Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

"Ne nous laisse pas entrer en tentation" : une traduction insatisfaisante du Notre Père ?

IMPRIMER

Du site de Paix Liturgique (qui relaie cet article de l'abbé de Tanoüarn paru dans Monde et Vie) :

MALAISE LITURGIQUE A PROPOS DE LA NOUVELLE TRADUCTION DU NOTRE PÈRE

Les années passent, la Réforme liturgique a presque 50 ans, mais le malaise persiste à son sujet. Le moins que l’on puisse dire est que son instauration obligatoire n’a pas permis à l’Eglise romaine d’échapper à la plus grave crise de son histoire. Faut-il revenir sur cette réforme ? Dès 1970, un an après son instauration, le pape Paul VI, cédant à la pression des traditionnalistes, avait modifié l’Instituto generalis, qui, dans l’article 7 de sa première version, expliquait que la présence eucharistique était celle à laquelle le Christ faisait allusion lorsqu’il déclarait : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je serai au milieu d’eux ». On avait également ajouté la mention du « sacrifice eucharistique » qui ne se trouvait pas dans la première version. En 2002 Jean-Paul II, de son côté, proposa une nouvelle présentation générale du Missel romain, dans laquelle on insistait sur l’exactitude dans l’observation des règles liturgiques et sur le sens du sacré.

Pour ceux qui ne veulent toujours pas revenir sur cette réforme mais qui reconnaissent que dans l’esprit quelque chose n’allait pas, au moment où elle a été instaurée, reste la question des traductions du latin dans les langues vernaculaires, et pour nous en l’occurrence, reste les problèmes que pose la traduction française. Mgr Aubertin, évêque de Tours, avait promis que la nouvelle traduction serait prête pour le premier dimanche de Carême de l’année …2017. Pour l’instant, on ne nous parle plus de cette entreprise titanesque. Mais on nous promet (c’est un vote de la Conférence épiscopale dans son assemblée de printemps qui nous le garantit) une nouvelle traduction du Notre Père pour le 3 décembre 2017. Au premier dimanche de l’Avent, on ne dira plus «  Ne nous soumets pas à la tentation » mais « Ne nous laisse pas entrer en tentation ».

Vous me traiterez peut-être de traditionnaliste grincheux, mais, tout comme Mgr Aubertin  d’ailleurs, qui s’est exprimé sur la question, je ne crois pas à l’exactitude de cette nouvelle traduction. Cette fois il s’agit de métaphysique. Ce qui est en cause, encore et toujours, c’est le problème du mal. « Dieu est fidèle, dit saint Paul, et il ne permettra pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces » (Rom. 8). Dieu permet que nous soyons tentés. La tentation est le révélateur de l’amour. La tentation est la matrice de nos libertés réelles. Simplement Dieu ne permet pas que nous soyons tentés au-dessus de nos forces. C’est ainsi que nous prions Dieu, non pas pour que nous n’entrions pas en tentation : nous ne sommes pas dans le monde des bisounours métaphysiques. Le salut est une lutte ! Il faut engager cette lutte sous peine de ne jamais savoir à quoi elle nous mène, sous peine de ne pas connaître ce salut «  qui transformera nos corps de misère en corps de gloire».

« Dieu ne tente personne » dit l’apôtre saint Jacques (Jacques 1, 14), parce qu’il n’y a pas en Lui une once de mal. Chacun est tenté ou « amorcé » (c’est le mot de saint Jacques) par sa propre convoitise. Mais en même temps, il faut bien reconnaître que Dieu permet la tentation, même s’il n’en est pas le cause. Autant donc la formule « Ne nous soumets pas à la tentation » est fausse, parce qu’elle laisse penser que Dieu nous obligerait à subir la tentation. Nous devons lui opposer le mot de saint Jacques : Dieu ne tente personne. Autant il est métaphysiquement impossible de ne pas admettre que Dieu, ayant créé le monde esclave de la vanité (Rom. 8, 21), n’ait métaphysiquement pris le risque que sa créature soit exposée à la tentation.

Nous prions Dieu (c’est la version latine) pour qu’il ne nous laisse pas pénétrer (inducere) dans la tentation, pour qu’il ne nous abandonne pas alors que nous consommons la tentation, pour qu’il ne nous laisse pas succomber à la tentation. Cette dernière version (qui est aussi la plus ancienne en français) est une traduction légèrement périphrastique : pénétrer dans la tentation signifie en bon français y succomber, mais, c’est vrai, l’idée de « succomber » n’est pas indiquée explicitement dans le verbe « entrer dans » ou « pénétrer » qui est utilisé tant en latin que dans l’original grec. Succomber ? Le mot serait trop théâtral ? Pas sur, vu ce qui est en jeu, le péché ou la grâce, la mort ou la vie. Cela demeure, en tout cas, la traduction la plus exacte. Personnellement je déteste cette idée que l’on puisse demander à Dieu qu’il ne nous fasse même pas entrer … oui qu’il revoie tout son dispositif, pour ne pas nous faire « entrer » en tentation. Comme si nous étions parfaits, avant même d’avoir essayé de l’être !

J’ai une dernière objection contre la nouvelle traduction du Notre Père (déjà actée d’ailleurs dans la nouvelle Bible liturgique de 2013). Qui de nous est au-dessus de la tentation ? Qui de nous peut se targuer de n’être jamais entré en tentation ? Même le Christ a été tenté au Désert ! C’est le genre de prière, prise à la lettre, que Dieu n’exaucera jamais. Comment Lui demander quelque chose qui va contre l’économie de sa Création ? Et pourquoi s’étonner si nous ne sommes pas exaucés ? Quand on multiplie ce genre de demandes absurdes par le nombre de fidèles et par le nombre de fois qu’ils vont réciter cette prière, cela donne légèrement le vertige… Il y aurait eu « entrer dans la tentation », on aurait pu se dire que la prière est simplement ambiguë : cela arrive souvent. Mais « entrer en tentation » ne laisse aucune chance à l’équivoque et nous fait retomber du mauvais côté, dans une métaphysique « sans mal », une métaphysique qui n’existe pas. Il me semble qu’il fallait le dire.

Abbé Guillaume de Tanoüarn

Commentaires

  • "Garde-nous de consentir à la tentation", c'est la traduction proposée par l'abbé Jean Carmignac à partir de l'Hébreux. Car le texte en Latin lui-même est déjà une traduction.

    Hélas, du temps des "années de plomb", les travaux de cet abbé ont été ostracisés : pas conformes au conformisme obligatoire.

  • Jésus a dit à ses apôtres "priez pour ne pas entrer en tentation". Cette traduction est conforme à sa parole. Pas besoin de l'opinion têtue d'un théologien.

  • On ne comprend pas bien votre dernière phrase.
    Penseriez-vous que le Notre Père - ipsis verbis - a été prononcé en Latin ?

  • L’art de forcer ou de falsifier un texte quand on n’en comprend plus le sens ou qu’il ne correspond plus aux attentes de nos caprices est vieux comme le monde. Mais l’art de l’humilité, l’art du scribe fidèle qui transmet la voix de Dieu en recopiant les Écritures et en cherchant à retranscrire fidèlement, syllabe après syllabe, ce qui a été reçu des pères, lui aussi est vieux comme le monde.

    Les mots « e non ci indurre in tentazione », tout comme la version anglaise en usage aux États-Unis : « and lead us not into temptation », sont un calque précis de la traduction latine toujours en vigueur dans le chant liturgique : « et ne nos inducas in tentationem », qui correspond à son tour parfaitement à l’original grec : « kai me eisenénkes hemás eis peirasmón ».

    « Et ne nos inducas in tentationem » (et nous induis pas en tentation) : cette requête semble contredire Jac 1.13 qui affirme que Dieu ne tente personne. Mais Dieu permet que ses enfants soient testés et éprouvés. Par cette prière, nous exprimons une salutaire défiance vis-à-vis de notre propre capacité à résister à la tentation et à tenir bon dans les épreuves. Nous comptons entièrement sur le Seigneur pour être préservés.

    Être tenté ne signifie pas être attiré par quelque chose, en avoir envie. C’est plutôt se trouver aux prises avec une situation pénible ou périlleuse, c’est être atteint par le malheur, être ballotté par une tempête, traverser une très mauvaise passe, être la proie de l’angoisse, de la souffrance et du désespoir. Dans toute vie, et dans l’histoire de l’humanité se produisent des tourments ou des catastrophes qui ébranlent, font vaciller et chanceler. C’est cela que le Notre Père appelle la tentation.

    Ensuite, le Notre Père laisse-t-il entendre que ces drames, ces calamités qui nous frappent, nous blessent, qui parfois nous cassent et nous détruisent, viendraient de Dieu, qu’il nous les enverrait ? Dans un article ancien, il date de 1965, un spécialiste de la littérature juive, le Père Carmignac, a soutenu que cette demande ne voulait pas dire : « ne nous jette pas dans des catastrophes ou ne jette pas de catastrophes sur nous », mais « empêche que les catastrophes qui s’abattent sur nous ne nous submergent et ne nous emportent, donne-nous la force de leur résister, de faire face, aide-nous, fortifie-nous pour que nous ne succombions pas ». Ce que nous demandons à Dieu c’est que dans les moments durs, il ne nous laisse pas tomber, qu’il nous soutienne et nous délivre.

    Il aurait mieux valu, pour rester fidèle à la Parole du Seigneur, faire comme plusieurs évêques l'avaient demandé, défendre la version traditionnelle en demandant qu’elle soit maintenue en vie et éventuellement mieux expliquée aux fidèles plutôt que de succomber à la tentation, pour exaucer le désir exprimé par le pape François, de la changer...

  • Sur ce sujet, le livre de Job est très éclairant... (ce que Dieu permet, ce qu'Il ne permet pas au Tentateur notamment). En Eglise, j' obéis en récitant le Notre Père officiel, mais dans ma prière personnelle je dis "(Père) Aide-nous à résister à la tentation par la force de Jésus-Christ notre Sauveur...."

Les commentaires sont fermés.