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François-Xavier Thuan : un cardinal magnifique

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De Charles-Henri d'Andigné sur le site de l'hebdomadaire Famille Chrétienne :

Cardinal Thuan : le résistant de la foi

François-Xavier Nguyen van Thuan

Prisonnier durant treize ans dans les geôles communistes, homme de grande allure et de manières simples, Mgr François-Xavier Thuan fit rayonner sa foi au Vietnam et au-delà. Une belle biographie lui rend hommage.

Dans son dernier message pour la Journée mondiale de la paix, le 1er janvier, le pape François a cité les « Béatitudes du politique » (voir encadré ci-dessous). C’est le célèbre cardinal vietnamien François-Xavier Nguyen Van Thuan (1928-2002), qui en est l’auteur. Qui est cet homme ? L’historienne Anne Bernet, par ailleurs auteur de nombreuses biographies et récits historiques, lui a consacré une biographie très attachante.

Les Béatitudes du politique

« Heureux l’homme politique qui est conscient du rôle qui est le sien. Heureux l’homme politique qui voit son honorabilité respectée. Heureux l’homme politique qui œuvre pour le bien commun et non pour le sien. Heureux l’homme politique qui cherche toujours à être cohérent et respecte ses promesses électorales. Heureux l’homme politique qui réalise l’unité et, faisant de Jésus son centre, la défend. Heureux l’homme politique qui sait écouter le peuple avant, pendant et après les élections. Heureux l’homme politique qui n’éprouve pas la peur, en premier lieu celle de la vérité. Heureux l’homme politique qui ne craint pas les médias, car c’est uniquement à Dieu qu’il devra rendre des comptes au moment du jugement. »

François-Xavier, cardinal Nguyen Van Thuan

François-Xavier Van Thuan est issu d’une grande famille mandarinale, à la fois catholique, francophile et très patriote. Très croyants, ses parents lui donnent tôt le goût de la prière et de la Vierge Marie. C’est un enfant « précocement pieux, ouvert aux mystères du monde invisible », écrit Anne Bernet, et néanmoins turbulent, malgré une certaine fragilité physique : il est « imaginatif dès qu’il s’agissait de sottises ». Élève brillant, c’est l’« exemple achevé du fort en thème, ajoutant à des dons innés et une intelligence aiguë une capacité de travail remarquable favorisé par une mémoire hors norme »Réchappé miraculeusement d’une tuberculose à 20 ans, il est ordonné prêtre en 1958, à 30 ans, après avoir envisagé une vie contemplative. C’est un homme délicat, fin, au physique comme au moral, ayant pleinement profité de l’éducation raffinée qu’il a reçue. Gai, ne laissant rien paraître de tourments intérieurs pourtant bien réels (il prie souvent avec le sentiment que Dieu ne l’exaucerait pas), il a un solide sens de l’humour et, plus rare, un vrai talent d’imitateur qu’il exercera toute sa vie, y compris pour mimer Jean-Paul II. Nommé directeur du petit séminaire de Phu Xuan, non loin de Saïgon, il se fait remarquer par la douceur de ses méthodes, inspirées de Don Bosco, qui réussissent auprès des enfants mais pas des vieilles barbes de son entourage, qui grognent et renâclent.

 

On est frappé aussi par sa simplicité. En 1967, nommé évêque de Nha Trang, il étonne et choque lors du premier repas en son honneur en desservant lui-même, allant – quelle idée ! –  jusqu’à bavarder avec les religieuses qui servent dans les cuisines. Tout juste si Monseigneur ne fait pas la plonge. Insensible aux pompes et aux honneurs, il refuse le bel appartement de fonction qu’on lui propose et s’installe dans une chambre, la plus petite, qui lui sert aussi de bureau. Les protestations le laissent froid. « Nous devons vivre l’esprit de pauvreté. Prêcher et vivre ce que l’on prêche doit aller de pair », commente-t-il. « Prince de l’Église, il voulait rester humble », résume Anne Bernet.

Nous sommes au début des années 1970. Le Vietnam est pris entre le marteau communiste, au nord, et l’enclume américaine, au sud. Quand celle-ci se retire, en 1973, elle laisse le champ libre aux troupes de Giap qui déferleront deux ans plus tard. Thuan ne tarde pas à être arrêté. Il s’y attendait. Ses écrits clairs et limpides sur le communisme (et la franc-maçonnerie) n’étaient pas pour plaire au nouveau régime. Peu lui importe. « Je serai martyr de ma foi. C’est le rôle normal d’un évêque », avait-il déclaré. Ses treize années d’emprisonnement vont tragiquement confirmer ses propos.

« Je n’avoue rien, car je n’ai rien à avouer »

Durant sa captivité, ses geôliers vont rivaliser d’imagination pour qu’il avoue ses « crimes ». Ils l’interrogent inlassablement, le condamnent à l’isolement complet, le soumettent aux pires humiliations, le laissent croupir dans des cellules puantes, obscures – ou sans cesse éclairées –, infestées d’insectes, glaciales l’hiver et étouffantes l’été. Rien n’y fait. « Je n’avoue rien, car je n’ai rien à avouer », réplique-t-il à ses bourreaux. Un jour, malade et souffrant, il supplie un de ses gardiens : « Par pitié, appelez un médecin ! » Refus du gardien : « Ici il n’y a ni pitié ni amour, il n’y a que des responsabilités. »

Pendant sa détention, il réussit à se confectionner une croix de fortune avec un morceau de bois et un bout de fil électrique : « Un évêque doit avoir une croix pectorale, c’est obligatoire. »

Il tient grâce à la prière, qui pourtant ne lui apporte guère de consolations sensibles, et se souvient de sa devise épiscopale, « Gaudium et spes » (Joie et espérance). Quand il est en contact avec d’autres prisonniers – dont certains sont des espions –, il les soulage et évangélise à tour de bras. Avec ses gardiens, même avec ceux qui avaient ordre de ne jamais lui adresser la parole, il réussit par sa bienveillance et son amabilité à briser leur mur de silence et d’hostilité. Plus d’un en sera ébranlé.

Dans les pires heures, tenaillé par la souffrance, la faim ou le désespoir, il conserve son sourire : un compagnon lui demande son secret. Réponse : « La croix semble légère à celui qui la porte de bon cœur. » Ballotté de camp en camp – les responsables ne savent plus quoi faire de lui –, il encourage la réconciliation avec les anciens communistes, lève les excommunications, confesse les apostats et les absout après les avoir retournés comme des crêpes. Le gouvernement le considérait comme un prisonnier « spécial » et « très dangereux » : il n’avait pas tort !

Profitant de l’adoucissement de ses conditions de détention, il réussit à se confectionner une croix de fortune avec un morceau de bois et un bout de fil électrique (« un évêque doit avoir une croix pectorale, c’est obligatoire », précise-t-il à un de ses gardiens avec sa franchise coutumière) qu’il dissimule dans un morceau de savon. Mieux : il parvient à célébrer des messes clandestines. En même temps il écrit sur des carnets de fortune qu’il fait passer à l’extérieur. Paraissent ainsi, sous un nom d’emprunt, Le Chemin de l’espérance, Les Pèlerins du chemin de l’EspéranceLe Chemin de l’espérance à la lumière de la parole de Dieu et de Vatican II, ainsi qu’un essai sur Maximilien Kolbe. Libéré, il découvrira, stupéfait, qu’il est devenu un écrivain très connu non seulement au Vietnam mais à l’étranger – son courage n’a d’égal que son humilité.

Nommé par Jean-Paul II à la tête du Conseil pontifical Justice et paix en 1998, puis cardinal en 2001, il passera la fin de sa vie à parcourir le monde pour témoigner, donner des retraites et des conférences, écrire encore un livre (Cinq pains et deux poissons), avant de mourir à Rome en odeur de sainteté, vaincu par un cancer – le seul ennemi qui aura raison de lui. La cause de sa béatification a été ouverte en 2007, et il a été déclaré vénérable en 2017. « C’est un homme de Dieu. Et c’est un chef », disait de lui le journaliste Pierre Darcourt, correspondant de L’Aurore au Vietnam en 1972. Tout est dit.

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