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Débat Dandrieu-Barbarin : le dilemme des chrétiens face à l’immigration

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Le pape et les évêques invitent les chrétiens à accueillir les migrants. Chemin de sainteté personnelle ? Ou vraie source d’inspiration d’une politique d’immigration ? Un prélat et un essayiste laïc confrontent leurs positions. Ils sont interrogés par  Charles-Henri d’Andigné et Samuel Pruvot sur le site de « Famille chrétienne »:

Les raisons d’un débat

L’Église, le pape et l’immigration. Trio explosif ! Face aux migrants et réfugiés qui parviennent en nombre sur le continent européen, des catholiques français s’interrogent. Fidèle à ses prédécesseurs, le pape François nous appelle dans son style direct et audacieux à être à la hauteur de cette mutation. En vertu de notre sens de Dieu, de l’homme et de l’Histoire.

Pour certains catholiques, cette invitation est dure à comprendre. C’est tout l’intérêt de l’essai de Laurent Dandrieu (Église et immigration. Le Grand malaise, Presses de la Renaissance) que de leur faire écho. Selon lui, l’Église en général et les derniers papes en particulier n’ont pas réellement pris la mesure du phénomène de l’immigration en Europe. Il estime que l’accueil dû à un migrant, (« J’étais un étranger et vous m’avez accueilli ») n’est plus possible avec des millions d’individus. Le problème a changé de nature en changeant d’échelle. Il s’interroge aussi sur l’identité culturelle des migrants et sur une approche de l’islam qu’il juge trop irénique chez beaucoup de prélats.

Pour lui répondre point par point, sans naïveté ni langue de buis, il fallait un homme d’Église ouvert aux interrogations légitimes des laïcs. Mais aussi un proche du pape François conscient de la sagesse séculaire et métapolitique de l’Église, si précieuse dans les affres du temps présent.

Laurent Dandrieu, journaliste, responsable des pages culture de Valeurs actuelles, est auteur de plusieurs essais.

Le cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, auteur de Théologie et sainteté. Introduction à Hans-Urs von Balthasar (Parole et Silence, 2017).

Quand on parle d’immigration, faut-il opposer identité et catholicité ?

Cardinal Philippe Barbarin Il ne faut pas jouer l’enracinement contre la catholicité. Il me semble au contraire que plus on est enraciné dans sa culture, et plus on a une chance d’être ouvert au monde entier ! Je suis 100 % français avec une maman née au Maroc et originaire du Lot et un papa parisien natif du Berry. Je peux vous réciter des passages de Ronsard, La Fontaine, Bossuet ou Paul Valéry par cœur. Plus les racines sont profondes, plus l’identité peut s’élargir avec le temps, comme par cercles concentriques.

 

Quand mon père m’a envoyé en Allemagne pour la première fois, je n’avais pas 12 ans. C’était important pour lui, sans doute, que j’apprenne la langue de ceux qui l’avaient gravement blessé pendant la guerre. Vers 18-20 ans, j’ai vécu deux ans en Espagne, puis, dans les années 1990, mon évêque m’a envoyé à Madagascar pour la formation des futurs prêtres de cette jeune Église Pour un chrétien, sa vraie famille, au bout du compte, c’est celle du Père, Celui dont « toute paternité tire son nom », la grande famille humaine.

Laurent Dandrieu Que l’identité nationale doive être ouverte, c’est évident. Des apports étrangers, nous en avons tous dans notre entourage. La vraie question est de savoir si ces apports n’atteignent pas une masse critique qui rompe les équilibres qui définissent notre identité ; si ce flot qui amène en Europe des millions d’immigrés qui arrivent avec une culture radicalement étrangère à la nôtre ne nous menace pas dans notre être même.

On voit bien qu’en France, avec le communautarisme musulman, les zones de non droit, les banlieues où retentissent régulièrement les cris d’« Allah Akbar » et où sont brandis en toute occasion les drapeaux algériens ou marocains, l’identité nationale est sous pression, voire carrément expulsée de certaines zones. Les Français sont choqués d’entendre l’Église répéter comme un mantra qu’on pourra résoudre la crise des migrants par l’intégration, alors qu’ils voient bien que, même pour les générations précédentes, cette intégration est en panne, voire est devenue une « désintégration »

  1. B. Le Catéchisme de l’Église catholiquedonne un enseignement équilibré. Il reconnaît aux États la capacité et la mission de réguler les migrations, et il recommande un effort réel vis-à-vis des migrants. « Les nations mieux pourvues sont tenues d’accueillir autant que faire se peut l’étranger en quête de la sécurité et des ressources vitales. » L’accueil des migrants n’est donc pas uniquement un droit pour eux, mais clairement un devoir pour nous.
  2. D. Mais quand 15 % des Français vivent sous le seuil de pauvreté, lorsqu’il y a des millions de chômeurs, comment continuer à affirmer que nous sommes un pays riche qui a les moyens de l’accueil ? Cela scandalise les Français qui vivent des situations de souffrance et de grande précarité

Qu’est-ce que la Bible et la tradition nous disent à propos de l’accueil des migrants ?

  1. B. Que nécessité fait loi. « Si tu vois quelqu’un mourir de faim alors que tu connaissais sa situation, dis-toi que c’est toi qui l’as tué », dit saint Jean Chrysostome. Il a raison. Il y a quelques années, à la fin de l’hiver, un de mes prêtres a accueilli dans son église des gens qui dormaient dans la rue. Des paroissiens lui ont fait des reproches : « L’église n’est pas un endroit pour dormir ! »Et il a simplement demandé : « Et la rue, quand il gèle ? » Toute la tradition biblique, évangélique, occidentale nous demande avec constance de ne pas fermer notre cœur à l’étranger ; elle invite à un regard, je dirais presque surnaturel, sur ces questions. Pensez à Ruth, la Moabite, dont les Français connaissent bien l’histoire peut-être d’abord grâce à Victor Hugo ! C’est une étrangère, pauvre, et Booz est attentif à sa misère. Elle deviendra l’ancêtre de David ! Certes, les flux migratoires actuels sont d’une tout autre ampleur. À l’automne dernier, le pape a dit son admiration pour l’accueil des migrants en Suède, mais il a rapporté les propos d’un membre du gouvernement qui reconnaissait que, malgré de réels efforts, son pays était dépassé par cette immigration. François a donc appelé au devoir de prudence.
  2. D. Mais ces appels à la prudence sont noyés dans le torrent d’un discours sur l’accueil inconditionnel Le droit des États à réguler l’immigration est certes présent dans la doctrine de l’Église, mais on n’en parle que très rarement. À l’image d’un beau livre relié, rangé sur une étagère, mais mort parce que personne ne se donne plus la peine de l’ouvrir.

Est-ce un mal aux yeux de l’Église quand un État décide de fermer ses frontières ?

  1. B. Un État a-t-il le droit d’interdire l’entrée dans son territoire ? Bien entendu ! Quand nous allons en Algérie ou en Chine, nous avons besoin d’un visa, et il n’est pas donné à tout le monde ! Cela dit, ce n’est pas à l’Église d’établir des quotas. C’est au gouvernement de prendre ces mesures, car c’est lui qui est responsable de la paix civile. Bien des fois, face à la question de l’immigration ou de la violence, j’ai entendu des préfets dire qu’aujourd’hui, nous sommes loin de maîtriser la situation
  2. D. Mais les conditions auxquelles les États peuvent réguler les migrations ne sont pas définies dans le discours de l’Église ; le droit de protéger son identité nationale n’y est en tout cas jamais mentionné. En face de cela, il y a une absolutisation de ce « droit humain fondamental »de chacun « de s’établir là où il l’estime le plus opportun »(Benoît XVI). Et une vision prophétique de l’immigration : Jean-Paul II y voit un signe du plan de rédemption de Dieu, Benoît XVI « une préfiguration anticipée de la cité sans frontière de Dieu ». Face à cette vision eschatologique, on voit bien que les droits des nations sont condamnés à ne rien peser

La perspective du royaume de Dieu est-elle vraiment compatible avec les contraintes de la vie politique et des flux migratoires ?

  1. B. Ne croyez pas que l’eschatologie relativise le présent. Au dernier jour, c’est vrai, nous serons jugés par Dieu, et Jésus nous y prépare : méfiez-vous de vous-mêmes le cœur s’alourdit vite. Soyez prêts à vous tenir debout devant le Fils de l’homme. Mais cela ne L’empêche pas de nous appeler à vivre le présent intensément. Si j’explique à un jeune qu’il doit avancer à la face du Seigneur qui « reviendra pour juger les vivants et les morts », cela n’efface pas pour lui l’importance de travailler aujourd’hui et de réviser ses examens ! La perspective eschatologique ouvre un horizon majeur, mais elle ne démobilise en rien par rapport au présent.

Quant au caractère prophétique de la parole du pape, c’est un appel important, utile, nécessaire pour réveiller les consciences. Pendant l’hiver 1954, l’abbé Pierre a dénoncé la mort d’un homme sur le boulevard de Sébastopol. Aussitôt, tout le monde s’est mis en mouvement. En 1980, Jean-Paul II, après son premier passage en France, est allé au Brésil où il a lancé un cri resté célèbre : « Aujourd’hui, la parabole de Lazare et du riche a pris une dimension planétaire. » Et c’est vrai : pourvu que notre argent, notre aisance ne nous rendent pas aveugles !

  1. D. Mais la tentation de séculariser l’eschatologie, de faire du royaume des Cieux un but terrestre, est dangereuse ! Quand l’Écriture nous dit qu’il n’y a plus ni juif ni grec, ni homme ni femme, cela ne veut pas dire qu’elle nie la différence de sexes ! De même, la cité sans frontières de Dieu n’a pas vocation à se réaliser ici-bas, car les frontières sont une nécessité vitale pour les communautés politiques, dont l’Église a toujours reconnu la nécessité
  2. B. Oui et non. Il y a sur terre un avant-goût du ciel. Dans nos paroisses, la ferveur des Béninois ou des Camerounais réveille notre foi ! J’ai pu en faire l’expérience quand j’étais curé en banlieue parisienne. Les Africains étaient si fidèles à la messe et au sacrement du pardon, ils prenaient de telles initiatives (chapelets, statues, pèlerinages), que la foi de bien des Français s’est réveillée grâce à eux. Nous faisons partie, eux et nous, de la grande famille de l’Église qui a des racines magnifiques et qui se renouvelle sans cesse. Il n’y avait aucun cardinal africain à Vatican II, maintenant il y en a peut-être une douzaine, dont deux parmi les plus proches collaborateurs du pape.

L’ordre politique et l’ordre prophétique entrent forcément en conflit concernant l’immigration ?

  1. D. Il ne s’agit pas de dénier au pape le droit à une parole politique : mais cette parole est injuste quand elle ne prend en compte que l’intérêt à court terme des migrants. La stabilité des nations européennes est la condition sine qua non de l’aide que nous pouvons leur apporter. Et la charité doit tenir compte de la prudence, du bien commun, et ne doit pas sacrifier le plus proche au plus lointain. Or, les souffrances des Européens sont sorties du champ de vision de l’Église : l’obsession de l’accueil des migrants a tout dévoré.
  2. B. Il ne faut pas oublier que le pape est argentin. Le contexte est très différent car, en Argentine, l’intégration n’empêche pas le maintien de la culture d’origine. Ce n’est pas comme chez nous, où les nationalités d’origine se fondent dans l’identité française. Nous avons des Sarkozy et des Valls, récemment arrivés de Hongrie ou de Catalogne, qui apparaissent comme 100 % français. Leur nationalité d’origine semble effacée. En Argentine, tous sont argentins, certes, mais les familles restent d’origine italienne (Bergoglio), slovène (le Père Pedro), polonaise, allemande. Le pape parle de faciliter l’intégration des immigrés, mais l’expression n’a pas le même sens partout.

[...] »

Ref.  Débat Dandrieu-Barbarin : le dilemme des chrétiens face à l’immigration

Comment  concilier l’accueil des déshérités et l’équilibre de la société qui les accueille ? Pour y voir plus clair, il faut opérer une distinction fondamentale entre ce qui relève du comportement personnel et de la politique (le comportement collectif). On ne peut pas raisonner de la même manière du point de vue de l’individu et du point de vue de la collectivité - dont la politique doit assurer le bien commun. Imagine-t-on, par exemple, une nation agressée réagir comme un individu, en prenant à la lettre le commandement du Christ de tendre la joue droite quand la gauche est giflée (Mt 5, 39) ? La défense du bien commun, ici la sécurité, permet à cette nation de se défendre, fut-ce militairement, sous certaines conditions que l’Église a dégagées au fil des siècles : cause juste, intention droite, autorité légitime, dernier recours, chance raisonnable de succès...

Voir sur ce sujet:

L’immigré est-il mon prochain ?

une réflexion publiée  sur le site web de l’église du Saint-Sacrement à Liège.

JPSC

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