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Notre foi tient-elle la route ?

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Du site "didoc.be" :

Une apologie de l’apologétique

Écrit par Jacques Leirens le .

Quels sont les fondements de notre foi ? Nous vous proposons un entretien avec Manuel Cabello, auteur du livre Les raisons de la foi, à l’épreuve de la modernité. Cette interview est parue initialement dans la revue Emmaus en janvier 2018.

Au cours du XXe siècle, l’apologétique a vu son importance diminuer peu à peu. Quelles que soient les causes de cette évolution, force est de constater que l’apologétique a cessé d’être considérée comme une réponse aux « attaques des adversaires », protestants ou rationalistes. Car, pour reprendre la boutade du jésuite René Latourelle, on trouve aujourd’hui plus d’opposants à la foi parmi les croyants que les non-croyants (cf. Nouvelle image de la Fondamentale, in : R. Latourelle, et G. O’Collins, éd., Problèmes et perspectives de théologie fondamentale, Desclée-Bellarmin, Paris-Tournai-Montréal, 1982, p. 71-72).

Mais peut-être avons-nous aussi troqué une apologétique trop optimiste ou naïve pour un pessimisme excessif (cf. Charles Morerod, Quelques athées contemporains à la lumière de S. Thomas d’Aquin, in Nova et Vetera, 82,2 [2007], p. 151-202), motivé par une méfiance à l’égard de la raison. La situation est telle aujourd’hui que les athées estiment avoir le droit d’occuper entièrement le terrain de la raison. N’avons-nous pas trop vite abandonné la tâche de tenter d’apporter une réponse rationnelle au scepticisme ? D’un côté, nous avons l’obligation de prendre les objections des athées et des « cherchants » au sérieux, pour manifester notre respect envers tout interlocuteur. De l’autre, nous ne pouvons pas laisser les croyants dans un vide rationnel, qui entraînerait également la disparition rapide de la foi.

Ces considérations expliquent ma curiosité en tombant dernièrement sur un nouvel ouvrage consacré à l’apologétique : Les raisons de la foi, à l’épreuve de la modernité (Éditions Le Laurier, octobre 2014, traduction néerlandaise parue chez De Boog-Betsaïda en 2017). L’auteur, Mgr Manuel Cabello, prêtre et vicaire de l’Opus Dei en Belgique, est docteur en théologie (Université de Navarre).

La lecture m’a conforté dans la conviction que le christianisme et les croyants d’aujourd’hui ont tout intérêt à s’intéresser de nouveau sérieusement à l’apologétique. Qui plus est, la clarté du style, la rigueur de l’argumentation et la sérénité du ton m’ont donné envie, non de mettre l’auteur sur la sellette (étant d’ailleurs moi-même largement gagné à sa cause), mais d’engager avec lui une discussion en lui posant une série de questions qui me semblent très actuelles.

 

Puis-je commencer par une question quelque peu provocante ? L’apologétique consiste par définition en une justification et défense rationnelles de la foi. Or, la foi est une grâce de Dieu et, en tant que telle, elle échappe à la rationalité. Cela a-t-il dès lors un sens de consacrer tout un livre à l’apologétique ?

La foi est effectivement un fruit de la grâce divine. Mais elle est en même temps de l’ordre du rationnel. Si la foi n’avait aucun rapport avec la raison, pire encore, si elle s’opposait à celle-ci, cela voudrait dire que Dieu et sa Révélation seraient irrationnels, qu’ils voudraient nous faire croire des choses contraires à la raison, raison dont ce même Dieu nous a dotés en nous créant. Ce qui est évidemment absurde.

Voulez-vous dire par là que la foi peut être prouvée ?

Affirmer une telle chose reviendrait à tomber dans l’erreur inverse. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, voire plus tard encore, un courant important de l’apologétique affichait une tendance plus ou moins prononcée à adopter ce point de vue extrême.

Un autre courant, qui compte aujourd’hui un plus grand nombre de partisans, se distingue sur deux points du courant que je viens de mentionner. Tout d’abord, il adopte une attitude moins rationaliste. Je veux dire par là qu’il n’entend pas prouver la foi. Ensuite, il met l’accent (dans la même ligne de pensée que saint Augustin et Blaise Pascal, et également que John Henry Newman et Maurice Blondel) sur le fait que l’apologétique ne doit pas s’adresser uniquement à la raison, mais doit aussi parler aux sentiments, disons au cœur.

Cela étant dit, une importante précision s’impose ici : la question de l’existence de Dieu ne relève pas à strictement parler de l’apologétique, mais de la philosophie, et plus précisément de ce que l’on appelle traditionnellement la « théologie naturelle » ou encore « théodicée ». Quantité de penseurs de tous les temps ont affirmé que la philosophie pouvait prouver l’existence de Dieu. Je pense notamment aux « cinq voies » ou à « l’argument ontologique ».

Ces arguments sont-ils encore valables aujourd’hui ?

Je pense que oui. Le problème est qu’il n’est pas toujours évident, même pour des personnes instruites, d’accepter des raisonnements philosophiques voire de les comprendre. À notre époque, nous sommes visiblement enclins à penser que seules les sciences naturelles peuvent produire des preuves certaines.

Pour revenir à votre question précédente : l’apologétique a donc intégré la question de l’existence de Dieu à son domaine d’étude et ajouté aux raisonnements purement philosophiques ou métaphysiques une série d’arguments qui sont d’un autre ordre, qui touchent la personne dans toutes ses dimensions et qui peuvent contribuer à ouvrir les esprits à l’existence de Dieu. Dans mon livre, concernant la question de Dieu, j’ai voulu passer en revue aussi bien ces arguments que les raisonnements philosophiques.

Au premier chapitre, vous arrivez à la conclusion qu’il n’est pas déraisonnable de croire en l’existence d’un être à l’origine de l’univers. Pouvez-vous nous expliquer comment vous passez à l’étape suivante de l’apologétique, à savoir le fait que Dieu nous ait parlé, mieux encore, qu’il soit « descendu » sur terre en la personne de Jésus-Christ ?

Je n’ai jamais pu me représenter un Dieu silencieux. Lorsqu’on arrive à la conclusion qu’il existe un être tout-puissant et omniscient, à l’origine de l’univers, et donc aussi de notre existence, il ne me semble pas déraisonnable d’affirmer aussi la chose suivante : si cet être accorde une telle importance au fait que nous existions, alors il est fort possible qu’il nous ait communiqué ce qu’il attend de nous.

Toute personne raisonnable devrait en conclure qu’il serait extrêmement intéressant de savoir ce que Dieu a à nous dire, car c’est à coup sûr infiniment plus important que tout ce que de grands hommes comme Aristote, Kant ou Einstein ont bien pu enseigner. Je constate avec stupéfaction que les gens n’arrivent souvent pas à suivre ce raisonnement.

L’étude critique et rigoureuse de la possibilité que Dieu nous parle me semble plus raisonnable que de vouloir employer mon esprit critique pour ridiculiser a priori ou essayer d’escamoter tous les possibles indices d’un message divin. Cette dernière façon de faire me semble même contraire à la raison.

D’accord, mais cela ne suffit pas pour démontrer que Dieu nous a transmis lui-même son message par l’entremise de Jésus de Nazareth, comme nous le croyons, nous, chrétiens.

Vous avez employé le verbe « démontrer ». Personnellement, je préfère ne pas l’utiliser dans ce contexte parce qu’on pourrait interpréter cela comme une volonté d’apporter des « preuves ». Or, on ne peut pas prouver que Jésus de Nazareth, tel que nous le connaissons par les évangiles, est venu nous prêcher la parole même de Dieu, et encore moins, qu’il est lui-même Dieu. On peut avancer des arguments historiques, et c’est ce que l’apologétique fait depuis vingt siècles, pour « montrer » (et non pas « démontrer ») que cette affirmation est loin d’être irrationnelle. C’est ce que je me suis efforcé de faire au deuxième chapitre de mon livre.

Procédons par étapes. Car le mystère de Jésus-Christ me semble d’une importance capitale, peut-être encore davantage pour les chrétiens d’aujourd’hui que pour ceux des premiers temps. Pourriez-vous tout d’abord nous dire si l’on peut affirmer avec certitude que Jésus de Nazareth a réellement existé ?

Si l’on accepte que les historiens de l’époque étaient en mesure de nous transmettre des faits certains, la réponse à cette question est oui : Jésus de Nazareth est un personnage historique, qui a vécu en Palestine à l’époque où Ponce Pilate était préfet de Judée ; il a été crucifié, est mort et ses disciples ont affirmé qu’il était ressuscité. Ce sont des faits qui sont également mentionnés par des sources historiques juives et romaines. Par ailleurs, les évangiles et les autres livres du Nouveau Testament nous ont livré d’innombrables paroles et actes de Jésus que l’on peut attester avec une très grande certitude.

Si nous ne doutons pas de l’existence de Sénèque, de Virgile ou d’autres personnages de l’Antiquité tels qu’Homère ou Socrate, je ne vois pas pourquoi nous mettrions en doute l’existence de Jésus, à moins que ce ne soit à cause de préjugés antichrétiens.

Et concernant la divinité de Jésus-Christ ? Il me semble plus difficile de se prononcer sur la question à l’aide d’arguments purement rationnels, non ?

En effet. Sur ce point, nous ne pouvons nous baser que sur les sources chrétiennes, à savoir le Nouveau Testament et surtout les quatre évangiles. La question qui se pose ici est celle de la fiabilité historique de ces sources.

La fiabilité des sources chrétiennes a déjà été contestée dans l’Antiquité, notamment par le philosophe romain Celse. Origène a habilement répondu aux critiques de celui-ci. De façon plus systématique, mais dans une mesure encore limitée, le monde protestant du XVIIIe siècle a commencé à remettre en question ces sources, principalement dans l’ouvrage de Herman Samuel Reimarus, publié à titre posthume par Gotthold Lessing.

Le XIXe siècle a vu l’essor du protestantisme dit libéral. Avec un zèle plutôt singulier, celui-ci s’est employé à saper la fiabilité des évangiles, et une série de théologiens catholiques ont suivi cet exemple, notamment Alfred Loisy, qui est à l’origine du mouvement moderniste. Depuis lors, l’étude de la bible a toutefois énormément progressé. On peut même dire que la fiabilité historique du Nouveau Testament en est ressortie renforcée.

À cet égard, le livre que Joseph Ratzinger alias Benoît XVI a consacré à Jésus est d’une grande importance. C’est une démonstration pratique du fait qu’il est raisonnable d’affirmer la divinité de Jésus Christ en se basant sur le Nouveau Testament, et notamment sur les textes de celui-ci communément admis par la critique.

Quel est à vos yeux le principal argument qui permet d’affirmer que Jésus est Dieu ?

Le principal motif est selon moi la conjonction de deux faits : le premier est que Jésus a affirmé expressément sa divinité, la seconde que cette affirmation a été confirmée par sa résurrection. (Je précise que, en répondant à votre question, je ne veux certainement pas prétendre que cet argument possède en soi le pouvoir de susciter la foi, mais simplement qu’il s’agit pour moi d’un argument convaincant, capable de préparer la voie qui mène à la foi.)

Je tiens encore à ajouter que l’existence de l’Église est aussi un argument solide en faveur de la crédibilité de la résurrection. Selon moi, l’Église n’aurait jamais pu connaître un essor si fulgurant si elle tirait son origine d’un pseudo-messie raté.

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Jacques Leirens est prêtre, docteur en médecine et en philosophie. Le livre est en vente ici. Ce texte a été traduit du néerlandais par Pierre Lambert.

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