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France, quand les champs de ruine le disputent aux larges horizons

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D'Erwan Le Morhedec sur son blog "KozToujours" :

Rétrospectivement, c’était prévisible. C’est toujours plus prévisible rétrospectivement. L’inconnu ne fait peur que lorsque le connu garde de l’attrait, et l’on ne craint de lâcher la proie pour l’ombre que lorsque l’on croit encore tenir une proie et qu’un tiens vaut vraiment mieux que deux tu l’auras.

Les Français n’en sont pas convaincus. Et ils ne sont pas les seuls. Qu’il s’agisse de Trump ou du Brexit, le goût de la restauration nationale va de pair avec une forme d’etpourquoipisme : « Vous n’allez pas voter pour ça ? Et pourquoi pas ? ». Pour ces législatives, à la suite de cette présidentielle, il en va un peu de même. Pourquoi éviter l’inconnu ? Le connu a-t-il fait ses preuves ? Nous avons une chance toutefois, une chance à saisir : notre dégagisme se teinte légèrement d’un peu plus d’espoir que de colère, d’un peu plus de reconstruction que de restauration.

Depuis dimanche, les champs de ruine le disputent aux larges horizons. La droite comme la gauche n’ont pas connu de pire déroute depuis 1981. Là où l’on promet au mieux 132 députés aux Républicains (et 95 au pire), l’Assemblée comptait 150 UDF et RPR en 1981. La faillite du Parti socialiste est la plus évidente – auquel on promet de 15 à 25 députés – mais l’on se demande encore à quel point elle est en trompe-l’œil, quelle est l’ampleur du lifting. Si le verre est à moitié vide, ou s’il est à moitié plein, et de quoi est-il plein.

Emmanuel Macron aura les coudées les plus franches qu’il se puisse imaginer : à 400 députés (hypothèse basse), il pourrait bien avoir encore 111 frondeurs au sein du groupe, il en garderait encore la majorité absolue sans avoir besoin d’alliance.

Parmi ces ruines, il en est encore dont vous m’excuserez de me soucier spécialement : la présence des chrétiens en politique. Nous savons ce que nous perdons, nous ne savons ce que nous avons. Les politiques chrétiens à l’Assemblée sont touchés comme les autres, peut-être plus que les autres. Car lorsque les députés ne sont pas balayés, ils ne se sont simplement pas représentés, en raison de la loi sur le non-cumul des mandats – et les plus portés au cumul n’étaient pas les plus jeunes, et donc élus d’une époque où le christianisme tendait à marquer davantage le personnel politique. Ce que l’on connaissait comme l’Entente parlementaire pour la famille est laminé, et même un jeune député pourtant compétent et engagé comme Julien Aubert est en difficulté.

Au-delà encore, seul un candidat de Sens Commun sur les six présentés atteint le second tour, et dans des conditions qui n’augurent rien de bon pour lui1. Jean-Frédéric Poisson, dans une circonscription plus-catholique-de-droite-qu’elle-t’as-que-Versailles, est qualifié mais n’atteint pas vingt points. François-Xavier Bellamy, à Versailles précisément, aura « fort à faire », comme l’on dit pudiquement.

Je vous le dis à vous, ne le répétez pas : ils n’ont pas été les seuls à mal dormir, cette nuit de dimanche. Ce score de Jean-Frédéric Poisson, cette « baffe comme rarement on en prend dans la vie politique » comme il l’a qualifiée, cette déroute d’un député compétent et profond, capable de montrer la diversité d’un point de vue chrétien en politique en marquant les débats par un regard social, face à une candidate, Aurore Bergé, pur produit de Twitter et de son époque, qui ne s’est singularisée que par sa capacité de dire l’inverse de sa famille politique, et puis encore le contraire de l’inverse quand cela l’arrangeait, ainsi que par ses fidélités successives, comme l’on nomme aujourd’hui l’infidélité répétée, ce triomphe du superficiel sur l’essentiel a occupé mon esprit jusque tard dans la nuit.

Il faudra se remettre de ces six mois de gâchis. Et se remettre en question, aussi. Toutes ces Unes sur le supposé « retour des catholiques » ne nous ont-elles pas occulté le monde ? Ce moment Manif aurait-il été un dernier baroud pris pour une reconquête, un dernier écran de fumée contre la réalité du monde ? Fallait-il penser que c’était à ce point le temps de l’identité ? Que la place des chrétiens, de droite du moins, était dans sa célébration ? Que l’avenir était à la « recomposition », aux rendez-vous de Béziers ? Je l’ai écrit plusieurs fois – ici et ailleurs – et personnellement à Jean-Frédéric Poisson : qu’était-il allé sacrifier sa singularité dans ces additions fantasmées, ces alliances erronées ? A la primaire ou aux législatives, beau résultat. Quand ils parlaient d’une « droite hors les murs », c’était donc hors ceux de la Cité ? Où est-il encore ce « mouvement dextrogyre » doctement avancé par celui qui fréquente, soutient et appelle de ses vœux une droite catho et identitaire ? Sur l’ensemble du pays, je conçois que les facteurs de la déroute soient multiples. Mais si l’on parle précisément de circos aussi spéciales que celles de Versailles, de Rambouillet, sans même parler de la Vendée qui l’héberge, où est donc ce mouvement irrésistible s’il ne fait même pas effet là-bas ? Ces débats occupent le petit milieu, son petit nombril, ils indiffèrent le vaste monde, la vaste France.

Il va falloir reconstruire. Semer où l’on ne récoltera pas. Partir d’en bas, panser les blessures – pas les nôtres, celles des autres. Être là, encore une fois, d’autant que l’on ignore tout des convictions éthiques des futurs élus, mais ne pas se contenter de cela. Chercher encore et toujours, en profondeur, ce que peut signifier être chrétien en politique, s’il s’agit de faire de la politique comme les autres, quel sens cela peut avoir pour nous et pour le monde, pour le pays.

Et, surtout, quel service on lui rend.

  1. Mise à jour : comme on me l’a signalé, leurs circonscriptions n’étaient pas spécialement « favorables » comme je l’avais écrit initialement. Il reste que leurs scores sont bien moindre que ceux de 2012, dans des circonstances similaires. Mon propos n’est pas de le leur reprocher mais de pointer l’illusion d’un positionnement forcément bien à droite.

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