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Avec Bertrand Vergely, cultiver une sagesse contre le pessimisme ambiant

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De  sur le site du Figaro Vox :

Bertrand Vergely, à la recherche du sens perdu

Bertrand Vergely, à la recherche du sens perdu

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Et si l’on allait plus loin que la seule quête du bien-être individuel, celui que promettent des ouvrages à succès en tête de rayon des librairies, pour se poser à nouveau la question du sens de la vie? C’est ce à quoi s’attelle le philosophe Bertrand Vergely dans «Notre vie à un sens!» (Albin Michel).


Bertrand Vergely est normalien, agrégé de philosophie, professeur en khâgne, à Sciences Po et à l’institut théologique orthodoxe Saint Serge. Il a publié une trentaine de livres dont le dernier, Notre vie a un sens!, vient de paraître chez Albin Michel.


FIGAROVOX.- Des livres de plus en plus nombreux explorent la question du sens en promouvant des méthodes de développement personnel. En quoi votre livre est-il différent?

Bertrand VERGELY.- Mon livre tente de répondre à toutes les objections habituellement adressées au sens de la vie en posant la question: êtes-vous sûr que la vie n’a aucun sens? Jamais, dans un livre de développement personnel, vous ne trouverez une réflexion soutenue sur le non-sens de la vie, tous ces livres partant d’emblée de l’idée que le sens c’est le «moi» et le bien-être du moi. En fait, dans ces livres qui prétendent parler du sens, il n’y a aucune réflexion sur celui-ci. Ils ressemblent à une maison bâtie sans fondements.

Se poser la question du sens de la vie, est-ce reconnaître une part de spirituel en l’homme?

Notre monde qui n’a en vue que l’individu et son confort ne s’intéresse pas aux réponses qui inspirent l’existence.

Penser que la vie a un sens suppose que l’on adhère à l’idée qu’il existe une source de sens supérieure à la vie et à l’homme donnant du sens, explique fort bien André Comte-Sponville, qui rejette l’idée d’une telle source. C’est pourtant ce que je pense. Il existe une source de sens supérieure à la vie et à l’homme. Cette source renvoie au fait inouï de l’existence. Relions-nous au fait que la vie et les hommes existent. Rentrant dans la présence, la vie se met à parler, en faisant résonner dans notre vie intime l’inouï de la présence du monde comme de notre présence au monde.

Vous écrivez que «le monde produit quantité de solutions mais aucune réponse». Vos solutions, quelles sont-elles?

Une solution est un moyen technique qui dissout un obstacle empêchant la réalisation d’un objectif personnel. Une réponse est une parole qui, parlant à notre existence tout entière, l’inspire. Notre monde qui n’a en vue que l’individu et son confort ne s’intéresse pas aux réponses qui inspirent l’existence. Mes solutions? C’est d’arrêter de vouloir des solutions pour tout afin de commencer à s’intéresser aux paroles qui, en inspirant, apportent une réponse à l’existence. Dans l’expérience de l’art, de la morale, de la philosophie et de la religion, ce sont des réponses que l’on entend. Elles répondent à notre soif d’exister pleinement. D’où leur valeur fondamentale.

L’art justement, aujourd’hui, ne se moque-t-il pas du sens? Comme si cette recherche ne le concernait plus...

Je dis exactement le contraire. Témoin le fait que je termine mon livre en commentant la phrase de Dostoïevski «la beauté sauvera le monde» et en donnant comme exemple de sens l’expérience de sens absolu de l’existence qu’offre parfois la contemplation de certains tableaux ou l’écoute de certaines musiques. Certains artistes jouent à être nihilistes et provocateurs... Ils cherchent ainsi à se faire remarquer. L’art, c’est tout de même autre chose. Même quand certains artistes explorent l’absurde, c’est encore de sens qu’il s’agit.

En quoi la question du sens de la vie est-elle entravée par le respect de la vie privée? Une société individualiste est-elle condamnée à ne plus s’interroger sur le sens?

La question du sens de la vie est une question religieuse. Quand on ne veut pas entendre parler de religion, on interdit de se poser cette question en faisant de celle-ci un faux problème. Ou bien on la privatise, en expliquant qu’elle est une affaire trop personnelle pour qu’on en parle. Notre monde a inventé une troisième voie consistant à dire que ce qui importe n’est pas tant le sens de la vie que le sens de ma vie. Il s’agit là d’une façon polie d’évacuer la question du sens de la vie en lui coupant la tête.

Sade se délecte du mal. Nietzsche le revendique au nom de l’affirmation de soi. Deleuze l’ignore.

Pour dissimiler la perte de sens, la pensée occidentale a peu à peu dilué l’idée de culpabilité, ainsi que le montrent Sade, Nietzsche et Deleuze. La pensée de la déconstruction et ceux qui l’ont promue ont-ils achevé de vider la vie de son sens en supprimant l’idée du mal?

La vie n’est pas rien. Elle est traversée par le fait inouï de son existence. C’est ce qui fait son sens. On s’en rend compte face à la beauté. On s’en rend également compte quand on est confronté au mal, cette violence extrême et délibérée. Sade se délecte du mal. Nietzsche le revendique au nom de l’affirmation de soi. Deleuze l’ignore. La pensée de la déconstruction le démystifie Du moins en apparence. En fait, à l’image de Georges Bataille, au nom d’un individualisme libéral, libertaire et libertin bien analysé par Camus dans L’homme révolté, elle est fascinée par le mal, par Sade, par le crime et par la transgression. Si bien qu’elle a une vision naïve du mal en rêvant celui-ci. Lorsqu’on a affaire au terrorisme et à ses massacres, certains ouvrent les yeux. Le mal n’est pas une plaisanterie. Et on a tort de se moquer du sens et de l’annihiler. Quand la vie est ramenée à n’être plus rien, c’est alors que l’on se rend compte qu’elle n’est pas rien.

Sans la nommer, vous semblez revenir à une «morale naturelle» résistant aux déconstructions philosophiques et sociologiques. Cette idée a pourtant été largement battue en brèche!

Au XVIIIe siècle la morale dite naturelle désigne la morale humaine égoïste et sensible. Elle ne renvoie pas à l’être même de la vie. La morale est vivante. À travers la vie, elle murmure «tu ne tueras pas». Notre monde qui est dominé par l’individu égoïste ne veut pas en entendre parler. La morale comme voix de la vie qui parle dans l’intime de nous-mêmes comme de toute chose? Pas question. Quand il traite de morale, il procède en deux temps. Il commence par expliquer qu’elle est une invention sociale, avant d’avancer «les valeurs», c’est-à-dire la morale que l’on décrète.

Saint Exupéry dit que «ce qui donne du sens à la vie donne du sens à la mort». Pas de sens sans sacrifice?

Ce n’est pas la mort qui donne du sens à la vie, mais le fait de pouvoir tout vivre, même la mort. Le sacrifice fait couler le sang. La vie vivante fait couler la vie. Pour vivre, nul besoin de la mort ni que le sang coule. Il faut apprendre à se délivrer de la violence. Ce n’est pas facile. Elle fascine. D’où la séduction qu’exercent la mort et le sang qui coule. Une vie est possible au-delà de la violence et de la mort. C’est la formidable découverte que l’on fait quand on rencontre vraiment la vie...

Commentaires

  • J'aime bien le philosophe VERGELY... J'aime son écriture moderne et simple

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