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"L'Affaire Mercier" sous la loupe de Famille Chrétienne

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De Pierre Jova sur le site de l'hebdomadaire Famille Chrétienne :

Belgique : le débat sur l’avortement refait surface

Pour avoir diffusé à ses étudiants une argumentaire pro-vie, un professeur de philosophie de l’Université catholique de Louvain a été licencié. Cette affaire a déclenché une polémique en Belgique, alors que s’est tenue la Marche pour la vie de Bruxelles.

« L’avortement est-il un crime ? » Telle fut la question débattue le 26 mars dernier sur la RTBF, la chaîne de service public francophone belge, pendant une demi-heure. Sur le plateau, deux « pro-choix » et… trois « pro-vie », dont le Père Tommy Scholtès, représentant les évêques belges, et Constance du Bus, porte-parole de la Marche pour la vie de Bruxelles. Un panel très inhabituel en Belgique !

Censure à l’Université catholique de Louvain ?

Quelques jours auparavant, Stéphane Mercier, 34 ans, professeur de philosophie à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL), était convoqué par le rectorat, avant d’être licencié. Motif ? Il avait diffusé à ses 500 élèves de première année un argumentaire critique de l’avortement. Intitulée La philosophie pour la vie, cette note de 15 pages avait pour but d’engager un débat avec les étudiants. « La vérité est que l’avortement est le meurtre d’une personne innocente », peut-on lire, dans une version mise en ligne par le quotidien belge Le Soir. Plus loin, Stéphane Mercier ose une comparaison entre l’avortement et le viol : « Si l’avortement est un meurtre, n’est-il pas encore plus grave que le viol ? Le viol est immoral et heureusement il est aussi illégal ».

Diffusés par quelques étudiants mécontents sur les réseaux sociaux, ces propos ont attiré l’attention des médias. Prises de panique, les autorités de l’UCL ont sanctionné le professeur, et chargé Tania Van Hemelryck, conseillère du recteur « pour la politique du genre » (sic) de rédiger un communiqué expliquant : « l’UCL défend ce droit fondamental qu’est l’avortement ». Une affirmation inexacte, car l’avortement n’est pas un droit en Belgique. Partiellement dépénalisé en 1990, il est soumis à la condition de « détresse » de la femme, et reste théoriquement un délit.

La décision de l’UCL a eu l’effet d’une bombe dans les milieux catholiques belges. Le grand chancelier de la faculté est l’archevêque de Malines-Bruxelles, et les évêques francophones participent à son administration. En punissant Stéphane Mercier au nom de sa position pro-vie, l’UCL se place pourtant en contradiction avec l’enseignement de l’Eglise, qui affirme que « l'avortement et l'infanticide sont des crimes abominables» (Gaudium et Spes, 51,3).

En outre, de nombreux universitaires se sont soulevés contre la sanction du professeur, alors que l’UCL garantit la liberté académique, « non soumise à la norme du moment », peut-on lire sur le site de la faculté. « Y a-t-il des sujets qui ne peuvent pas être discutés dans un cours de philosophie à l’Université ? Notre réponse est clairement : non », ont ainsi écrit les professeurs émérites Michel Ghins, enseignant catholique, et Jean Bricmont, « athée et pro-choix » revendiqué, dans Le Soir. L'intellectuelle féministe Sophie Heine a également signé une "carte blanche" (tribune, en Belgique, NDLR) dans le même quotidien, estimant que "remettre cette question en débat n’est pas forcément un mal", et dénonçant le fait que trop de femmes avortent sous la contrainte: "les femmes prenant une telle décision sont rarement libres", écrit-elle.

De leur côté, les évêques belges ont rappelé dans un communiqué leur opposition à l’avortement, tout en indiquant qu’ils faisaient confiance « à la procédure interne menée actuellement par l’UCL ». Une position incomprise par de très nombreux fidèles. « Leur position est délicate, mais ils ont manqué de courage ! », s’écrie un prêtre officiant dans la banlieue de  Bruxelles, qui a tenu à garder l’anonymat. « Le cours de Stéphane Mercier était très bien fait, même si la comparaison avec le viol était maladroite… Ce n’est pas faux, mais la vérité doit être dite avec délicatesse, sinon elle est inaudible », ajoute-t-il.

Succès médiatique de la Marche pour la vie

« L’affaire Mercier » coïncide avec la Marche pour la vie de Bruxelles, qui a rassemblé 3000 personnes, le 26 mars dernier. Le professeur sanctionné a été invité à s’exprimer devant les participants, et l’évènement a reçu une très forte couverture médiatique. « Cela fait huit ans que nous défilons, et jusqu’à présent, c’était silence radio ! », s’étonne encore Constance du Bus, porte-parole de la Marche pour la vie. La voix claire et posée, cette étudiante en droit à la Katholieke Universiteit Leuven, le pendant néerlandophone de l’UCL, a crevé l’écran lors de ses interventions dans les médias. Interrogée sur la comparaison entre l’avortement et le viol, elle crie son horreur égale : « Il ne faut pas oublier que dans le cas du viol comme dans le cas de l'avortement, il y a une victime. Bien souvent aujourd'hui, dans le cas de l'avortement, on oublie que l'enfant à naître est une victime, alors que dans le cas du viol, les conséquences sont flagrantes et très ressenties. Or, ce n'est pas parce que les conséquences d'un acte sont moins flagrantes et moins ressenties, que l'acte est moins grave en soi. En cas d'avortement, on n'entend pas ou plus la victime, ce qui fait malheureusement oublier la grave réalité de l'acte: sa mort ! » Au micro de la RTBF, elle révèle que des enfants ont été avortés en Belgique la veille de leur naissance, parce qu’ils étaient sourds ou qu’il leur manquait un doigt. « Les gens étaient complètement scandalisés ! Beaucoup ne réalisent pas que l’on peut avorter pour ces raisons, juste avant l’accouchement. C’est la Commission nationale d'évaluation des interruptions de grossesse qui le constate elle-même ! Cette conscientisation fera du bien », martèle la porte-parole.

Bâti depuis 1830 sur un consensus sans cesse redéfini, hier entre catholiques et francs-maçons, puis aujourd’hui entre néerlandophones et francophones, le Royaume de Belgique ne partage pas le goût outre-quiévrain pour les manifestations et la polémique publique. « Les Belges ne se disputent pas quand il le faudrait, et les Français se disputent quand il ne le faut pas ! », rit ce prêtre de la banlieue bruxelloise. Pour autant, l’écho rencontré par l’affaire Mercier dans les médias prouve que les sujets éthiques demeurent importants. « De nombreux députés nous ont contacté », confie Constance du Bus, dont un oncle est parlementaire du Centre démocrate humaniste (CDH), l’ancien Parti social-chrétien francophone. Mis au pied du mur avec "l'affaire Mercier", le mouvement a pris position contre les velléités du Parti socialiste belge (PS) de faire de l’avortement un droit, d’allonger à 20 semaines la limite pour avorter et de supprimer le délai de réflexion, actuellement fixé à six jours. D’autres partis, comme les chrétiens-démocrates flamands (CD&V) et la Nouvelle alliance flamande (N-VA) n’y sont également pas favorables.

Au-delà de la seule « affaire Mercier », cet épisode apporte pour une clarification, vis-à-vis de certaines institutions toujours liées à l’Église catholique belge, mais en réalité sécularisées, dont l'UCL est devenue le symbole. "Nous sommes un des rares pays à avoir une université sympathisante de la franc-maçonnerie, l'Université libre de Bruxelles (ULB) ! Ils s'assument, et c'est ce qui fait parfois l'intérêt de certaines de leurs contributions. Pourquoi l'UCL ne s'assume plus catholique, au sens normal du mot ?", s'interroge le prêtre interrogé. « Personnellement, j’estime que l’Université ne devrait plus porter le nom de catholique. Le pape François insiste bien sur la gravité de l’avortement, même s’il est pardonnable. Je crois qu’il serait plus honnête de supprimer cette étiquette », tranche le professeur émérite Michel Ghins. Par ailleurs, le succès de la dernière Marche pour la vie atteste de la détermination de certains jeunes catholiques belges. Plus minoritaires, mais décomplexés, à l’image de Constance de Bus. Avant d’être porte-parole de la Marche pour la vie, cette dernière fut membre du Parlement Jeunesse de la fédération Wallonie-Bruxelles, une simulation qui reproduit le fonctionnement du Parlement national. En tant que ministre fictive de l’Intégration sociale, elle a déposé un décret visant à défendre les sans–abris. « C’est ce qui m’a conduit à la Marche pour la vie : protéger les plus fragiles pour une société plus humaine. Se faire la voix de ceux qui ne peuvent pas encore parler », raconte avec simplicité Constance du Bus. A 21 ans, la jeune femme est déterminée : « L’affaire Mercier n'est pas terminée ! » La valeur n'attend point le nombre des années.

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