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Le pape et les affaires : la perplexité de Jean-Pierre Denis

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De Jean-Pierre Denis, en éditorial sur le site de l'hebdomadaire La Vie dont il est le directeur de la rédaction :

Le pape et les affaires

Le cardinal Pell, 76 ans, est rentré en ­Australie. Chez nous, le nom de cette forte personnalité choisie par François pour faire partie des huit cardinaux censés le conseiller ne dit pas grand-chose. Le départ de celui qui dirigeait encore les finances du Vatican après avoir été l’une des figures emblématiques des années Jean Paul II ne doit pourtant pas passer inaperçu. Attaqué naguère quant à sa gestion des cas d’abus sexuels, George Pell est désormais personnellement soupçonné, pour une affaire qui remonte aux années 1970. Sa présomption d’innocence doit être respectée : accusation ne signifie pas culpabilité. Le cardinal a d’ailleurs déclaré vouloir retourner en ­Australie pour « laver son honneur ».

Au même moment, la justice française classe sans suite l’enquête sur Mgr Gaschignard, l’évêque d’Aire et Dax démissionné l’été dernier en raison de « comportements inappropriés ». L’affaire avait fait beaucoup de bruit, ce type de sanctions étant rare, et la mesure prise particulièrement nette, voire brutale. Les médias qui s’en étaient emparés se sont faits plus discrets pour en relater l’épilogue, comme souvent pour un scandale impliquant une personnalité. Quant au classement sans suite, il n’est pas une surprise. À l’époque déjà, on pouvait penser que le sort de Mgr Gaschignard ne relevait pas du judiciaire, mais du pastoral ou du politique, l’exemplarité conditionnant désormais l’exercice de toute autorité. Mais comme le montre une enquête publiée par La Vie, le statut de ce jeune évêque émérite, autrement dit retraité, est loin d’être clair. Va-t-il retrouver une mission ? Si oui, laquelle ? Sinon, pourquoi ? (Quel avenir pour Mgr Gaschignard ?)

Enlisé dans une affaire autrement plus grave si elle est confirmée, le cardinal Pell est simplement « rentré dans son pays ». Officiellement, il n’a pas quitté ses fonctions. Il s’agit sans doute de dissimuler le lâchage sous l’apparence des égards. Mais pourquoi, justement, cette différence ? Les princes de l’Église seraient-ils « protégés » plus que les évêques de campagne, au moins formellement ? Il y a quelques mois, la seule victime membre de la commission du Vatican consacrée aux abus décidait de démissionner. Sans avoir pu rencontrer le pape et en butte, disait-elle, à la mauvaise volonté de la Congrégation pour la doctrine de la foi, instance de contrôle essentielle au fonctionnement de l’Église catholique. Or le responsable de cette institution, le cardinal Müller, vient d’être mis à l’écart. Pour sa réticence à avancer sur ces dossiers ? Pour son opposition de fond à la ligne François, comme c’était le cas de Pell ? Là encore, c’est le flou. Pour tout arranger, le successeur désigné de Müller, le jésuite Ladaria, est lui-même rattrapé par une polémique sur sa gestion récente de la mise à l’écart d’un curé italien.

L’impression générale est que l’on progresse encore sous la contrainte médiatique, policière et judiciaire, sans vision d’ensemble – au cas par cas, selon le contexte. On voit que le pape veut agir. Mais on ne saisit pas bien selon quels critères, avec quelles méthodes, jusqu’à quel point. Et faute de clarté et de cohérence suffisante, plus les fusibles sautent, plus la question remonte et s’élargit. Élu pour réformer l’Église, François est-il enlisé ? Mais alors, la faute à qui ou à quoi ? A-t-il à la fois trop parlé et trop tardé à sanctionner ? Ou, au contraire, avance-t-il, bien à sa manière, avec pragmatisme, saisissant une par une les opportunités qui se présentent et n’hésitant pas à lâcher des personnalités qui autrefois auraient été indéboulonnables ? Il y a vraiment de quoi être perplexe.

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