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Entrer dans La Compagnie des ombres et dialoguer avec les morts

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22510100462370L.jpgSur le site de l'Homme Nouveau, Philippe Maxence s'entretient avec Michel De Jaeghere au sujet de son livre "La Compagnie des Ombres" *:

Reprendre le colloque avec les morts

Pour Michel De Jaeghere, à travers la lecture des grands textes, le dialogue avec ceux qui nous ont précédés est rendu possible pour nous permettre de déboucher sur la vie bonne. Propos recueillis par Philippe Maxence

L’Histoire a-t-elle vraiment une utilité ?

Michel De Jaeghere : La grande vertu de l’Histoire a toujours été de nous permettre de dialoguer avec les morts, en nous mettant à l’écoute de ce qu’ils ont à nous dire pour nous faire profiter de l’expérience tirée de la pratique de notre condition. Notre époque a développé comme jamais la communication avec les vivants. Cela l’a conduit à un certain éloignement à l’égard de l’Histoire : au sentiment qu’il s’agissait d’un divertissement sans portée, sans application. Les avancées technologiques étourdissantes dont nous sommes les témoins (nous savons aussi bien aller dans l’espace que cloner le vivant) se conjuguent, dans nos sociétés occidentales, avec l’avènement d’un confort matériel tel que l’on n’en a jamais connu auparavant, l’accumulation des biens de consommation toujours plus sophistiqués, toujours plus performants pour nourrir un sentiment d’autosatisfaction qui fait douter de l’utilité de l’Histoire. Nos contemporains ne croient plus guère en effet que les hommes ou les sociétés du passé puissent être pour eux des exemples, puisqu’ils considèrent leur propre époque comme le théâtre d’un progrès non seulement insurpassable, mais infini.

L’Histoire serait une victime de la modernité triomphante. Mais la science historique n’a-t-elle pas aussi une part de responsabilité ?

Depuis la fin du XIXe siècle, l’Histoire est effectivement devenue scientifique en se détachant des seules sources littéraires qui constituaient l’essentiel du matériau avec lequel travaillaient jusqu’alors les historiens, pour désormais les croiser avec toutes sortes d’autres sources, les éprouver au feu de la technique moderne. Ils font ainsi intervenir nombre de sciences auxiliaires : l’archéologie, l’épigraphie, la numismatique, la biologie, la linguistique, l’anthropologie, la biologie, la médecine, les neurosciences, l’étude du climat, bien d’autres…

Cette évolution a permis des progrès décisifs dans la reconstitution de plus en plus fine des évènements et dans leur contextualisation, mais elle s’est traduite aussi par une spécialisation à outrance. En devenant une science, l’Histoire a exigé des historiens qu’ils soient des spécialistes qui étudient le passé au microscope. Ils ont donc délaissé l’art de la synthèse, hésitant à s’aventurer en dehors des domaines dont ils sont devenus, au terme de longues années de travail, les experts. Parallèlement, s’est manifesté un certain scepticisme à l’égard de l’idée que l’on puisse trouver dans l’Histoire matière à enseignement pour les hommes de notre temps. En cernant le passé de manière plus précise, plus fine, on a acquis en effet une conscience aiguë de tout ce qui nous en sépare, on est devenu méfiant à l’égard de toute généralisation, et, plus encore, de toute analogie, de toute comparaison. À terme, c’est l’idée même de nature humaine qui a été mise en cause par l’idée qu’il y avait de telles différences entre les mentalités, les modes de vie, les références des hommes du passé et les nôtres qu’il était vain de penser pouvoir tirer des leçons de leur expérience. Or, telle était, depuis l’Antiquité, la raison d’être de l’Histoire : d’être pour les vivants une maîtresse de vie, magistra vitæ, disait Cicéron.

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* Michel De Jaeghere, La Compagnie des ombres, Les Belles Lettres, 400 p., 14,90 €.

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