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Le cardinal Parolin à Moscou : la diplomatie spirituelle ferait-elle le jeu du Kremlin ?

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Traduit par Julia Breen, un article paru sur le site "Le Courrier de Russie" :

Les saintes relations de Moscou avec le Vatican

« Pour le Kremlin, de bonnes relations visibles avec le Vatican sont une chance d’attirer l’attention du monde sur les tentatives de la Russie de se poser en bastion de la morale et des valeurs traditionnelles. »

La mi-août a été marquée par la première visite officielle en Russie depuis de longues années d’un secrétaire d’État du Vatican : le cardinal Pietro Parolin. Le second direct du souverain pontife s’est entretenu avec le patriarche Kirill, le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov et, enfin, mardi 23 août à Sotchi, dans la résidence présidentielle, avec Vladimir Poutine. Si seuls des propos généraux ont été échangés lors de ces rencontres publiques, le programme élargi de la visite laisse penser que le cardinal pourrait préparer une venue prochaine en Russie du pape en personne. Sous quelque forme que ce soit, la diplomatie spirituelle fait aujourd’hui, manifestement, le jeu du Kremlin. Bilan de Lenta.ru.

Poutine Petro Parolin

Vladimir Poutine et Pietro Parolin à Sotchi, le 23 août. Crédits : kremlin.ru

Le chef de l’Église et le chef de l’État

La première visite du chef de l’État du Vatican en Russie remonte au mois de juin 1988. La délégation papale présente à l’occasion des célébrations du millénaire du baptême de la Rus’ était alors présidée par le cardinal Agostino Casaroli. Le secrétaire d’État du Vatican avait été reçu par Mikhaïl Gorbatchev au Kremlin, pour aborder notamment les questions de garantie de la liberté religieuse en Union soviétique. Le quotidien italien La Stampa écrivait à l’époque : « Le dialogue est entamé. La glace a été brisée entre le Kremlin et le Saint-Siège ».

En août 2017, à la veille de la venue du cardinal Pietro Parolin à Moscou, la même Stampa estimait que celui-ci pourrait tenter de faire office de médiateur, afin de rapprocher deux mondes qui ne doivent pas se considérer comme ennemis. Sur fond de relations russo-américaines qui se détériorent de jour en jour, la diplomatie spirituelle est donc entrée dans l’arène.

Mardi 22 août, l’envoyé du pape a rencontré le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, avec qui il s’est entretenu de la situation au Proche-Orient, mais aussi au Venezuela, actuellement instable. « Nous sommes du même avis sur la nécessité, parallèlement à la lutte contre le terrorisme, d’établir le dialogue », a déclaré M. Lavrov.

Outre cela, Moscou a estimé à sa juste valeur la position du Saint-Siège, qui s’oppose formellement à toute utilisation du facteur religieux en Ukraine à des fins de promotion politique.

Dans l’après-midi, le représentant du Vatican s’est rendu au monastère Danilov, à Moscou, pour y rencontrer le patriarche Kirill, avec qui il avait fait connaissance l’année dernière, à Cuba, à l’occasion de la rencontre historique entre les chefs des Églises orthodoxe russe et catholique romaine. Le cardinal a offert au patriarche, de la part du pape, un souvenir représentant un pied de vigne. En échange, Kirill lui a remis une icône de la Vierge et une traduction italienne de son livre Liberté et responsabilité, qui traite du rapport de la chrétienté aux valeurs libérales contemporaines.

Rencontre entre le patriarche Kirill et le secrétaire d'État du Saint-Siège. Crédits : patriarchia.ru

Rencontre entre le patriarche Kirill et le secrétaire d’État du Saint-Siège, Pietro Parolin. Crédits : patriarchia.ru

Face à une importante foule de journalistes russes et étrangers, le patriarche a abordé lui aussi le sujet ukrainien. « Concernant l’Ukraine, a poursuivi Kirill, l’Église ne peut pas y jouer d’autre rôle que celui de faiseuse de paix dans une situation de conflit », a-t-il souligné, se félicitant que son confrère partage le même point de vue. Après que le cardinal a transmis au patriarche le salut fraternel du pape, la conversation s’est poursuivie derrière des portes closes.

Le lendemain, mardi 23 août, Pietro Parolin a pris l’avion pour Sotchi, afin d’y rejoindre le président russe, qui l’a reçu pile à l’heure. Vladimir Poutine a d’abord remercié le cardinal pour son accueil chaleureux au Vatican, lors de sa rencontre avec le pape de Rome. « Nous estimons à sa juste valeur le dialogue de confiance et constructif qui s’est établi entre le Saint-Siège et la Russie. Et nous saluons celui qui a débuté directement entre le Saint-Siège et l’Église orthodoxe russe », a affirmé le président russe.

Le cardinal, pour sa part, a indiqué que le Vatican était satisfait de ses relations avec Moscou, avant de rappeler le prêt temporaire des reliques de Saint-Nicolas à la Russie. « Ce pour quoi nous sommes particulièrement reconnaissants », a déclaré Poutine. De la même façon que la veille avec le patriarche, le reste de cette conversation s’est déroulé en privé. Toutefois, Vladimir Poutine ayant reçu son visiteur suivant – le président arménien – également à l’heure, on peut supposer que l’entretien avec le cardinal n’a pas duré longtemps.

L’ange de la paix

Cette visite de Pietro Parolin marque une nouvelle étape dans le développement de bonnes relations entre Moscou et le Vatican, inaugurées en septembre 2013 par une lettre ouverte du pape François au président Poutine. Le chef de l’Église catholique romaine y appelait le président russe à continuer de se battre pour un règlement politique du conflit syrien, soulignant qu’il observait les événements dans ce pays le cœur serré. L’avenir possible de la situation lui causait de la douleur, poursuivait le pape, en référence aux projets des États-Unis et de la France de bombarder la république arabe. « La guerre engendre la guerre, la violence engendre la violence », alertait le souverain pontife.

En novembre de la même année, et ensuite en juin 2015, Vladimir Poutine a rencontré François au Vatican. Au cours de ce dernier entretien, le pape de Rome avait appelé le président russe à déployer « des efforts significatifs et sincères pour parvenir à la paix » en Ukraine. À l’issue de la rencontre, qui avait duré environ 50 minutes, le souverain pontife et le président russe étaient tombés d’accord sur l’absolue nécessité, pour la stabilisation de la situation dans le Donbass, de rétablir une atmosphère de dialogue entre les parties en conflit. Le pape et le président avaient également abordé la situation dans le Proche-Orient et exprimé leur inquiétude concernant le sort de la communauté chrétienne de la région.

À cette occasion, François avait offert à Poutine un médaillon représentant l’ange de la paix. « Cet ange gagne toutes les guerres et appelle à l’union de tous dans le monde », avait déclaré le souverain pontife. Le président lui avait remis, pour sa part, un panneau représentant l’Église du Christ sauveur, ainsi que plusieurs tomes de l’encyclopédie orthodoxe.

Mais l’événement le plus significatif – la rencontre du patriarche de Moscou et de toute la Russie Kirill avec le pape de Rome – s’est tenu à La Havane, en février 2016. « Je ne puis me défaire du sentiment que nous nous rencontrons au bon moment, au bon endroit », avait dit le patriarche. « Je remercie la Sainte-Trinité qu’une telle possibilité nous ait été donnée », avait répondu François. Le thème central de l’entretien entre les deux hiérarques religieux avait été les persécutions des chrétiens au Proche-Orient.

Entretien entre le patriarche Kirill et le pape François à la Havane, le 12 février 2016. Crédits : patriarchia.ru

Entretien entre le patriarche Kirill et le pape François à la Havane, le 12 février 2016. Crédits : patriarchia.ru

La patience du Vatican

Au nombre des résultats concrets de la visite du cardinal en Russie, on note un accord d’annulation mutuelle des visas pour les possesseurs de passeports diplomatiques, signé par le vice-ministre russe des affaires étrangères Alexeï Mechkov et le nonce du Vatican Celestino Migliore. « Relativement à une possible visite du pape, nous, croyants, nous en remettons à Dieu et à l’Esprit sain qui guident nos pas », a déclaré le cardinal à propos de la question que tous se posaient. Toutefois, le Vatican et le patriarcat de Moscou ont tous deux indiqué qu’une venue du pape à Moscou n’était actuellement pas à l’ordre du jour.

À Moscou, le cardinal a confirmé que la rencontre des deux hiérarques à La Havane avait donné une nouvelle impulsion aux relations Russie-Vatican. « Quand les médias italiens m’ont demandé quelles seraient les étapes suivantes, je leur ai répondu que l’une des grandes vertus chrétiennes était la patience. Je suis certain que ma visite d’aujourd’hui est une nouvelle petite pierre placée sur notre route future » a-t-il conclu de façon imagée.

« Pour le Kremlin, de bonnes relations visibles avec le Vatican sont une chance d’attirer l’attention du monde sur les tentatives de la Russie de se poser en bastion de la morale et des valeurs traditionnelles, en contraste avec une Europe qui se sécularise de plus en plus. C’est aussi un moyen de prouver que Moscou n’est pas isolée, et de maintenir les relations avec l’Italie », soulignait la revue américaine Politico à la veille de la visite du cardinal Parolin.

Pour le Vatican, de son côté, poursuit la revue, des liens plus étroits avec Moscou sont une « possibilité de rétablir sa présence » après un siècle marqué par l’ascension et la chute de l’idéologie communiste et l’athéisme forcé.

Vladimir Poutine accorde d’ailleurs beaucoup de temps, récemment, aux relations avec les représentants spirituels. Fin mai, il a assisté à la bénédiction de l’église de la Résurrection du Christ et des nouveaux martyrs et confesseurs de l’Église russe, au monastère Sretensky, rue Bolchaïa Loubianka, à Moscou. Dans son discours lors de la cérémonie, le président a déclaré que l’ouverture de cette église, cent ans après la révolution d’Octobre 1917, était un événement symbolique, avant d’appeler à se remémorer les pages « lumineuses, et les tragiques aussi » de l’histoire russe. Avant cela, dans la journée, Poutine était allé s’incliner devant les reliques de Saint Nicolas de Myre, à l’église du Christ sauveur.

Toujours fin mai, le président s’est rendu à la sloboda Rogojskaïa, peuplée, depuis plus de deux siècles, par les vieux croyants moscovites et y a visité la résidence du chef de l’Église russe des vieux croyants, le métropolite Corneille – un événement véritablement historique, sans exagération, sachant l’histoire difficile des relations entre cette communauté et le pouvoir. Le 11 juin, enfin, à l’occasion de la journée des saints Serge et Germain de Valaam, le président, comme en 2016, est allé au monastère de Valaam, où il a passé trois jours. « Vous savez, a déclaré à l’occasion son porte-parole, Dmitri Peskov, le président tient depuis longtemps sous contrôle et dans son champ de vision les problèmes de ce monastère. Il l’aide autant sur le plan financier qu’à résoudre d’autres questions. »

Dans le même temps, malgré sa fidélité à l’orthodoxie, le président ne manque jamais de souligner avec respect que la Fédération de Russie est un État multiconfessionnel. Il souhaite toujours aux Juifs la fête de Pâques, et aux bouddhistes, celle de Tsagaan Sar, le Nouvel An du calendrier lunaire. Connaissant la popularité du pape François en Occident, le développement des relations avec le Saint-Siège pourrait jouer pour Moscou un rôle très positif. Quand les politiciens échouent à dialoguer, on ne peut s’en remettre qu’aux préceptes d’en-haut.

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