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Pourquoi cette obsession médiatique pour l’euthanasie ?

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Bertrand Vergely est interrogé sur atlantico.fr :

Un Australien de 104 ans vient mourir en Suisse et fait les Unes partout : mais pourquoi cette obsession médiatique pour l’euthanasie ?

Scientifique australien âgé de 104 ans, David Goodall est venu jusqu'en Suisse pour bénéficier d'un suicide assisté. Une affaire qui montre une fois de plus l’intérêt de notre société moderne pour euthanasie... alors que les sociétés pré-modernes, vivre longtemps était une grâce.

Atlantico : David Goodall, âgé de 104 ans, a fait le choix de se rendre en Suisse afin de mettre fin à ses jours légalement, ce qui, dans son pays, l’Australie, n’est pas autorisé. Alors que notre société  se passionne pour la question de l’euthanasie, elle ne s’intéresse nullement à la condition des personnes âgées dans les EHPAD. Comment expliquer cette attitude ?

Bertrand Vergely : Un homme de 104 ans décide d’aller en Suisse se faire euthanasier. Pour une partie de nos contemporains, celui-ci est un héros. La vieillesse étant considérée comme une horreur, cet homme qui met fin à ses jours afin de mettre fin à la vieillesse dit la vérité de l’existence en attendant qu’un jour la science mette fin à la vieillesse avant de mettre fin à la mort. Dans les sociétés pré-modernes, vivre longtemps était une grâce. Et l’on honorait ceux et celles qui vivaient longtemps. La vieillesse était non pas signe de caducité mais de force  Avec la modernité tout change.

Si l’on entend vivre on entend bien vivre en ayant pour cela les moyens de vivre. Aussi fat-on de la jeunesse et, derrière elle des moyens de vivre,  le critère de la vie.  Matérialiste, pragmatique, utilitariste, consumériste, notre vision du monde consiste à penser qu’une vie vaut la peine d’être vécue si elle a les moyens de sa propre vie. La vie donne du plaisir parce qu’elle a les moyens d’être vécue ? C’est une vie digne. Caractéristique de la modernité : le plaisir est plus important que la vie. C’est lui qui est sacré. Lui qui donne de la dignité à la vie. Dans Les fondements de la métaphysique des mœurs Kabnt explique qu’on est moral quand on vit non pas parce que la vie donne du plair mais malgré le fait qu’elle n’en proucre aucun. Vivre parce qu’il le faut, vivre parce que la vie est une chose sérieuse, fondamentale, sacrée, passe avant le plaisir de la vie. En ce qui nous concerne, aujourd’hui, c’est l’inverse qui a lieu. Le plaisir de la vie passe avant le sérieux de la vie, le sacré de la vie, le fondamental de la vie. Le plaisir qui est sans morale passe pour plus moral que la morale qui est sans plaisir. Notre monde est devenu un monde d’usagers de la vie, de consommateurs de la vie  qui entendent être satisfaits ou remboursés. L’euthanasie est à comprendre dans cette logique consumériste. La vie ne donne plus de plaisir ? Se faire euthanasier est une façon de se faire rembourser en tant que consommateur non satisfait.

 

Est-ce l’individualisme, base aujourd’hui de toute réflexion,  qui est à l’origine d’un tel désintérêt ? S’agit-il là d’une attitude idéologique refusant les questions terre-à--terre qui n’attirent guère ?

L’individualisme joue un rôle dans cette attitude. Mais il est davantage un effet qu’une cause. Bien sûr, dans le monde désacralisé qui est le nôtre, le moi a pris la place du sacré. D’où l’émergence de la génération C’est mon droit qui caractérise notre monde. Ce qui est logique. Quand il n’y a plus rien il n’y a plus rien que le moi. Cela dit, je crois que la pulsion de plaisir est plus forte. Quand le sacré existe le plaisir spirituel existe. Quand il n’existe plus, pour remplacer le plaisir spirituel qui a pour nom la joie, on se rabat sur ce qui reste à savoir le plaisir matériel. C’est ce que montre Pascal dans son analyse du divertissement. Le monde moderne qui est areligieux remplace l’edenisme pas l’hédonisme. Le plaisir tient lieu de paradis spirituel. D’où le malheur du monde. Comme le plaisir donne lieu à l’enfer du plaisir sans joie ni bonheur, le monde moderne se rue sur la quantité de plaisirs afin de compenser ln perte du bonheur et de la joie. À défaut de communion on se rue sur la consommation. Forcément, cela retentit sur la vieillesse et sur la mort. Ainsi, dans cette logique, quelle est la bonne vieillesse ? Celle qui ne vieillit pas en étant capable de conserver la même quantité et la même intensité de plaisir. Quant à la mort, il en va avec elle comme il en va avec la vieillesse. Quand la bonne mort n’est pas la mort qui n’existe pas en étant la mort instantanée dans le sommeil et l’inconscience, elle est la mort qui permet de ne pas exister en étant la mort que l’on s’administre faute de pouvoir avoir du plaisir. Festivus. Festivus, écrivait Philippe Murray pour résumer notre temps. Eden. Eden, a-t-on envie de dire. Ou plutpot Hédonisme. Hédonisme.

N’est-on pas là en train de se fermer les yeux face aux conditions de vie des seniors ? Que révèle une telle attitude ?

L’État fait beaucoup pour venir en aide aux seniors dans leur fin de vie. Il faut le dire. Comme il faut louer le dévouement des médecins, des infirmiers et infirmières, du personnel hospitalier et des accompagnants, un dévouement admirable. Cela dit, oui, il faut ouvrir les yeux. Nous traitons mal les seniors. Pourquoi ? Parce que ceux-ci nous font peur. Incarnant une vie qui n’est pas plaisante à regarder ils menacent notre désir de plaisir. Nous ne voulons pas en entendre parler parce que nous aspirons à pouvoir entendre uniquement une vie parlant de plaisir. Ce qui est le signe d’une sexualité totalement infantile. L’enfant est un pervers polymorphe cherchant à avoir du plaisir avec tout et tout le temps. Nous sommes cet enfant, ce pervers polymorphe, totalement infantile dans sa sexualité. Séduction non stop écrivant Gille Lipovetsky dans les années quatre vingt. Plaisir infantile non stop, faut-il ajouter. Donc, bye bye seniors. Trop vieux. Trop lourds. Et bye bye la vie, quand être senior n’est plus sexy.

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