un a priori favorable… même s’il faut ensuite vérifier, discerner, et obtenir confirmation. On ne croit pas aveuglément, sur parole. Mais chaque parole, chaque témoignage de l’intervention directe de Dieu, est accueillie favorablement. Parce que l’on sait que Dieu agit, qu’Il est vivant, et qu’il ne manifeste puissamment. On ne doute pas d'abord et systématiquement de ce qui est rapporté – même si c’est extraordinaire – ; on accueille la nouvelle dans la foi et l'action de grâce, et on demande ensuite une confirmation ; on discerne. 

Joseph accueille « charismatiquement » l’annonce que Marie lui fait, avec un cœur ouvert, disposé à croire ce que son épouse lui dit. Il ne doute pas. Il consent à croire que l’enfant qu’elle porte vient du Saint Esprit. 

Dès lors, que se passe-t-il dans sa tête ? 

Eh bien, ce qui se passerait dans la nôtre en pareil cas. Nous nous dirions : « Réfléchissons un peu... Mon épouse a conçu du Saint Esprit. L’enfant qu’elle porte est le Fils de Dieu – il est Dieu, en personne. Si j’épouse Marie, et que je la prends chez moi, que va-t-il se passer ? Eh bien : les gens croiront que c’est moi, Joseph, qui suis le père de cet enfant ! Ils vont penser que cet enfant est mon fils – et non pas le Fils de Dieu ! Aussi, en restant avec Marie, je risque de faire échec à la Volonté de Dieu qui est de manifester à Israël et au monde Sa gloire par la conception virginale et miraculeuse de mon épouse. Je dois donc m’effacer… » 

Et c’est en cela que Joseph se révèle Juste. Il est Juste, parce qu’il veut de toute son âme que la Volonté de Dieu s’accomplisse. Or, la Volonté de Dieu, c’est que Marie donne naissance au Fils de Dieu – et que celui-ci soit reconnu comme tel par tous les hommes. Parce que sa présence auprès de Marie risque de semer le doute sur la paternité authentique de l’enfant, Joseph choisit de se retirer discrètement, humblement, et de répudier Marie en secret. Il ne veut s’approprier, en aucune manière, cette postérité qui vient de Dieu. 

« Comment Joseph est-il déclaré juste, si l’on suppose qu’il cache la faute de son épouse ?Loin de là : c’est un témoignage en faveur de Marie. Joseph, connaissant sa chasteté, et bouleversé par ce qui arrive, cache, par son silence, l’évènement dont il [perçoit le grand] mystère. » (St Jérôme, sur Mt 1. 1, PL 26, 24) 

« Pourquoi Joseph voulut-il renvoyer Marie ? Prends cette interprétation, qui n’est pas la mienne mais celle des Pères : Joseph voulut la renvoyer pour la même raison qui faisait dire à Pierre : ‘Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur’ ; et au Centurion : ‘Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit’. Pierre trembla devant la puissance divine et le Centurion trembla en présence de la Majesté. Joseph fut saisi de crainte – comme il était humainement normal – devant la profondeur du mystère ; c’est pourquoi il voulait renvoyer Marie secrètement. » (St Bernard, Hom 2 sur le Missus est, PL 183, 68). 

On perçoit quelque chose de la grandeur d’âme de Joseph, à cent lieux des intentions qu’on lui prête habituellement et des sarcasmes dont il est l’objet dans le monde… 

C’est à ce moment que l’Ange lui apparaît en songe. 

Que dit l’Ange à Saint Joseph ? « Joseph, Fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse. L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint ; elle mettra au monde un fils auquel tu donneras le nom de Jésus (c’est-à-dire : le Seigneur sauve) car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». 

Contrairement à ce que la traduction française semble suggérer, l’Ange n’apprend pas à Joseph que l’enfant conçu dans le sein de Marie vient du Saint Esprit – et j’en viens au second indice textuel contredisant l’hypothèse du doute de Joseph sur la virginité de son épouse. Ce que l’Ange vient apprendre à Joseph, c’est que Dieu a besoin de lui pour accomplir pleinement son dessein. 

Non seulement Dieu ne demande pas à Joseph de s’effacer, mais il lui demande tout au contraire de rester : de prendre Marie pour son épouse (et d’introduire l’enfant dans sa « maison ») ; puis de donner son nom à l’enfant – ce qui revient, selon la coutume sémitique, à assumer la paternité légale de l’enfant ! C’est la raison pour laquelle l’Ange interpelle Joseph par l’expression « Fils de David » : pour lui rappeler que le Messie doit s’inscrire, selon le Plan de Dieu annoncé par les prophètes, dans la descendance de David. Et que c’est par son propre lignage [à lui, Joseph] que Jésus deviendra Fils de David, et accomplira en sa personne les promesses de Dieu. 

« C’est Joseph qui est chargé de donner le nom à l’enfant. Et dans la Bible, donner le nom, c’est vraiment lui donner existence. ‘En nommant l’enfant, rôle réservé au père, il l’adoptera. Dans ce monde ancien, toute paternité est un acte d’adoption et toute adoption confère les pleins droits de fils à celui qui le reçoit’(Claude Tassin). Ainsi, Jésus, par l’obéissance de Joseph, peut devenir l’authentique descendant de David : il est pleinement affilié à la lignée davidique. » (P. Denis Sonet). 

Si Jésus n’est pas Fils de David, il ne pourra être reconnu comme le Messie. Or, c’est parJoseph – et non par Marie – que Jésus va pouvoir être reconnu comme le Messie annoncé. Cela est très bien exprimé dans la généalogie de Jésus qui ouvre l'Evangile de Saint Matthieu (juste avant notre passage), où l’on voit bien que Jésus est Fils de David par Joseph, et non par Marie. Cela est très bien exprimé aussi par les versets 21 et 22 de notre texte, en leur version grecque – qui est la version inspirée (et c’est là le fameux 2e indice textuel dont je vous parlais) : la phrase grecque qui compose ces deux versets est bâtie sur une opposition que ne rend malheureusement pas la traduction française : le premier membre de phrase commence par « gar » qui signifie « en effet, certes » ; tandis que le second membre de phrase commence par « dé » qui signifie « mais toutefois ». Il faut donc lire littéralement le texte de Mt 1. 21-22 comme suit : « Certes, l’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit Saint [sous entendu : ce que tu sais déjà, puisque ton épouse te l’a appris] ; mais toutefois, elle mettra au monde un fils auquel TU [toi, Joseph, et nul autre] donneras le nom de Jésus [ce que je viens t’apprendre et t’annoncer]. » 

C’est donc bien sa vocation que Joseph reçoit de la parole de l’Ange – qui vient la lui révéler. Vocation qui dépasse largement, on le voit, celle de simple « père nourricier » de l’Enfant-Jésus et d’époux de Marie. 

« On s’est plu à souligner – et on avait raison – combien le Plan de Salut de Dieu était suspendu au OUI de Marie. Dieu ne fait jamais rien pour l’homme sans l’homme. Le fiat de Marie a toujours inspiré à l’humanité une reconnaissance infinie envers celle qui a accepté d’être la mère du Sauveur. Mais on a tendance à oublier que Joseph lui aussi a été partie prenante de la grande aventure de la Rédemption. Sans être comme le OUI de Marie une condition 'sine qua non', le OUI de Joseph au Plan de Dieu était capital : Joseph était chargé d’insérer Jésus dans l’authentique filiation de David » (op. cit.

Rendons donc à Saint Joseph l’honneur qui lui est dû, et adressons-lui avec confiance, en ces quelques jours qui nous séparent de Noël, cette magnifique prière : 

Je vous salue, Joseph, vous que la grâce divine a comblé,

le Sauveur a reposé dans vos bras et grandi sous vos yeux.

Vous êtes béni entre tous les hommes,

et Jésus,

 l'Enfant divin de votre virginale épouse est béni.

 Saint Joseph, donné pour père au Fils de Dieu,

 priez pour nous dans nos soucis de famille, de santé et de travail,

 jusqu'à nos derniers jours,

 et daignez nous secourir à l'heure de notre mort. 

Amen.

http://www.totus-tuus.fr/article-joseph-a-t-il-doute-de-marie-une-lecture-de-mt-1-18-24-63336142.html

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