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Le pluralisme religieux, volonté divine, vraiment ?

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Un article de Luisella Scrosati publié dans la « nuova bussola quotidiana » (www.lanuovabq.it) et paru en traduction française sur le site « Benoit et moi » :

François Francois-limam-dAl-Azhar-Ahmed-Tayeb-4-fevrier-2019-Abu-Dhabi_0_729_513.jpg« Tout en reconnaissant tous les signes positifs de la rencontre dans les Emirats Arabes Unis, nous ne pouvons pas autoriser l'affirmation d'erreurs sur les vérités de la foi. C'est pourquoi il n'est pas acceptable que le document sur la fraternité universelle signé par le pape François et l'imam d'Al-Azhar décrive le pluralisme religieux comme une sage volonté divine. Il n'y a pas une seule ligne dans les textes de Vatican II qui puisse justifier une telle position. Lumen gentium parle de personnes qui n'ont pas encore été atteintes par l'Evangile, pas de religions. Faut-il penser que le Fils de Dieu s'est fait chair et dans le même temps veut une religion, comme l'Islam, qui nie à la fois la Trinité et la vérité de l'Incarnation? Il ne peut y avoir de Dieu schizophrène.

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Cette réflexion n'a pas pour intention d'occulter l'importance de la Déclaration commune sur la Fraternité universelle, dans le but d'une coexistence pacifique entre les peuples, signée par le Pape François et le grand Imam d'Al-Azhar Ahmad Al-Tayebb, à l'occasion de la récente visite du Pontife aux Emirats Arabes Unis. Les déclarations sur la reconnaissance de la protection de la liberté, la protection des lieux de culte, l'engagement commun pour la défense de la vie et la condamnation du terrorisme religieux sont certainement des signaux importants.

Cependant, aucune circonstance ne peut autoriser l'affirmation d'erreurs et la diffusion de la confusion au sujet des vérités de la foi. Nous nous référons ici au paragraphe présent dans la page 5 du document commun, qui énonce: «Le pluralisme et la diversité des religions, des couleurs, des sexes, des races et des langues sont une sage volonté divine par laquelle Dieu a créé les êtres humains. Cette Sagesse divine est à l'origine du droit à la liberté de croyance et à la liberté d'être différents».

Lors de la conférence de presse habituelle du vol de retour, François est revenu sur l'argument, voulant répéter avec une certaine fermeté que «du point de vue catholique, le document ne s'est pas "rangé d'un millimètre" [probablement voulait-il dire "ne s'est pas distancié d'un millimètre", note de L.S.] de Vatican II, qui est ici cité plusieurs fois. Rien. Le document a été fait dans l'esprit de Vatican II». Le Pape confie ensuite avoir fait lire le document par des théologiens, en indiquant explicitement le théologien de la Maison pontificale, le père dominicain Wojciech Giertych, lequel l'aurait approuvé. François poursuit: «Si quelqu'un se sent mal, je le comprends: ce n'est pas une chose de tous les jours et ce n'est pas un pas en arrière; c'est un pas en avant. Mais un pas en avant qui vient d'il y a cinquante ans, du Concile qui doit se développer». Le Pape confesse avoir vu ensuite une phrase qui l'a laissé assez perplexe - il n'a pas dit de quelle phrase il s'agissait - sauf qu'il a réalisé plus tard que c'était une phrase du Concile.

 

Ce n'est certainement pas la phrase qui considère le pluralisme religieux comme la réalisation d'une sage œuvre divine, car il n'y a pas une seule ligne des textes de Vatican II qui puisse justifier une telle position. Lumen Gentium, §16, parle de personnes qui n'ont pas encore été atteintes par l'Évangile ou qui appartiennent à d'autres religions, et qui sont elles aussi «ordonnées de différentes manières au peuple de Dieu». Des personnes, donc, pas des religions. Le même texte, un peu plus loin, affirme que «tout ce qui est bon et vrai en elles est considéré par l'Église comme une préparation à accueillir l'Évangile et comme donné par Celui qui éclaire chaque homme, afin qu'il ait enfin la vie». La différence est évidente: c'est une chose d'affirmer qu'il existe des aspects de vérité et de bonté dans d'autres religions qui, en tant que telles, proviennent de Dieu et donc «peuvent assumer un rôle de préparation évangélique», comme l'affirme plus précisément Dominus Iesus, §21; c'est autre chose d'affirmer que les différentes religions sont voulues par le Très-Haut. Car, dans ce cas, il faudrait considérer que les erreurs de ces religions, erreurs qui sont bien présentes dans le texte de LG §16, sont aussi voulues par le Très Haut. Faut-il penser que le Fils de Dieu se fait chair et en même temps veut une religion, comme l'Islam, qui nie à la fois la Trinité et la vérité de l'Incarnation ?

Même le texte de Nostra Aetate, bien que tellement "généreux" envers les autres religions, ne justifie pas une telle affirmation. La déclaration conciliaire se prononce sur l'unique origine des hommes et leur unique destination, mais considère les différentes religions comme des efforts humains pour répondre aux questions fondamentales de l'existence (cf. NA §2). Il parle ensuite de respect pour ce qu'il y a de bien en elles et de respect pour les personnes. Enfin, il fonde la condamnation de comportements discriminatoires non pas sur la thèse que Dieu veut la pluralité religieuse, mais sur le fait que tous les hommes ont été créés à l'image et à la ressemblance de Dieu.

Il est alors évident que l'affirmation présente dans le Document sur la Fraternité Universelle ne trouve aucune légitimité dans les textes de Vatican II: pas vraiment "ne s'en éloigne pas, même d'un millimètre"... On est donc contraint de se tourner vers "l'esprit du Concile", comme le fait explicitement Bergoglio lui-même, un esprit qui pousse l'Église à aller au-delà des textes du Concile. On croit voir ici le portrait de l'herméneutique de la discontinuité, esquissé par Benoît XVI dans son célèbre Discours à la Curie romaine en 2005: «Celle-ci affirme que les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de l'esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour atteindre l'unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup de vieilles choses désormais inutiles. Ce n'est cependant pas dans ces compromis que se révélerait le véritable esprit du Concile, mais en revanche dans les élans vers la nouveauté qui apparaissent derrière les textes: seuls ceux-ci représenteraient le véritable esprit du Concile, et c'est à partir d'eux et conformément à eux qu'il faudrait aller de l'avant. Précisément parce que les textes ne refléteraient que de manière imparfaite le véritable esprit du Concile et sa nouveauté, il serait nécessaire d'aller courageusement au-delà des textes, en laissant place à la nouveauté dans laquelle s'exprimerait l'intention la plus profonde, bien qu'encore indistincte, du Concile. En un mot: il faudrait non pas suivre les textes du Concile, mais son esprit».

L'interprétation authentique des textes conciliaires sur le sujet a été offerte, entre autres, par Dominus Iesus, §21, un texte très important qui enseigne que « les différentes traditions religieuses contiennent et proposent des éléments de religiosité qui procèdent de Dieu et font partie de "ce que l'Esprit fait dans le cœur des hommes et dans l'histoire des peuples, dans les cultures et les religions" (Redemptoris Missio, §29) De fait, certaines prières et certains rites des autres religions peuvent assumer un rôle de préparation évangélique, en tant qu'occasions ou enseignements encourageant le cœur des hommes à s'ouvrir à l'action divine. On ne peut cependant leur attribuer l'origine divine et l'efficacité salvifique ex opere operato qui sont propres aux sacrements chrétiens. Par ailleurs, on ne peut ignorer que d'autres rites naissent de superstitions ou d'erreurs semblables (cf. 1 Co 10,20-21) et constituent plutôt un obstacle au salut».

Ici revient donc la distinction entre les éléments de vérité qui proviennent de Dieu et les religions en tant que telles, qui contiennent même des erreurs qui sont un obstacle au salut. En outre, si certains «rites et prières» de ces religions, qui peuvent avoir un rôle de préparation évangélique, ne peuvent être considérés d'origine divine, comment est-il possible que les religions elles-mêmes le soient ?

Alors, du parcours des cinquante années de développement du Concile, François et les théologiens qu'il a consultés ont manifestement sauté à pieds joints le tronçon de route que constitue la Déclaration Dominus Iesus. Une herméneutique curieuse qui ne trouve pas d'ancrage dans les textes et qui ne tient pas compte des documents interprétatifs officiels.

Une autre erreur présente dans le Document sur la Fraternité universelle, dans le texte cité plus haut, consiste à croire que la liberté religieuse est enracinée dans le fait que c'est la volonté de Dieu qui fonde la diversité des religions. Sans vouloir entrer dans les différents aspects de la vexata quaestio de la liberté religieuse, on ne peut pas ne pas reconnaître que l'enseignement du Concile concerne l'immunité de toute coercition, d'où qu'elle vienne, en particulier du pouvoir de l'Etat. Il ne s'agit pas d'un droit positif à agir selon une conscience erronée, et encore moins d'un droit positif qui découle de la bonté de toute appartenance religieuse ou de l'origine divine de toute religion. Il s'agit plutôt d'un droit négatif, c'est-à-dire un droit d'exiger de ne pas subir de coercition dans sa propre option religieuse, tant que cette option n'a pas de conséquences négatives pour le bien commun - dans ce dernier cas le pouvoir politique a le droit et le devoir d'intervenir dans sa propre sphère.

Le texte Dignitatis Humanae §2, enseigne que «le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même». Aucune référence au fait que ce fondement se trouve dans la bonté du pluralisme religieux ou, même, dans le fait que c'est Dieu lui-même qui veut cette diversité. Au contraire, «le saint Concile déclare que Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent obtenir le salut et le bonheur dans le Christ. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste dans l’Église catholique et apostolique à laquelle le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes» (DH, §1).

À son tour, Paul VI, dans un discours du 20 décembre 1976, expliquait qu'«en aucun cas, le Concile ne fonde ce droit sur le fait que toutes les religions, et toutes les doctrines, même erronées, qui concernent ce domaine, auraient une valeur plus ou moins égale; il le fonde au contraire sur la dignité de la personne humaine». Oui, parce que si le pluralisme religieux est voulu par Dieu, l'erreur d'attribuer aux différentes religions une valeur plus ou moins égale n'est pas loin. Mais au-delà de cela, il n'y a pas un seul élément de soutien dans les textes du Concile pour fonder la liberté religieuse sur le fait que Dieu veut la diversité religieuse. Quant à la "liberté d'être différent", je crois qu'il faudra attendre un Vatican III.

Il est plutôt étrange que ni le Pape ni les théologiens qu'il a consultés n'aient perçu cet élargissement indû du sens des thèses de Vatican II. Ils n'ont pas remarqué non plus qu'ils finissent par donner l'image d'un Dieu schizophrène, qui déclare un jour par la bouche du Verbe incarné: «Nul ne vient au Père que par moi» (Jn 14, 6); et six siècles après dans Sa «sagesse», Il veut une religion qui enseigne «le Christ est fils d'Allah, c'est ce qu'ils disent de leur bouche, imitant ce que disaient les incroyants qui les ont précédés. Qu'Allah les maudisse! Comme ils sont induits en erreur» (Sourate 9 verset 30)

Ref. Le pluralisme religieux, volonté divine, vraiment?

JPSC

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