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L’Europe revient dans le discours politique et social

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La Salle des Professeurs, qui est l’une des deux salles de prestige de l’Université de Liège, était bienIMG_8232.JPG remplie, hier soir, pour accueillir un échange remarquable sur l’avenir de l’Europe qui eut lieu entre Pierre Defraigne (Collège de l’Europe, ancien directeur général à la Commission européenne, ci-contre à droite) et Alfred Steinherr (directeur académique du John F. Welsch College of Business à Luxembourg et ancien directeur général de la Banque Européenne d’Investissement, ci-dessous à gauche).

IMG_8231.JPGL’enregistrement intégral de cette rencontre, organisée par le Groupe Ethique sociale et  l’Union des étudiants catholiques de Liège sera bientôt disponible.

Dans la même perspective, le site web « cath.net » publiait, hier aussi, cette interview que le Père Olivier Poquillon, secrétaire général de la COMECE (Commission des Episcopats de la Communauté européenne, a accordée à Bernard Litzer (extraits) :

« L’Europe revient dans le discours politique, notamment chez Emmanuel Macron et Angela Merkel. L’esprit européen fait-il un retour contraint ou bienvenu?

O. Poquillon: Les Allemands et les Français n’ont peut-être pas oublié les carnages des deux dernières guerres mondiales. Dans une période anxiogène comme la nôtre, il est vital de mettre en place un cadre qui permette d’éviter aux égoïsmes nationaux et corporatistes de prendre le pas sur la recherche du bien commun. Qu’ils le veuillent ou non, nos pays et nos peuples sont en Europe, même la Suisse!

«L’Union européenne est partie assez loin dans l’économie de marché en donnant souvent l’impression de privilégier les profits financiers au détriment d’une économie au service des personnes», estime Olivier Poquillon. 

La question n’est donc pas de savoir si nous voulons en faire partie ou pas, mais comment nous voulons y vivre ensemble. C’est sans doute ce constat qui explique le retour de ce thème sur le devant de la scène. Pour l’Eglise, la construction européenne est d’abord vue comme un projet de paix. Et c’est dans cet esprit que la COMECE et le Saint Siège organisent un dialogue entre politiques et religieux de haut niveau, fin octobre au Vatican.

La poussée migratoire a plongé le Vieux-Continent dans une crise politique, entre les tenants de l’ouverture et les pays de l’Est, réticents. Comment concilier ces deux positions

Cette crise est surtout politique avant d’être migratoire. Si on regarde les chiffres, l’Europe a connu des mouvements migratoires bien plus importants au cours du siècle passé, notamment autour des deux guerres mondiales et des décolonisations. Aujourd’hui, on entretient dans les populations un sentiment d’impuissance face à des «hordes» allogènes qui déferleraient sur nous pour bouleverser nos sociétés, piller nos biens et faire de nous des étrangers dans notre propre pays. Comme l’ont montré de récentes études, ce sentiment est d’autant plus fort qu’on n’a pas de contact direct avec les migrants. Lorsqu’on connait un visage, un nom, une histoire, on peut sortir de la confrontation de masse pour rencontrer l’autre comme une personne et trouver avec lui des solutions.

L’Eglise catholique n’est pas utopique sur la question des migrants et réfugiés. Elle rappelle seulement aux politiques leurs propres engagements à considérer tous les hommes libres et égaux en droit, comme ils le sont aux yeux de Dieu. Face aux peurs et au sentiment de perte de contrôle de nos concitoyens, à l’Est comme à l’Ouest, cela implique de trouver de nouvelles façons de gouverner, non pas pour les gens mais avec les gens.

Le pape François a qualifié l’Europe de «grand-mère», en lui reprochant de se retrancher. Partagez-vous cette appréciation?

Nous pouvons prendre la remarque du Pape François comme un constat. L’évolution démographique nous conduit à protéger ce que nous avons déjà plutôt qu’à nous lancer dans de nouvelles aventures. Nous en oublions trop souvent nos propres jeunes qui aimeraient aussi pouvoir faire les expériences que nous faisions à leur âge.

Ce qui fait la grandeur d’une société, la force d’une civilisation, c’est sa capacité à se soucier des futures générations, à transmettre la vie reçue à d’autres qui la transmettront à leur tour. La «grand-mère» peut se retrancher chez elle et trembler derrière son rideau en se demandant si on ne va pas la voler, mais elle peut aussi être celle qui transmet son savoir-faire, qui partage son expérience, qui accueille et réconforte. La «grand-mère» a un rôle à jouer dans la famille humaine comme dans celle des nations: si elle se tourne vers l’avenir plutôt que de regretter un passé fantasmé, elle donne du sens et permet à tous d’aller de l’avant.

Quels sont les pas à faire pour redonner de la vigueur au projet européen?

Bien malin qui peut dire aujourd’hui de quoi sera faite l’Europe de demain. Pour l’Eglise tout projet politique tire sa légitimité de l’impact qu’il a sur les personnes humaines. Le projet européen doit être notre projet.

Il faut trouver de nouveaux moyens de permettre aux hommes et aux femmes de se réapproprier le travail, l’économie, l’environnement, la culture, la politique, la religion en Europe. Dans tous ces domaines, nous nous sommes sans doute laissé aller au consumérisme. Il nous faut redevenir acteurs de notre propre destin.

L’Europe oscille entre des aspirations sociales et le libéralisme économique. Peut-on concilier ces deux aspects?

La personne humaine est créée à l’image de Dieu, pas les dividendes. L’Union européenne est partie assez loin dans l’économie de marché en donnant souvent l’impression de privilégier les structures ou les profits financiers au détriment d’une économie au service des personnes et des communautés.

L’Eglise ne propose pas de réponse toute faite mais nous invite à évaluer le bien fondé de nos politiques économiques sur les bénéfices qu’en tirent les hommes et les femmes de notre temps, y compris les plus vulnérables. La vie sociale comme la vie économique sont des sports d’équipe. Lorsque l’Eglise parle d’économie sociale de marché, c’est ce qu’elle entend nous rappeler. Une économie fondée sur la production et non la prédation, sur des échanges justes permettant des bénéfices mutuels, sur le long terme plutôt que sur des flambées aussi fulgurantes que sans lendemains.

Une Europe à plusieurs vitesses n’est-elle pas en cours de constitution? Comment empêcher ce dérapage de l’idéal européen?

La devise de l’Union, c’est «l’unité dans la diversité», la diversité n’est donc pas forcément un dérapage. Elle peut même être une chance si elle est choisie et assumée. Les récentes crises financières ont remis cette diversité devant nos yeux. Appliquer les mêmes règles à tous sans tenir compte des différences peut aussi mener à des impasses. Les politiques nous disent qu’il ne s’agit pas d’une intégration européenne à deux niveaux, mais à deux vitesses. Il s’agirait donc de laisser du temps à ceux qui en ont besoin pour rejoindre le niveau nécessaire à la mise en œuvre de politiques communes.

Dans les faits, cette diversité institutionnelle existe déjà. Tous les Etats membres de l’Union n’ont pas adhéré à la zone Euro, ni à l’espace Schengen, et les y forcer pourrait entrainer l’effondrement du système. La diversité et la subsidiarité, bien connus des Suisses, sont des éléments essentiels du point de vue de l’Eglise et existent d’ailleurs déjà dans le droit européen.

Le Brexit a marqué un coup d’arrêt sérieux. Ne faut-il pas admettre que l’Union sans limites génère un monstre administratif qui fait de Bruxelles la cause de tous les maux des pays de l’Union?

Accuser Bruxelles de tous les maux est chose commune, même en Belgique. Il est de bon ton pour nos gouvernements de s’attribuer les succès et d’imputer les échecs à l’Union alors même qu’aucune décision ne peut être prise sans mandat ou accord des Etats membres. Cette tactique électoraliste contribue à décrédibiliser le projet européen.

Mais la défiance envers les institutions n’est pas spécifique à l’Union européenne: c’est un phénomène global. Elle touche aussi l’Eglise, les entreprises, les Etats… Il existe aujourd’hui une vraie perte de confiance dans les manières traditionnelles de faire de la politique.

Mais le cas du Royaume-Uni est particulier, non?

Le Brexit n’est que l’expression européenne d’un phénomène qu’on a pu voir aux Etats-Unis et dans bien d’autres pays. Face à un sentiment de perte de contrôle sur notre environnement politique, culturel, religieux mais aussi technologique, la tentation du repli sur soi est forte.

Les négociations entre Londres et les 27 montrent qu’à défaut de l’Union, ce sont surtout les citoyens et entreprises du Royaume Uni qui vont souffrir de cette décision. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’Union non plus car, quoi qu’il arrive, il faudra continuer à vivre et à travailler avec un partenaire affaibli.

En revanche, le Brexit a certainement contribué à renforcer l’enracinement européen des populations des autres Etats membres. Si les critiques sur le fonctionnement des institutions sont réelles et parfois fondées, les citoyens réalisent que c’est néanmoins le meilleur moyen d’assurer la paix et la prospérité.

Le Brexit nous rappelle aussi qu’au lieu d’une logique de prédation dans laquelle chacun cherche à prendre le maximum de bénéfices pour lui-même, l’Union est un projet de production de richesses pour le bien commun. Malgré les inégalités et les frustrations qu’elle génère, la construction européenne peut se vanter de 70 ans de paix et de développement économique sur notre continent. »

Ref.P. Olivier Poquillon: "La construction européenne, un projet de paix"

JPSC

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