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La Curie dans la tourmente

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D'Adélaïde Pouchol sur le site de l'Homme Nouveau :

La Curie dans la tempête

L’été aura été terrible pour l’Église, non que les vicissitudes qu’on lui connaît soient nouvelles, mais parce qu’en l’espace de trois mois, c’est une tempête d’une violence sans précédent qui a éclaté. Une tempête causée par plusieurs affaires de mœurs, toutes reliées de près ou de loin à la Curie romaine et à ce qui apparaît désormais au mieux comme une incapacité, au pire comme le refus de s’attaquer réellement aux crimes dont sont coupables ou complices par leur silence de nombreux prélats. L’homme de foi sait que la barque de Pierre ne coulera pas, mais les intempéries sont si fortes que même les plus fervents ont la nausée. 

Que s’est-il passé ? Le 20 juin dernier, le prélat américain Mgr Theodore McCarrick, prêtre ordonné pour l’archidiocèse de New York, évêque de Metuchen, archevêque de Newark puis de Washington D.C. et créé cardinal, a été suspendu de l’exercice public de son ministère par le secrétaire d’État du Vatican, Pietro Paolin, sur instruction du pape. Un mois plus tard, McCarrick démissionnait du collège cardinalice, avec l’approbation du Saint-Siège et l’ordre de mener une vie de prière et de repentance « jusqu’à ce que les accusations portées contre lui soient examinées dans le cadre d’un procès canonique normal. » Et pour cause, le prélat est accusé non seulement d’un crime de pédophilie remontant à une cinquantaine d’années, mais également d’abus sur des séminaristes et des jeunes prêtres, à l’époque où il était évêque. Nouveau séisme pour les États-Unis, déjà très abîmés au début des années 2000 après une série de scandales du même genre. 

Le coup de grâce est porté le 14 août lorsque le Grand Jury de l’État de Pennsylvanie remet les résultats de son enquête et met en cause quelque 300 prêtres responsables de crimes sexuels sur plus de 1 000 victimes au cours des soixante-dix dernières années. Cela dit, les accusations concernent des prêtres dont un grand nombre sont décédés aujourd’hui. Les mesures annoncées par la Conférence des évêques américains en 2002 n’étaient pas restées lettre morte puisque les abus sexuels commis par des prêtres ont considérablement chuté : en 2016 et 2017 les cas allégués n’ont touché qu’une vingtaine de prêtres sur les 414 000 en ministère ou à la retraite. Reste que les noms de prélats pleuvent, des quatre coins du pays, soupçonnés d’avoir commis eux-mêmes des abus sexuels ou de les avoir couverts. Sauf qu’un élément nouveau est mis sur la place publique, lorsque plusieurs évêques et cardinaux dénoncent la « sous-culture » homosexuelle qui sévit dans le clergé catholique. Les langues se délient : celle du cardinal Raymond Burke dans un entretien donné le 16 août, celle de Mgr Robert Morlino, évêque de Madison (Wisconsin) dans une lettre pastorale adressée à ses fidèles le 18 août, celle aussi du cardinal sud-africain Wilfrid Napier le 21 août. Comme si le drame de la pédophilie avait permis, pendant de trop nombreuses années, de masquer celui de l’homosexualité au sein de l’Église. Pourtant, deux enquêtes datées de 2004 et 2011 et menées par la faculté John Jay concluaient que 81 % des victimes d’abus sur mineurs par des membres du clergé étaient des garçons et 78 % des garçons post-pubères. 

Le 17 août, 140 théologiens, éducateurs et dirigeants laïcs américains signent une lettre publique demandant la démission des évêques américains. Une démission collective serait-elle envisageable ? En mai 2018, après la tempête traversée par l’Église au Chili pour le même type de crimes sexuels, les 34 évêques du pays avaient tous présenté, lors d’une rencontre à Rome, leur démission au Pape. Mais ce dernier n’avait accepté que cinq d’entre elles, jugeant certainement que changer de pasteur ne suffirait pas à préserver le troupeau et qu’il fallait plutôt s’attaquer aux causes profondes du mal. 

Trois jours plus tard, le 20 août, le Pape adressait une « Lettre au peuple de Dieu », affirmant une fois de plus la nécessité d’une « tolérance zéro ». Mais des déclarations de ce genre, le peuple de Dieu en a déjà entendu beaucoup sans que rien ne change. Les propos du Pape sont quand même salués par certains fidèles, relayés par la presse, mais le désespoir est bien là, un sentiment d’impuissance face à l’ignominie. Et l’été n’est pas fini... Le 21 août s’ouvrait à Dublin, en Irlande, la IXe Rencontre Mondiale des Familles. L’Irlande, un pays gravement blessé lui aussi avec, depuis 2002, pas moins de 14 500 personnes qui ont déclaré avoir été victimes d’abus par des prêtres. Ces accusations sont-elles toutes vraies ? Peut-être pas, mais même si seulement la moitié d’entre elles l’étaient, l’horreur n’en serait pas moins grande. Alors, forcément, quand le Pape s’est rendu à Dublin pour rencontrer les familles, il était attendu sur la question de la pédophilie. Le terrain était déjà glissant, mais l’organisation de la Rencontre des Familles avait ajouté au malaise avec la présence largement controversée, parmi les intervenants, du Père jésuite James Martin, nommé par le Pape consultant auprès du secrétariat pour la Communication et promoteur affirmé de l’homosexualité, qui s’est piqué d’une intervention de défense de la cause non pas seulement homosexuelle, mais LGBT lors de son passage à Dublin. Comment le Saint-Siège avait-il pu laisser cet homme tenir un tel discours devant plusieurs milliers de familles catholiques ? 

Le 25 août, tandis que s’achevait la Rencontre à Dublin, l’ancien nonce apostolique aux États-Unis, Mgr Carlo Maria Viganò publiait un document de 11 pages portant de lourdes accusations contre le Pape François et nombre de hauts dignitaires de l’Église. La lettre, relayée par quelques médias aux aurores le lendemain dans ses versions française et italienne, s’achève sur un appel à démissionner adressé au Pape lui-même.

Le document détaille la gestion troublante du dossier McCarrick, connu aux États-Unis depuis l’année 2000 et depuis 2006 par Mgr Viganò lui-même. Et l’ancien nonce d’énumérer les noms de membres de la Curie ou évêques et cardinaux américains qui savaient, mais n’ont rien dit ou, pire, ont laissé McCarrick prendre des responsabilités au sein de l’Église jusqu’à devenir cardinal et, selon Mgr Viganò, un proche conseiller du Pape lui-même.

Dans l’avion de retour de Dublin, le Pape s’est livré à l’exercice habituel de la conférence de presse et, inévitablement, la question de la charge de Mgr Viganò a été posée. Et le Pape a répondu ou, plutôt, il a répondu qu’il ne répondrait pas : « J’ai lu ce matin ce communiqué, je l’ai lu et je dirai sincèrement que je dois vous dire ceci, à vous et à tous ceux d’entre vous qui sont intéressés : lisez attentivement le communiqué et faites-vous votre propre jugement. Je ne dirai pas un mot là-dessus. Je pense que le communiqué parle de lui-même. Et vous avez la capacité journalistique suffisante pour tirer des conclusions. »

Alors les journalistes, de métier ou improvisés pour les besoins de la cause, les vaticanistes, des clercs, tous ont obéi au pape pour se faire une idée par eux-mêmes. Depuis le 26 août, les informations pleuvent, multiples, souvent contradictoires, souvent difficiles à vérifier pour qui n’est pas familier des couloirs du Vatican. Mgr Viganò dit-il la vérité ? Ou plutôt, puisque c’est la question qui anime, au fond, tous ceux qui se préoccupent de l’affaire : le Pape François est-il coupable ?

Il n’a pas fallu cinq minutes après que Mgr Viganò a lancé sa bombe pour que l’affaire soit ainsi analysée : ce serait l’une des batailles de la guerre des conservateurs antipapes contre les progressistes favorables au Pape François. Et cela, c’est vrai, y ressemble parfois un peu, entre ceux qui brandissent les témoignages de proches de Mgr Viganò le décrivant comme un homme de foi et intègre et ceux qui, au contraire, affirment que l’ancien nonce est carriériste, rancunier et conservateur. Sauf que la véracité des faits énoncés dans la lettre ne dépend pas du degré de sainteté de Mgr Viganò car on peut tout à fait être un sale type et dire parfois des choses vraies ou bien aimer beaucoup le Pape et dire parfois des âneries. Si bien qu’il serait bon qu’une enquête soit menée en haut lieu, qui ne se résume pas à se demander s’il faut être « pour » ou « contre » le Pape. 

L’Église, ses fidèles et le monde dans son ensemble ont besoin que la lumière soit faite sur le bourbier qu’est la Curie pour incriminer les responsables, mais aussi et surtout pour que les horreurs cessent. 

La vraie question, donc, est de savoir comment l’affaire McCarrick a été rendue possible sachant que cela ne concerne pas uniquement le règne du Pape actuel puisque le cardinal déchu sévissait déjà au temps de Benoît XVI. 

Pourquoi la Curie romaine est-elle à ce point impossible à réformer ? 

Enfin, comme si l’Église n’avait pas eu assez de ces deux mois terribles, le Pape a eu le malheur, dans le même avion de retour de Dublin, de dire un mot sur l’homosexualité qui n’a pas plu du tout, surtout pas à la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa. Elle trouve les propos du Pape « injustifiables » et « incompréhensibles ». C’est dire ! Incompréhensible ? Il faut dire que les médias n’ont retenu qu’une seule phrase — ce qui n’aide pas à comprendre — sur les deux minutes et quelques de temps de parole que le Pape a pris pour répondre à la question posée par l’un des journalistes, de savoir ce qu’il conseillerait à des parents catholiques dont l’un des enfants serait homosexuel. Et le Pape, entre autres recommandations de dialogue, d’accueil, d’accompagnement et d’écoute, a dit que pour ces enfants, « il y avait peut-être quelque chose à faire avec la psychiatrie ». Un tollé, évidemment, à tel point que la communication du Saint-Siège a jugé nécessaire de supprimer ce mot du verbatim de la conférence de presse donnée dans l’avion. Le Pape, dans la tourmente, avait-il oublié qu’il est des propos absolument interdits en Occident ?

N’empêche qu’au fond, parmi les fidèles catholiques qui ont répondu aux accusations virulentes de la presse que non, en fait le Pape ne voulait pas dire ça, il en est certainement qui au fond, aimerait bien que les cardinaux, évêques et prêtres aux pratiques homosexuelles aient, eux, « quelque chose à voir avec la psychiatrie »... et le confessionnal.

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