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Deux visions et un débat au sujet des catholiques et de la "tentation identitaire"

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De Jean-Pierre Denis sur le site de La Vie :

Catholiques et tentation identitaire : deux visions, un débat

Deux essais à paraître le 12 janvier – Église et immigration, le grand malaise de Laurent Dandrieu et Identitaire. Le mauvais génie du christianisme d'Erwan Le Morhedec – proposent des regards radicalement différents sur la question de la foi brandie comme un étendard. Analyse.

Laurent Dandrieu et Erwan Le Morhedec sont chrétiens. Ils sont de droite. Ils publieront, le 12 janvier, deux livres qui feront un certain bruit dans le Landerneau, du moins le Landerneau catholique. Une même question les taraude, qui travaille à la fois des fidèles et des électeurs, des communautés et des partis, et la campagne électorale tout entière. Une double question, en fait. Qu'est-ce qu'être Français dans une Europe sécularisée où l'islam s'enracine ? Et qu'est-ce qu'être catholique ?

On pourrait croire qu'ils se sont donné le mot. En fait, tout les sépare. À ma droite donc, ou plutôt à la droite de ma droite, celle qui charrie dans ses bagages l'héritage maurrassien, Laurent Dandrieu. Contre un dialogue interreligieux jugé au mieux naïf, contre les discours faisant de l'islam une « religion de paix », en un mot contre le catholicisme tel qu'il va depuis Vatican II, le rédacteur en chef de Valeurs actuelles publie un livre sérieux et fouillé, mais dont le titre, explicite, et le sous-titre, explosif, traduisent bien la philosophie : Église et immigration, le grand malaise. Le pape et le suicide de la civilisation européenne (Presses de la Renaissance). Il reproche à l'Église de participer à son propre effacement en reniant, à coups de bons sentiments et d'approximations théologiques, plus de 1000 ans de résistance à l'islam. La faute à tous les papes depuis Paul VI ! Dandrieu explicite ce que pensent nombre d'adversaires de François, un pape auquel il réserve des flèches acérées, insistant sur ses gestes les plus controversés et sur quelques phrases que l'on peut sans doute juger malheureuses. Son point de vue est proche de celui qu'exprimait l'an dernier, dans une interview à La Vie, Marion Maréchal-Le Pen.

À ma droite toujours, mais cette fois une droite modérée, de filiation démocrate-chrétienne, Erwan Le Morhedec publie Identitaire. Le mauvais génie du christianisme (Cerf). Dans cet essai vigoureux, passionné et bien informé, l'avocat et blogueur en vue s'attaque à des réseaux et des courants d'extrême droite toujours marqués par l'héritage antirépublicain, et qui tentent de récupérer le malaise symbolique ambiant. On croisera au fil des pages toute une galerie de personnages assez peu recommandables. Mais il ne s'agit pas de nous faire visiter un cabinet de curiosités. L'auteur s'exprime au nom de la foi au Christ. Il veut avertir ces croyants que la « tentation » ronge. Les prémunir de cette contagion qui est aussi une terrible illusion, une sorte de nécrose du christianisme, le coup de grâce porté par ceux qui prétendent tout sauvegarder.

De fait, depuis quelques années, aux frontières de la « cathosphère », l'identité se transforme en idéologie, en refus, en refuge. Le christianisme devient le charbon dont on charge la machine. Le feu ne demande qu'à être attisé, surtout quand les catholiques éprouvent le sentiment de ne pas être compris par les principaux journaux ou par le pouvoir en place. Des chrétiens pensent qu'il faut rivaliser, de manière mimétique, avec le zèle communautaire, l'affirmation de soi, l'agressivité ambiante. La « panique identitaire » suscite « une exploitation morbide de notre angoisse », constate Le Morhedec, qui dénonce une « mystification spirituelle ». Une myriade de sites ou de blogs traquent le « grand remplacement » des populations « de souche » par les immigrés. À coups de « soupe au cochon », de banderoles sur la mosquée de Poitiers, voire de « bar identitaire » ouvert à Lille, cette stratégie de la tension rappelle les ressorts de mobilisation utilisés par Act Up ou par les mouvements gauchistes d'autrefois. Elle s'assure d'un fort impact médiatique, pour des effectifs militants très limités.

Comment les « identitaires » veulent peser en politique

Faut-il le préciser ? Parce que nous partageons son inquiétude, nous avons choisi de publier, en avant-première, des extraits du livre d'Erwan Le Morhedec. Certes, il n'y a rien de plus légitime que l'identité religieuse et nationale, surtout en une époque de « société liquide », où tout semble flotter. Malgré le refoulement contemporain, on ne peut complètement évacuer le rôle que le christianisme joua dans l'histoire des nations européennes et dans celle de notre pays. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le précieux ouvrage de François Huguenin, les Grandes Figures catholiques de la France (Perrin), ou celui de Camille Pascal Ainsi, Dieu choisit la France (Presses de la Renaissance), tous deux parus à l'automne. Mais cela n'empêche pas de déjouer un piège gros comme la couverture de Noël de Valeurs actuelles, cette une qui exalte la « France chrétienne et fière de l'être ! », et qui fait du triptyque traditions, culture, identité le fer de lance d'une reconquête. Non, l'Évangile ne dit pas ça ! Et non, cette voie ne mène nulle part, sinon vers la catastrophe. Emblématique à cet égard est le destin d'un écrivain aussi cultivé que sulfureux, Dominique Venner. En 2013, l'historien se suicidait devant Notre-Dame de Paris en déplorant que n'existe pas de « religion identitaire à laquelle nous amarrer ». « Je n'attends rien au-delà, sinon la perpétuation de ma race et de mon esprit », confessait-il dans un écrit testamentaire, soulignant les contradictions d'un courant qui ne peut qu'échouer en voulant faire du national-catholicisme le soleil noir de son désespoir.

Identitaire. Le mauvais génie du christianisme : extraits du livre-manifeste d'Erwan Le Morhedec

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